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"Duos dans le vent" , danse contemporaine: Eloge du moment présent

« Duos dans le vent », nouveau spectacle de la compagnie « CreaCorsica ». Quatre danseurs. Chorégraphie de Kevin Naran. Musique et chant de Carmin Belgodère. Images de « PastaProd » pour Via Stella. Une réussite !
« Duos dans le vent », danse contemporaine.
Eloge du moment présent



« Duos dans le vent », nouveau spectacle de la compagnie « CreaCorsica ». Quatre danseurs. Chorégraphie de Kevin Naran. Musique et chant de Carmin Belgodère. Images de « PastaProd » pour Via Stella. Une réussite !



« Duos dans le vent » ou une exploration de ce qu’Eole nous offre de la caresse la plus infime et délicate à la gifle la plus rude et brutale. Le spectacle créé par « CreaCorsica » inventorie tous les aspects du vent, du souffle du Zéphir à la rafale qui pulvérise tout sur son passage, du bruissement qui flatte l’oreille au rugissement force 10 ou plus. Pour matérialiser, pour incarner cet élément mystérieux qui a toujours l’air de n’en faire qu’à sa tête Kevin Naran a recours aux rhombes. Des instruments singuliers qui nous viennent du fond des âges.

Les rhombes du spectacle empruntent une forme aérienne, dynamique, élancée faites de tiges de bois munies d’élastiques pour la résonance. De loin, elles évoquent une géométrie de triangles mariée à des losanges. A l’origine ces instruments sont plus simples puisqu’ils ne nécessitent qu’une baguette terminée par une cordelette que l’on fait tournoyer. On les trouve surtout en Océanie mais aussi en Afrique. Ceux utilisés pour la pièce, « Duos dans le vent », déclinaison de la version initiale, sont l’œuvre de Jen Baptiste Clayet, collaborateur de la compagnie de danse ajaccienne.

Il y a tantôt de la douceur, tantôt de la douleur, tantôt de la joie, tantôt de l’affliction dans les duos des danseurs. Le spectacle est inventif car il ménage sans cesse des surprises. Il nous emporte sur les ailes d’un moulin au gré de facéties imaginaires d’un Quichotte ou nous entraîne dans un monde d’éoliennes très moderne revisitant toutefois un phénomène naturel éternel.

Précision du mouvement des danseurs ciselant les instants intimistes. Ampleur du geste qui s’extériorise. Comme le dit, à la fin en voix off Kevin Naran, ils racontent sans dire de phrases. Ils s’expriment avec le cœur, avec la peau, avec leurs sensations… Ils nous parlent sans émettre de sons… et leur langage est plus fort que des mots… Ils écrivent avec leurs corps.

A la guitare, à la cetera, à la voix, Carmin Belgodere ne se contente pas de les accompagner il assume une participation pleine et entière au spectacle au point d’en être indissociable.

Découvert par Pat O’Bine, cofondatrice de « CreaCorsica », Kevin Naran est originaire de Nouvelle Calédonie. Si la crise sanitaire le tient pour l’heure éloigné de son île, il vient néanmoins d’avoir la chance de travailler à Paris avec des danseurs kanaks sur « Naissance d’un guerrier », court-métrage de Gino Pitarche. Avec la compagnie corse il doit également se déplacer au Centre National de Chorégraphie de Roubaix dont la réputation n’est plus à faire !

La captation subtile de « Duos sous le vent » par les réalisateurs de PastaProd est à revoir ou à découvrir en replay sur Vian Stella en attendant une seconde diffusion.




Distribution
« Duos dans le vent »
Compagnie « CreaCorsica ». Chorégraphie : Kevin Naran. Danse : Géraldine Nasica, Laura Desideri, Thomas Snoult, Kevin Naran.
Costumes : Cécile Erliche. Rhombes : Jean Baptiste Clayet. Lumières : Cédric Gueniot.
Captation : P. Raffalli et PF Cimino de PastaProd.

            « On a exploré les sensations générées par le rhombe avec ses mystères, avec ses potentiels de lenteur et de vitesse. »

Kevin Naran


Déjà dans le spectacle, « Oculus », en 2015, vous aviez utilisé le rhombe. Pour quelles raisons son emploi dans « Duos dans le vent » ?

Lors d’une représentation d’« Oculus » à Ajaccio un problème de micro nous avait fait réaliser le pouvoir du rhombe sur le public. Cet incident s’est incrusté en moi et a été au début de ma réflexion pour « Duos dans le vent ».


Le rhombe est-il un souvenir de votre enfance calédonienne ?

