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Crise sanitaire : La culture toujours au point mort

Josepha Giacometti : " Il faudra reconstruire ce lien avec le public et replacer la culture au centre de notre projet "
Crise sanitaire
La culture toujours au point mort

Déjà mal en point de par une politique nationale qui, à l’évidence, n’en fait pas une priorité, la culture en Corse paye un très lourd tribut depuis un an. Musées, bibliothèques, sites, salles de spectacles fermés, artistes réduits à la portion congrue, concerts et festivals annulés, les lendemains seront très difficiles. D’autant qu’un éventuel retour à la « normale » n’est toujours pas envisageable.


« La culture est ce qui reste quand on a tout oublié »... Cette citation célèbre peut s’adapter à la situation vécue dans son ensemble en Corse depuis un an. Comme dans un mauvais rêve, tout est à l’arrêt depuis un premier confinement qui en mars 2020, a mis un terme à toute activité. Une situation qui a fait, il convient de le signaler, plus de mal qu’ailleurs.
Fermeture des salles de spectacle, musées, bibliothèques, médiathèques, sites divers, annulation des concerts et festivals, manifestations liées à l’aspect religieux (Semaine Sainte, fêtes de la Madunuccia et San Ghjisè à Aiacciu et Bastia), aucune exposition... En Corse, la culture s’est mise au diapason d’une situation nationale qui l’a jugée comme « non essentielle ». Il aura donc fallu faire le dos rond durant deux mois. Le temps d’annuler l’ensemble des festivités prévues durant l’été où de nombreux groupes insulaires effectuent leur tournée, où les festivals (Portolatino, les guitares de Patrimoniu, Arte Mare, Musicales de Bastia, Jazz in Aiacciu pour ne citer que ceux-là) foisonnent.
De fait, un premier retour à la normale n’a pas été suivi d’effets au niveau culturel ou si peu (les discothèques ont rouvert mais peut-on les considérer comme des lieux « culturels » au sens noble du terme ?


Des artistes mobilisés

Pour autant, certains artistes insulaires se sont efforcés de faire face à cette adversité en proposant un nouveau concept adapté à la situation : un concert en live sur leur page Facebook. Une façon de rester actif, de conserver le lien avec le public et d’apporter quelques instants de douceur face à un contexte sans précédent. Et si en mai, on aura eu l’impression que le cauchemar prenait fin avec les réouvertures de nombreuses structures, des chants et animations diverses dans les bars, hôtels et restaurants, quelques concerts sporadiques ici et là…, le mal était fait et la deuxième lame, elle, allait anéantir tous nos espoirs à compter du mois d’octobre. En mars, déjà, une association « Diversità faci ricchezza » montrait sa colère et son désarroi face à une politique culturelle étendue sur tout le territoire sans prendre en considération les spécificités des régions plus ou moins touchées par la crise sanitaire.

À compter d’octobre, et malgré les efforts conséquents de la Collectivité de Corse mais aussi d’artistes, responsables de salles etc...de proposer une alternative, de s’adapter et de limiter la casse, le deuxième confinement a eu l’effet d’un tsunami. Surtout dans une île comme la Corse où le tissu économique est particulièrement faible.


À quand le retour ?

Depuis cinq mois maintenant, nous sommes face à un désert culturel. Certains acteurs se mobilisent comme l’association « Diversità fazci ricchezza » qui propose quasiment chaque semaine, des animations dans le centre-ville d’Ajaccio. Mais la crainte est toujours là. Une crainte, du reste, évoquée en janvier dernier par Marie-Jeanne Nicoli, nouvelle président du CESEEC. Tous les artistes et groupes qui avaient prévu de sortir un album en 2020 ou 2021 (on pense notamment à Voce Ventu ou Contraversu) on dû reporter l’échéance. Les salles de spectacles et cinémas restent fermés tout comme l’ensemble des lieux culturels. La Semaine Sainte (annulation du Catenacciu à Sartè) s’en est trouvée également perturbée. Et que dire, dans un aspect plus économique, de toutes les foires à thème constituant la vitrine indispensable du savoir-faire insulaire, annulées elles aussi depuis un an. Le pire, dans l’histoire, c’est que l’on ne perçoit pas la moindre lueur d’espoir.
C’est dans ce contexte particulièrement douloureux que vont se dérouler, en mai prochain, les festivités liées au bicentenaire de la mort de Napoléon. L’été approche à grand pas et si quelques sites et musées semblent rouvrir, la saison estivale qui s’annonce et où la culture (festivals, foires, concerts…) occupe une part très importante ne se présente pas sous les meilleurs auspices...Triste constat... Comme tous les autres aspects liés à la crise (économique, sanitaire et sportif), il sera bien difficile de se relever…

