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Jean-Noël Marcellesi, Président du cercle des grandes maisons de Corse

« Il faudra trois à cinq ans pour se remettre de la crise économique qui s’annonce »
Le Covid 19 continue, même s’il semble baisser quelque peu, de susciter la peur au sein de la société corse. Pour autant, et derrière une crise sanitaire qui est encore loin d’être achevée, une autre, économique, se profile déjà. En Corse, l’après coronavirus n’est pas encore là mais la situation se complique un peu plus chaque jour. Exits, les vacances de Pâques et le mois de mai qui donnaient le coup d’envoi de la saison estivale. Déjà sur le pont, hôteliers et restaurateurs ont écouté attentivement le Président de la République qui s’est exprimé la semaine dernière. L’occasion, pour Jean-Noël Marcellesi, président du cercle des grandes maisons corses, d’exprimer son sentiment sur une situation qui semble bien compliquée…


Quelle analyse, faites-vous, des déclarations du Président de la République la semaine dernière ?
Nous savions déjà et depuis quelques temps qu’il n’était pas envisageable d’ouvrir les établissements avant la mi-juin, voire la fin juin. De ce point de vue, peu de choses ont changé mais un certain nombre de points d’interrogations subsiste au lendemain de l’allocution d’Emmanuel macron : Quand les restaurants pourront-ils ouvrir leurs portes ? Idem pour les hôtels destinés à accueillir une clientèle touristique qui ne pourront pas ouvrir sans restaurants, qu’ils appartiennent aux hôtels ou à des tiers. Par ailleurs, les conditions sanitaires restent encore très floues, quelles contraintes spatiales en termes de déplacement ? Il est dit, enfin, que les lieux de rassemblement public resteront fermés au moins jusqu’au 15 juillet et la question qui se pose est de savoir si l’on englobe les plages dans ce type de rassemblement. Cela fait beaucoup d’interrogations…

Quelle est la position des hôteliers ?
Nous avons, et le cercle des grandes maisons en particulier, la volonté d’ouvrir nos établissements, quoiqu’il nous en coûte. Encore faut-il que nous soyons en mesure d’accueillir notre clientèle dans des conditions à peu près normales. C’est, aujourd’hui, la seule restriction liée à cette volonté d’ouverture.

D’où une vive inquiétude ?
On est forcément inquiet car nous savons très bien que 2020 sera une année noire. On s’apprête tous à connaître des déficits très importants. Ceci étant, il nous semble que notre devoir, si les conditions sont réunies, sera d’ouvrir nos établissements. Le flux économique ne s’arrête pas là et la présence des touristes dans toutes les structures d’hébergement permet, en aval, l’irrigation de tout le tissu économique (restaurants, bars, glaciers, commerces, transports, agriculteurs, maraîchers…). De ce point de vue, il y a aussi un devoir de solidarité à l’égard du reste de l’économie. À cette occasion douloureuse, on comprendra peut-être enfin que le tourisme est l’activité motrice de la Corse. Sans tourisme, pas de richesse…

« Il faudra, pour l’Etat, aller vers des effacements de charges pour la plupart des entreprises touchées »

Craignez-vous que dans une île qui compte une majorité de PME, certains ne s’en remettent pas ?
L’Etat fait son devoir mais il devra aller plus loin. On sait déjà que la durée du confinement et la profondeur de la crise en Corse demanderont des efforts supplémentaires de sa part. Mais il est tout aussi nécessaire que les autorités régionales qui ont la compétence tourisme prennent enfin leurs responsabilités. Pour l’heure, leurs préconisations font l’effet d’une goutte d’eau ! Leurs propositions sont indécentes, inadaptées et ne sont pas à la hauteur des enjeux. La compétence tourisme relève de la Région et nous sommes en droit d’attendre beaucoup plus. L’Etat devra donc aller plus loin mais la CdC devra, elle aussi, et de manière plus apparente, jouer son rôle.

Qu’attendez-vous de l’Etat ?
Il faudra aller vers des effacements de charges pour la plupart des entreprises touchées, vers des reports d’échéances bancaires en fin de cycle, vers un renouvellement des dispositifs du crédit d’impôt avec un élargissement. Il faudra aussi des mesures structurelles de long terme sur les murs des hôtels et de toutes les structures d’hébergement, des crédits sur le temps long-vingt à vingt-cinq ans-avec des différés d’amortissements de trois à cinq ans, et enfin un dispositif sur les structures immobilières et foncières de tous les établissements d’hébergements de quelque catégorie qu’ils soient.

Lors de son allocution, le Président de la République a évoqué un plan pour aider les régions à vocation touristique, faut-il y voir une éventuelle porte de sortie pour la Corse ?
Un plan en faveur de la relance du tourisme devrait, en effet, être mis en place. Mais nous demandons au Gouvernement que la particularité de la Corse y apparaisse…Là aussi, nous sommes dans le flou le plus total.

Quid de la Région ?
La Région doit définitivement prendre la mesure de l’événement. Et cela doit se traduire concrètement par des efforts conséquents en termes de budget. Si l’on prend l’exemple de l’ATC, qui se borne à mettre en place une campagne de communication pour véhiculer une image positive de la Corse, on mesure combien c’est totalement inadapté. Il faut plus de moyens financiers et c’est ce que nous sommes en droit d’attendre de la Région.

Avec la fermeture des frontières, ne pourrait-on pas assister à un rush de vacanciers français, en quête d’une certaine proximité, sur la Corse ?
On parle de proximité par rapport à une clientèle plus lointaine mais n’oublions pas, quand bien même la clientèle française est la plus importante, que nous avons, avec la Bretagne, le Pays Basque ou la Côte d’Azur pour ne citer que ces régions, une concurrence assez rude. Nous ne sommes pas les seuls sur le marché. N’oublions pas, non plus la baisse du pouvoir d’achat, conséquente, et le transport, qui est Corse, très cher. Trop sans doute.

La Corse se remettra-t-elle de cette crise économique ?
Nous sommes toujours en période de confinement et ignorons encore quand la saison débutera, si elle débutera et dans quelles conditions. On sait que le tourisme représente 25% du PIB Corse à hauteur de 2,3 milliards d’euros. Et si l’on ajoute les effets induits sur les transports, la grande distribution, le commerce et la restauration, nous atteignons, largement, les 50%. Le PIB Corse, c’est 9 milliards d’euros, on s’attend globalement à une perte moyenne, cette année, de 50% de nos chiffres d’affaires. Le manque à gagner sera énorme. On va s’acheminer vers un recul du PIB de 18 à 25% ! Pour répondre à votre question, je dirais qu’il faudra 3 à 5 ans pour se remettre de la crise qui s’annonce. Il faudra des mesures très fortes, structurelle, à long terme, dirigées vers le foncier, l’immobilier et les établissements d’hébergement.
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