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"Histoire -S en Mai" Singulière Laure Limongi

Laure Limongi est incontournable sur la scène littéraire
Singulière Laure Limongi

Autrice, animatrice d’ateliers à « Histoire - s en Mai ». Récipiendaire du Prix du Livre Corse, qu’elle n’avait pu recevoir en octobre dernier pour cause de Covid. Invitée de l’émission télévisée, « Librarià » de Marc Biancarelli sur Via Stella. Laure Limongi est incontournable sur la scène littéraire. Ici et ailleurs. Caractéristique : sa singularité alliée à beaucoup de chaleur humaine.


Laure Limongi récompensée par le jury du Prix du Livre Corse pour « On ne peut tenir la mer entre ses mains », un livre aussi beau que son titre. Une prose fine qui a du rythme, qui a du souffle, qui laisse imaginer –presqu’inventer – simultanément qu’on déroule au fil des pages une histoire insérée dans la société corse contemporaine. Une histoire de secret, révélé pas à pas, quasiment dépiauté, hors d’une temporalité linéaire. Demain. Hier. Aujourd’hui. Des croisements. Des décalages. Et pourtant le fil ne casse pas… Une écriture très personnelle. Très reconnaissable. Une écriture qui a le pouvoir de surprendre…

Ce roman on le déguste à petite goulée. En temps longs et lents… On le savoure en ses lieux qui mènent de Bastia à la Castagniccia avec escale à la Ciotat et avec pour terminus – provisoire ? – Paris. Le secret rode autour des personnages. Les taraude. Les agresse. Les maltraite. Il faut que son venin perde en virulence. Il faut le domestiquer à l’usure des jours, de la banalité quotidienne, de l’ordinaire. La migraine, c’est à cette maladie que Laure Limongi s’en prend dans « Anomalie des zones profondes du cerveau ». La migraine, fléau aussi fréquent qu’insupportable.
Un texte très particulier à l’approche plurielle mêlant témoignage, poésie, science. Recherches multidirectionnelles pour cerner le mal. Pour le comprendre. Pour le mater. Autre attitude : s’en accommoder ! Le faire sien en l’intégrant à ses malfaçons corporelles congénitales. Les langues, ce qu’elles ont d’unique dans leur art de dire et de faire société, afin d’en humer senteurs attirantes ou effluves désagréables. Langues révélatrices des mécanismes sociétaux quelles que soit leurs implantations géographiques ou temporelles. Langues fabriquées issues de l’intelligence artificielle ou sculptées dans les matrices des âges.

Avec « J’ai conjugué ce verbe pour marcher sur ton cœur » Laure Limongi nous propose une exploration en neuf déambulations sinueuses et inédites dans des territoires de langues porteuses de rituels composés et composites. Le respect du monde, de ses langues, de ses savoirs, voilà ce qui tient à cœur à l’écrivaine. Car dans la nature tout est symbiose. Tout est interaction. La clé du bonheur est, pour elle, à la portée de chacun si l’on prend soin de ce qui nous entoure, de ce qui nous relie…


Laure Limongi a écrit une douzaine d’ouvrages. Elle enseigne à L’Ecole Nationale d’Arts de Cergy-Pontoise. Jocelyne Casta, responsable des médiathèques bastiaises, lui a remis son prix.

« Les langues – toutes les langues – sont gourmandise pour moi. »




Pourquoi les titres de vos ouvrages sont-ils plutôt longs ? Est-ce pour les poétiser ? Pour cultiver un temps lent ?

A dire vrai c’est par série. « Anomalie des zones profondes du cerveau » devait s’intituler, « Passion », au sens religieux de souffrance car le texte parlait de maladie, mais mon éditrice m’a fait remarquer que le sens sacré de passion pouvait échapper à nos contemporains. J’ai alors adopté un format long qui se retrouve dans mes ouvrages suivants… Certes, dans mes livres, il y a aussi une notion de temps lent avec beaucoup de retours de page, de pauses de lecture, d’un rythme marqué par des ralentissements qui peuvent être propres à chaque lecteur.


Pourquoi « griffez » vous vos livres de citations ?

Gilbert Sorrentino, écrivain que j’admire, a écrit que les auteurs sont une « bande collaborative ». Moi, non plus, je ne crois pas à l’unicité littéraire. La littérature est comme un palimpseste, tout ce qu’on écrit l’a déjà été. On ne fait que des variations. Mes citations sont une façon de rendre hommage à des écrivains qui m’ont précédé. De leur rendre tribut.