Pas du tout ! Le rhombe n’appartient pas à mon histoire personnelle. Il ne fait pas partie de mon autobiographie, pas plus que le spectacle, « Duos dans le vent ». Pour « Oculus » c’est le musicien, Jean Michel Giannelli, qui m’avait proposé cet instrument.


Les rhombes de « Duos dans le vent » ont une forme particulière. D’où provient-elle ?

Il y a peu de données sur cette question. Le rhombe m’a séduit par son côté simple à fabriquer puisqu’il n’exige que du bois et des élastiques, parce qu’on peut le faire fonctionner à la main ou posé sur le sol, dans ce cas il s’approche du rituel. Autre atout, le son du rhombe peut susciter la contemplation et ouvre en grand les fenêtres de l’imaginaire. En danse contemporaine on recourt souvent au piano, au violon avec le rhombe on démontre qu’on peut se servir d’instruments multimillénaires, très éloignés de notre espace-temps.


Les danseurs se sont-ils facilement adaptés à l’utilisation du rhombe ?

J’ai commencé avec eux par un processus progressif afin de les habituer à cet instrument. Ils se sont vite acclimatés à son maniement, à le faire tourner plus ou moins rapidement pour que le son résonne par friction. Dans mes spectacles c’est le corps des danseurs qui prime, c’est lui qui détermine l’atmosphère.


Comme chorégraphe quelles possibilités vous offrent les duos ?

A la compagnie « CreaCorsica » j’ai pris le relai de Pat O’Bine, elle-même danseuse et chorégraphe. Elle m’a initié à l’eutonie, une pratique qui repose sur la saisie, le contact, le toucher plus ou moins doux, l’inter-espace entre deux danseurs, l’espace. C’est là un vocabulaire très intéressant en danse contemporaine. Ce vocabulaire se différencie de celui de la danse classique. Cette approche évite de faire reposer le travail exclusivement sur la force musculaire et autorise le plus de légèreté possible.


Vous dites que « Duos dans le vent » est un éloge du moment présent. Qu’entendez-vous par là ?

C’est ma manière d’border la danse contemporaine. Ma recherche est axée sur la sensation ressentie au moment présent. « Duos dans le vent » ne propose pas une histoire qui serait l’addition de séquences mais déploie un fil conducteur. Cette image de fil déroulé me tient à cœur.


Votre écriture chorégraphique comment la définissez-vous ?

Je ne programme pas tout à l’avance. « Duos dans le vent » s’est construit au fur et à mesure des résidences d’artistes. Si je suis ouvert aux propositions de ceux qui travaillent avec moi, je sais ce que je veux… Il me faut plus que de la seule technique, car ce serait risquer le mimétisme ! D’abord on a été attentifs à chercher en nous des correspondances, de l’empathie. Puis on a exploré les sensations générées par le rhombe avec ses mystères et ses potentiels de lenteur et de vitesse.


Pourquoi Carmin Belgodere à la musique et au chant ?

Au départ j’ignorais quelle serait la musique du spectacle. J’ai songé à Carmin parce qu’artistiquement je nous ai perçus proches et que sa voix est remplie d’émotion. Dès qu’il nous a rejoint lors de notre résidence de Pigna, j’ai vu qu’il serait parfaitement complémentaire. Sa musique, ses chants composent avec les mouvements des danseurs de véritables tableaux. Il a été véritablement partie prenante de la création. Avec la résonance des rhombes ses mélodies mettent en valeur des moments très contrastés et parfois contraires. Par sa chaleur humaine et son inventivité sa participation a été passionnante.


Les vêtements des danseurs sont simples mais emblématiques, dans quel but ?

Très souvent les très jeunes arborent des symboles punks sans être militants. Cécile Erliche, la costumière, s’est emparé de mon observation pour envoyer un message sur le féminin-masculin qui lui appartient.


Avez-vous l’habitude de danser avec Thomas Snoult, Géraldine Nasica, Laura Desideri ?

Avec Thomas nous avons déjà dansé, « Café de la place ». Pareil avec Géraldine qui a une école de danse à Porto Vecchio. Thomas et elle dégage une grande maturité. Quant à Laura on s’est souvent croisés. Elle allie légèreté et rapidité. Nous sommes tous complémentaires. Les cheveux très longs des danseuses ont un aspect très visuel et énergétique.


Pour la captation télévisuelle avez-vous apporté des changements à votre chorégraphie initiale ?

J’ai rythmé autrement le spectacle car toute chorégraphie est influencée par l’endroit qu’elle a pour cadre. J’ai donc fait une adaptation. En collaboration avec Cédric Gueniot aux lumières nous avons travaillé à une mise en images particulière. Ensemble on a beaucoup échangé, dialogué.

Propos recueillis par M.A-P
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