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Confits de Pâques

La semaine sainte se profile et les confinards que nous sommes se préparent à déguster l 'agneau traditionnel en famille...
Confits de Pâque

La semaine sainte se profile et les confinards que nous sommes se préparent à déguster l’agneau traditionnel en famille tandis que les offices religieux fréquentés à la hâte et dans la plus grande discrétion rythmeront nos dévotions. Il est important de se souvenir qui nous sommes tandis que la parole publique bégaye et balbutie ordres sur contre-ordres . Une petite semaine de soleil est bien venu interrompre les bourrasques et les tempêtes de ce début d’année. C’est une nouveauté de devoir aborder cette période habituellement synonyme de printemps avec un sentiment aussi pessimiste que celui qui nous habite.


J’avais profité d’une accalmie dans les nouvelles pour regagner mon village en profitant du mieux relatif. Il survint un bouleversement qui m’écarta de la perspective d’agneau .

En effet, un ami me proposa de venir goûter chez lui un cochon de lait.

Après que j’eusse évidemment accepté avec gratitude cette noble invitation, il ajouta: « Un vrai cochon de lait à la mode corse, pas l’un de ces garçonnets que l’on vous sert dans les restaurants parisiens. Le cochon de lait à la mode corse est un bébé, il a nécessairement moins de quinze jours. Il ne faut pas confondre porcelet et cochon de lait ». Je sentais remonter en moi les fabuleuses délices de mon enfance, et je respirais déjà le parfum de la salamughija, sorte de saumure faite d’eau, d’huile d’olive, de vinaigre de vin vieux, d’ail pilé et de thym, dont on arrose la viande pendant qu’elle rôtit, afin que la peau lentement caramélisée s’imprègne de son parfum.
Ce plat qui est un sommet de l’art culinaire a une fâcheuse tendance à disparaître de nos tables sous les effets conjugués de l’ignorance et du sacrilège. Tout est sacré depuis que le sacré n’existe plus, à commencer par les idées reçues. Le petit cochon qui était servi autrefois, joliment doré, une pomme reinette minuscule déposée dans son groin ne peut plus être ainsi présenté, de peur d’offusquer la morale des tables voisines.
Et pourtant le peuple corse mange bien des bébés, cochon de lait, agneau de lait et veau de lait. Précisons cependant que cela ne se mange pas tous les jours, mais lors de fêtes cérémonielles le plus souvent, tel le dimanche pascal pour l’agneau du même nom.
La question est cependant intéressante à étudier.
Comment une société peut-elle se laisser détourner progressivement de ses attaches culturelles sous l’influence de quelques gourous montés en graine avec l’émiettement des socles familiaux ? Pour parler clair, l’étiolement progressif de l’enseignement des valeurs endogènes dispensées par le groupe social dont procède l’individu, laisse la place à une vulgate intermédiaire faite des sensations et des peurs agglutinées du tout-venant médiatique. Vous pensez si j’étais content de déguster ce cochon de lait ! Quelle revanche sur la déveine et sur la honte !

M’est venue par la suite la pensée que notre génération pouvait n’être plus guère comprise par la population qu’irriguent les conduits de canalisation du nouveau monde se disant moderne. On n’en sait pas grand chose quant au fond, vu que la pratique du débat contradictoire laisse la place progressivement aux anathèmes.

Loin de rechercher la confrontation, les élites du jour préfèrent asséner leurs convictions en les parant du manteau trompeur de l’évidence. Hélas, rien n’est plus trompeur qu’une évidence et rien n’est plus menteur non plus. Les arguments pseudo-scientifiques assénés par des comités Théodule ad hoc ne peuvent convaincre que ceux qui les paient.
L’interdiction de la viande étant manifestement au programme des punitions du siècle prochain, il faut dès à présent s’apprêter à contourner les nouveaux interdits en fourbissant raisonnement, textes et poèmes, dont la nouvelle résistance aura besoin. Devant la disette des esprits qu’on nous prépare, affutons nos appétits, et nous serons à même de manger nos bourreaux. Un petit alcool de poire préparé par l’alambic familial acheva royalement le festin de ce jour de départ.

Je ne peux manquer de penser, alors que le travail a repris tous ses droits, tandis que la fumée de mon cigare émet des volutes qui envahissent mon bureau, m’apportant la paix de l’esprit, que la civilisation est un ordre que le nombre peut corrompre.

C’est en restant fidèle à l’enseignement de nos pères que nous pourrons faire face aux défis d’un avenir problématique. Une leçon de gastronomie puisée au tréfonds de nos usages ne peut manquer de nous y préparer efficacement.

Si le philosophe a pu écrire, on pense comme on digère, j’ajoute qu’également, on est ce qu’on ingère.

Bon apetitu a tutti !


Jean-François Marchi
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