Les jeux typographiques que l’on peut retrouver sur certaines de vos pages sont-ils là pour façonner l’espace ?

J’ai une formation d’éditrice, longtemps j’ai fait des maquettes et j’apprécie encore de bosser avec des maquettistes. J’aime également beaucoup la poésie visuelle. Voilà pourquoi il y a, parfois, des jeux typographiques dans mes livres mais il faut qu’ils servent le texte, qu’ils soient importants pour le lecteur.


Les langues vous sont primordiales. Certaines peuvent éclore spontanément dans la tête d’un gamin. D’autres sont le résultat de l’intelligence artificielle. Ainsi dans « J’ai conjugué ce verbe pour marcher sur ton cœur ». Pourquoi cet intérêt ? Est-ce parce qu’elles sont des marqueurs humains par excellence ?

Les langues - toutes les langues – sont gourmandise pour moi. J’ai la passion des langues, raison pour laquelle j’ai fait « Lettres classiques ». Comment ça marche une langue, ça me fascine !... Etudier comment fonctionne le moteur d’une langue permet de saisir les enjeux culturels d’une société. Je m’interroge aussi sur le langage artificiel et ses développements. La question de la déperdition des langues du monde me pousse à faire le parallèle avec les dégâts commis envers l’environnement. Il y a parallélisme entre écologie et linguistique.


Quelle influence exerce sur vous – autrice – la photographie ?

La photographie, l’art en général, sont importants. Mon premier travail de recherche portait sur les œuvres de Denis Roche, poète, écrivain, photographe que j’ai eu la chance de rencontrer et avec qui j’ai pu échanger. Par ailleurs mon frère, bien plus âgé que moi, voulait être photographe. Il avait installé un laboratoire dans notre maison et il me montrait le processus de la photographie à l’argentique. Est-ce que tout cela influence mes textes, je ne saurais le dire …


La musique joue également un rôle important pour vous. De Bach à Pierre Henry, compositeur contemporain vos goûts sont vastes ?

Ils sont éclectiques. J’ai commencé tôt le piano et très vite j’ai été impressionnée par l’interprétation de Glenn Gould des « Variations Goldberg ». Puis j’ai découvert la musique improvisée et expérimentale et fait la rencontre de Pierre Henry. J’ai travaillé avec lui pour une voix sur une de ses partitions et écrit des textes sur des livrets de certaines de ses compositions. En musique je ne me cantonne pas à un style. Je peux aussi écouter le rock très râpeux des groupes, « Shellac » et « Oxvow ».


D’où votre livre sur Elvis Presley et un autre consacré à Glenn Gould ?

J’étais partie de l’idée qu’Elvis était solaire et Glenn Gould lunaire. Or, c’était faux ! Gould avait des côtés loufoques et Presley une grande part d’ombre. Dans « Fiction Elvis » j’aborde et analyse sa starisation comme produit de son époque. Dans « Soliste » j’ai repris la construction des « Variations Goldberg » pour évoquer Glenn Gould.


Avez-vous été attiré un temps par le « Nouveau Roman » ?

Beaucoup… Je ne pouvais faire autrement car Sarraute, Duras, Claude Simon, Robbe-Grillet étaient au programme de « Normale Sup » ! J’aime en particulier Michel Butor pour sa liberté d’écriture. Par exemple dans son évocation de San Marco à Venise où se concentrent toutes les langues parlées par les touristes qui visitent la basilique. Mais si le « Nouveau Roman » a un effet sur mes descriptions, c’est involontaire.


Que vous apporte votre engagement en littérature ?

Cet engagement est une nécessité. Sans l’écriture, sans l’art il n’est pas possible d’exister dans le monde où l’on vit parce qu’ils sont essentiels. Comme éditrice, autrice, professeure d’écriture je défends la diversité chez les auteurs qui est un principe de leurs biotopes. Je crois en la littérature qui n’est pas une histoire d’élites et ça je le vérifie dans les ateliers avec les élèves, dans les débats que j’anime avec les jeunes ainsi que dans mon enseignement.


Que représente pour vous la Corse où vous êtes née, où vous avez grandi ?

Un espace fondamental de création. Une matière littéraire phénoménale. J’ai mis beaucoup de temps à me réapproprier cette terre… à cause des clichés. Des caricatures. Chaque fois que je reviens à Bastia, dès que je le peux je prends la route de mon village en Castagniccia. Elle est magique cette route !

Propos recueillis par M.A-P






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