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Gilles Filippi, président du tribunal de commerce de Bastia

" Le tribunal de commerce est la maison des entreprises "
Gilles Filippi, président du tribunal de commerce de Bastia
« Le tribunal de commerce est la maison des entreprises »


Comment définir le rôle du tribunal de commerce ?
C’est la maison des entreprises. J’utilise ce terme pour désacraliser cette structure car elle peut faire peur lorsqu’on ne la connait pas. Les gens ont du mal à comprendre que nous sommes là pour eux et non contre eux, ils associent le tribunal aux sanctions. Certes, nous avons des décisions à prendre, que ce soit à propos de litiges commerciaux entre entreprises ou bien en terme de procédures collectives, elles sont prises pour aider les entreprises, veiller aux intérêts des salariés, créanciers et débiteurs.
Nous n’avons pas de pouvoir de « sanction » au même titre que le tribunal judiciaire ou correctionnel, nous n’envoyons personne en prison. Il est important de bien comprendre le fonctionnement et le rôle du tribunal de commerce, mais surtout l’existence de ses « outils de gestion ». Ces derniers permettent aux entrepreneurs en difficultés financières de pouvoir discuter avec leur créancier, leur donnant ainsi la possibilité d’obtenir des délais de règlement afin de pouvoir payer leur dette et continuer leur activité.


Quels sont ces « outils de gestion » ?
Il y en a deux, et ce sont des procédures confidentielles. La confidentialité est importante à mettre en avant car même si nous sommes totalement bénévoles, nous sommes tenus au secret. Rien n’est étalé sur la place publique, aucun nom n’est livré en pâture.

Le premier outil
est le mandat ad hoc, un outil de prévention et de résolution des conflits qui permet un diagnostic financier. Le président du tribunal, après avoir pris acte de la signature de l’accord, met un terme à la mission du mandataire.
Le deuxième
, c’est la conciliation, avec une durée de 5 mois + 5 mois. Cela signifie que la conciliation peut durer 5 mois, et si au bout des 5 mois aucun accord n’a été trouvé il est possible de la prolonger pendant 5 mois supplémentaires. Jusqu’au 31 décembre 2021, le président peut ainsi interrompre ou interdire les actions de paiement des créanciers mais aussi la résolution des contrats pour motif d’impayé. Il peut également imposer un report ou un échelonnement des créances. Quant à la rémunération, le tribunal de commerce de Bastia a négocié un tarif fixe avec un conciliateur judiciaire, en fonction de la taille de l’entreprise. À titre d’exemple, une TPE qui réalise un chiffre d’affaire de 50.000 - 60.000 euros de chiffre d’affaire dans l’année peut avoir un forfait de 1.500 euros.


Que se passe-t-il après le 31 décembre 2020 ?
Après cette date, on revient à la conciliation normale, type « 4+4 » et non « 5+5 ».
C’est pour cette raison que c’est le moment de se servir de ces outils de gestion que ce sont le mandat ad hoc et la conciliation. Jusqu’au 31 décembre 2020, le président a plus de facultés pour obliger les créanciers à accepter des délais. Mais ça ne durera pas éternellement.

Qu’entendez-vous par « ça ne durera pas éternellement »?
Les gens sont dans une bulle. La situation actuelle engendre un report des charges, certes. Mais ils peuvent avoir tendance à penser que ce report va se transformer en effacement. On considère que rien ne peut arriver, que tout sera fait à l’infini. Mais ce n’est pas le cas, il y aura une fin, notamment concernant le report des charges. Cela va entrainer des difficultés. Les commerçants ne pensent pas forcément à nous solliciter car cette bulle protectrice les fait se sentir hors de danger. Pourtant, il est très important d’anticiper la suite. Mais il faut une volonté des deux cotés, nous n’utilisons pas la force.

Évidemment notre rôle n’est pas de faire des prêts, en revanche nous sommes là pour trouver des solutions avantageuses. Des solutions qui permettent à l’entreprise de reconstituer son roulement ainsi que sa trésorerie. Prenons l’exemple d’un commerçant qui a un prêt à rembourser à hauteur de 1.000 euros par mois pendant 5 ans et qui pense avoir des difficultés de trésorerie dans l’avenir. Il a la possibilité de venir nous voir pour que nous en discutions avec le créancier afin que le prêt soit échelonné sur 10 ans. Cela permettra un remboursement de 500 euros par mois, ce qui est une aide considérable.


Que faudrait-il faire afin de diffuser plus largement l’existence de ces outils et inciter les commerçants à en faire usage ?
Nous en parlons aux banques car ce sont des procédures qui peuvent les protéger, les débiteurs faisant souvent des procédures à leur encontre.

Nous en parlons également aux avocats car à travers leur devoir de conseil ils peuvent diriger les clients vers nous, les aider à rédiger une demande de conciliation. Mais ce qu’il faut avant tout, c'est la communication autour de notre activité. C’est ce qui permettra en premier lieu de faire comprendre à la population que nous sommes un soutien et non une punition. De plus, on considère qu’avoir des difficultés économiques est une honte. Il est vrai que l’entreprise est le « bébé » de son patron et que, de ce fait, ce dernier est retenu par une certaine pudeur. Mais il ne faut pas avoir honte d’exprimer ses difficultés, nous en avons tous. Il est primordial de s’y résoudre, d’y faire face et de chercher une solution
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