• Le doyen de la presse Européenne

Être ou ne pas être telle est la question pour la majorité nationaliste

La pandémie du COVID a démontré à quel point les habitudes culturelles étaient fondamentales dans la gestion des crises.
La Corse n'a pas fait exception, tout entière empêtrée dans ses attitudes paradoxales vis-à-vis de l'État. Tant qu'elle ne sera pas capable de dépasser ses tropismes, elle restera au milieu gué détestant tout à la fois le pouvoir central et se montrant incapable d'agir sans lui.

Déjà autrefois

La Corse n'a pas à proprement parler connu de société féodale au sens classique du terme. Elle a persévéré dans un mode sociétal qui tient tout à la fois de la tribu et du clientélisme romain. C'est Ugo Colonna qui, envoyé par Charlemagne, pour chasser les Maures de l'île, aurait apporté dans ses bagages les liens complexes de la féodalité. Hormis le fait qu’Ugo Colonna ne fut vraisemblablement qu'une invention légendaire, il reste à démontrer que la Corse connut un Moyen-Âge au sens classique du terme. Il y eut bien entendu les seigneurs cinarcais et leurs descendants. Mais à quelle époque ceux-ci développèrent-ils les relations de seigneur à vassal sinon conjoncturellement quand cela correspondait à leurs intérêts immédiats. Par ailleurs, la féodalité italienne fut dominée par l'accumulation des richesses provoquées en grande partie par le commerce quand celui de l'Europe plus septentrionale l'était par les possessions terriennes. Les mutations insulaires et l'émergence du caporalisme firent que le système tribal perdura. Un chef entraînait avec lui ses "gens" de quelque côté qu'il se tournât. Lorsque Paul Bourde journaliste du Temps écrivit en 1887 son reportage intitulé "En Corse : l'esprit de clan, les mœurs politiques, les vendettas, le banditisme" il introduisit le terme écossais de "clan" qui étymologiquement ramène aux racines. Et si la modernité a eu raison des clans historiques cette dernière décennie, elle a permis à d'autres bourgeons d'éclore. Car il ne fait aucun doute que les nationalistes qui avaient fait de la dénonciation du système clientélaire l'une de leurs principales revendications, en sont à leur tour devenus tributaires. On ne change pas les mentalités profondes d'un peuple avec quelques élections.


Comme autrefois

La victoire aux nationalistes aux territoriales ne fut pas le résultat d'une crue historique comme ils le proclamèrent avec une certaine arrogance mais bien celui de l'usure des clans traditionnels. L'être humain demande à être nourri et sécurisé. Les besoins de liberté, de démocratie restent marginaux et exigent un niveau économique qui, lorsqu'il disparaît, laisse apparaître les peurs essentielles de l'homme à commencer par celle de sa propre mort. Enfin, il existe partout un substrat culturel qui peut être habillé de vêtements politiques mais ne disparaît jamais. Les Chinois sont restés des Chinois au-delà du communisme tout comme les Russes, les Anglais, les Français. Les Corses témoignent à travers leur histoire de caractéristiques méditerranéennes et insulaires qui transcendent les évènements politiques. Ils veulent que leur avenir, celui de leurs enfants, soit assuré fut-ce au détriment d'un véritable désir de liberté (qui est rarement celui de l'indépendance). Les électeurs nationalistes exigent de leurs élus ce que leurs ancêtres exigeaient des clans auxquels ils appartenaient : des services dont bénéficiaient hier leurs adversaires à savoir la préférence pour l'emploi et divers avantages pécuniaires.


Cela peut-il changer ?

Les facteurs qui favorisent voire exigent un changement sont nombreux : éclatement de la cellule familiale traditionnelle, nouvelles technologies, éducation mais surtout relation à l'état central. Les clans jouaient un rôle de courroie de transmission depuis leur clientèle jusqu'aux décideurs représentant la puissance tutélaire. Désormais l'État est affaibli ce qui a provoqué la chute du clanisme de grand-papa. Les nationalistes ont profité de cette alternance mais ne disposent d'aucun outil pour changer le système. Ils en sont les bénéficiaires en même temps que les victimes. En prenant systématiquement le contre-pied de l'État pour affirmer leur utilité existentielle, ils scient la branche sur laquelle ils ont poussé. Et plus encore dans la situation actuelle, postérieure à la pandémie virale. Sans l'argent de l'État, ils verront leur source s'assécher. Ils se retrouvent donc dans une situation non plus paradoxale mais impossible. Pour survivre sans enflammer leurs haines intestines, il va leur falloir faire preuve d'une intelligence qui leur a singulièrement manqué jusqu'à aujourd'hui. Leur victoire tenait à quelques pourcents de l'électorat. Il se pourrait bien que l'accumulation des échecs entame ce nécessaire électorat qui n'avait voté pour eux que parce qu'ils incarnant à ses yeux la nouveauté et le changement.
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