Josepha Giacometti  « Il faudra reconstruire ce lien avec le public et replacer la culture au centre de notre projet »

À l’arrêt depuis un an, la culture insulaire est, dans tous ces aspects, dans le dur. Un contexte et d’éventuelles perspectives sur lesquels revient Josepha Giacometti, conseillère territoriale en charge, entre autres, de ce volet...

Quelle analyse, faites-vous, au niveau de la culture un an après le début de la crise sanitaire ?

C’est bien sûr une crise sans précédent à laquelle personne ne s’attendait. Mais je crois que les mots prononcés par le Gouvernement français ont été suffisamment explicites. La culture a été présentée comme « non essentielle », des propos que je qualifierais de choquants ! La culture étant, pour nous, l’essence d’un peuple, nous sommes déjà dans un paradoxe. Ce langage technocratique fut, à mon sens, une erreur fondamentale. La Cdc s’est efforcée d’être présente dès le mois d’avril 2020 à travers des dispositifs spécifiques pour venir en soutien aux artistes impactés. En assouplissant, notamment, le règlement d’aides ou en prenant en charge les frais engagés en amont pour des concerts et/ou festivals annulés l’été, des aides aux librairies et aux cinémas. On a lancé des appels à projet pour activer la commande publique sur le livre, le chant, la musique, les arts plastiques... On a maintenu les résidences de création afin que les artistes puissent conserver leurs heures pour leur statut.

Comment voyez-vous la suite ?

Il faudra reconstruire ce lien avec le public et replacer la culture au centre de notre projet. Face à cette crise, nous devons montrer notre différence. Lors du premier confinement, tout le monde a été logé à la même enseigne. Mais les acteurs culturels ont été présents, ils savent se réinventer, c’est leur métier au quotidien. Ils ont fait des propositions contribuant à retisser un lien nécessaire avec le public. Nous sommes, aujourd’hui face un double enjeu. Avant le Covid on était dans une culture minoritaire et cela n’a pas changé. Il faut développer cette culture qui est enracinée tout en la maintenant dans la société dans laquelle elle vit. C’est cet ensemble, culture, langue, usages, qu’il convient de faire vivre à travers nos artistes. Et pas seulement en période de Covid...

Quelles perspectives ?

Il y aura des adaptations à long terme pour le monde culturel. Des mutations profondes voient le jour, d’où la nécessité d’un accompagnement inscrit sur le long terme. Il faudra que les salles rouvrent leurs portes à un moment donné et il faudra soutenir la création artistique et mettre en place une stratégie de diffusion.

Quid des salles de spectacle ?

J’ai soumis un protocole sanitaire renforcé aux autorités préfectorales pour la réouverture des musées, sites et salles de spectacles. On ne sait pas encore quand ces structures vont rouvrir mais on doit s’y préparer. D’autres pays d’Europe ont fait des choix différents de ceux de la France. On a obtenu la réouverture des sites d’Aleria, Cuccuruzzu, on travaille sur la réouverture des musées. Je propose aussi la cinémathèque de Corse, les protocoles sanitaires sont prêts, nous sommes disposés à les mettre en œuvre.

Les intermittents du spectacle ?

On a conservé les résidences de création. Pour le reste, nous avons des centaines d’intermittents en Corse et la fin des droits est prévue, malgré la crise, au 31 août 2021, je vais donc saisir la Ministre de la culture car il s’agit de l’absence d’une prise en compte de la réalité. La crise continue et les acteurs culturels attendent une visibilité qui fait toujours défaut. Nous n’avons aucune sortie progressive programmée et l’on continue de maintenir le 31 août 2021 comme date butoir de fin des droits. Il faudra un calendrier et une année de référence pour prendre en compte le calcul des droits à venir. La Corse a vocation à porter cette préparation de réouverture des salles. Malgré les études qui viennent le démentir, on continue de dire que les lieux de culture sont contaminants…
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