• Le doyen de la presse Européenne

Napoléon : il ne s'agit pas d'aimer ou détester

Comment la France aurait cru aux promesses de la Révolution si un petit garçon d'Ajaccio n'avait pas démontré que donner des coups de pied dans les portes suffisait pour les ouvrir ?
Napoléon : il ne s’agit pas d’aimer ou détester
Comment la France aurait cru aux promesses de la Révolution si un petit garçon d’Ajaccio n’avait pas démontré que donner des coups de pied dans les portes suffisait pour les ouvrir ?


La commémoration du bicentenaire de la mort de Napoléon donnera lieu cette année à des dizaines de parutions ou de rééditions ; ainsi qu’à nombreux événements si madame la Covid-19 veut bien nous ficher un peu la paix.
J’espère que tout ce qui a été programmé pourra être concrétisé car évoquer cette commémoration éveille en moi de bons souvenirs.

Mes parents avaient été fiers et heureux que leur île soit honorée et valorisée à travers la grandiose commémoration du bicentenaire de la naissance de l‘Empereur qui s’était déroulée à Aiacciu en présence de Georges Pompidou qui venait d’être élu Président de la République.
A cette époque où la Corse était présentée comme une île pauvre et ne pouvant offrir aucune perspective à la plupart de ses enfants, d’où partir pour étudier ou travailler relevait de la normalité, et dont la notoriété et l’image étaient construites à partir de reportages sur les petits ânes et la fraude électorale, se réapproprier et se voir envié le passé impérial équivalaient à des rayons de soleil d’Austerlitz.
La petite Corse devenait subitement grande car il était célébré qu’un de ses enfants avait sauvé le meilleur d’une Révolution, réconcilié un peuple que les Immigrés et la Terreur avaient disloqué, façonné un Etat fort, déstabilisé durablement un ordre européen décrépi.

La perspective de cette commémoration suscite certes des polémiques.
Chez nous car la politique impériale n’a pas toujours été tendre avec certaines composantes de notre peuple.
Ailleurs car Napoléon n’a pas toujours été parfait et a même commis des erreurs ou des fautes. Mais comme un Alexandre, un Jules César, un Kubilaï Khan, un Charles Quint, un Pierre le Grand et quelques autres, Napoléon ne peut être jugé selon une approche uniquement ou essentiellement moraliste.
A l’échelle de la Corse, je suis donc en accord avec Jean-Guy Talamoni (*) qui a estimé nécessaire « d'aller au-delà d'une approche » consistant à opposer « la figure de Napoléon à celle de Pascal Paoli, le père fondateur de la Nation corse » et à présenter « d'un côté le traître, de l'autre le héros » ; et qui a invité à « dépasser cette approche pour analyser la complexité et la portée du parcours de cette figure historique (Napoléon) ».

Dépasser les zones d’ombre

Globalement, je partage donc l’approche de l’historien Arthur Chevallier (**), auteur de plusieurs ouvrages sur Napoléon, qui est aussi un des commissaires de l'exposition « Napoléon » qui devrait ouvrir ses portes dans quelques semaines à Paris. Arthur Chevallier préconise de dépasser, sans pour autant occulter, les zones d’ombres napoléoniennes (rétablissement de l’esclavage, codification juridique de l’infériorité de la femme, certaines guerres, exercice autoritaire du pouvoir).

Selon lui, ces zones d’ombre ne peuvent suffire à masquer que l’action de Napoléon a représenté « la forme rationalisée et méthodique de la Révolution française ». Et d’expliquer : « Comment la France aurait cru aux promesses de la Révolution si unpetit garçon d’Ajaccio n’avait pas démontré que donner des coups de pied dans les portes suffisait pour les ouvrir ?
Que resterait-il de
cette première décennie 1790, certes féconde et enthousiasmante, mais si meurtrière et brouillonne ? Sa politique, son tempérament, sa carrière, tout en lui révèle, pour le pire comme pour le meilleur, les changements irrémédiables provoqués par 1789. » Arthur Chevallier insiste aussi sur le fait qu’il ne s’agir pas d’aimer ou détester : « Je ne dis pas que Napoléon était aimable, je dis qu’il était intéressant. (…) Il porte en lui l’égalitarisme, le légalisme, la passion de la souveraineté, le tout conçu comme un ensemble qu’on désigne par « l’ordre public », soit sa plus grande passion (…) Il a effectivement compris que 1789 n’était pas un accident dans l’histoire de la France, mais un acte fondateur. »

Enfin,Arthur Chevallier fait la part des choses entre l’opportunisme et le côté visionnaire : « Il a décidé de prendre le parti de la Révolution en se rangeant du côté des Jacobins d’abord, notamment grâce au soutien du frère de Robespierre, du Directoire ensuite dont il fut un illustre général (…) Dans ses confidences à Las Cases, auteur du fameux Mémorial de Sainte-Hélène, il réécrit son règne en faisant croire que l’absence de liberté, incontestable, était un état temporaire. Affirme que ses convictions le portaient vers la liberté. C’est évidemment faux ; mais cela prouve qu’il avait compris qu’au long du XIXe siècle, soit celui où allait se jouer sa postérité, le libéralisme serait une vertu à côté de laquelle il ne pouvait pas passer. Il avait donc l’intuition de ce que
l’avenir serait durablement marqué par la Révolution française et les bouleversements qu’elle provoqua en Europe. »

• Alexandra Sereni


(*) Jean-Guy Talamoni : « Napoléon a été un indépendantiste corse »

(**) Arthur Chevallier : "Le Bicentenairede Napoléon célèbre la mémoire d'un homme
qui a accompli les promesses de la Révolution"
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