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Arménie : drôles d'amis et éternel recommencement

Aujourd'hui comme hier, les intérêts des puissants l'emportent sur les principes.

Arménie : drôles d’amis et éternel recommencement


Certains responsables politiques nationalistes qui en appellent à tout bout de champ à l’Union Européenne pour faire reconnaître les droits nationaux qu’ils souhaitent voire rendus au peuple corse, se bercent d’illusions. Aujourd’hui comme hier, les intérêts des puissants l’emportent sur les principes.

Les nationalistes corses ont souvent exprimé leur solidarité avec les combats du peuple arménien. Ainsi, durant les années 1980, Ara Toranian, l’actuel co-président du Comité de coordination des organisations arméniennes françaises (CCAF), a été un des invités des Ghjurnate Internaziunale. Cependant, même sans être nationaliste, il est difficile de ne pas accorder une attention particulière à la situation difficile que vit le peuple arménien depuis un peu plus d’un an.
L’Arménie, petit pays d’environ 3 millions d’habitants aux forces armées mal équipées, survit sous la menace d’un ennemi direct surarmé (l’Azerbaïdjan, qui compte 10 millions d’habitants), d’un ennemi héréditaire (la Turquie, puissance militaire majeure de 84 millions d’habitants) et d'un voisin iranien au caractère aussi ombrageux que changeant (l'Iran), et est confrontée au double jeu ou à la passivité de ses « amis ». En effet, depuis l’invasion en septembre 2020 par l’armée azérie d’une partie de l’enclave indépendante à population arménienne du Haut-Karabakh, et ce malgré qu’aient été avérés le statut d’agresseur de l’Azerbaïdjan et le soutien militaire considérable apporté à ce pays par la Turquie (armement sophistiqué, mercenaires djihadistes), l’Arménie a toute les raisons de se sentir en péril et surtout très seule.

Double jeu et lâcheté

La Russie a certes été à l’origine d’un cessez-le-feu qui a stoppé la progression des troupes azéries et des mercenaires islamistes. Mais elle l’a fait en prenant son temps. A la fois pour ménager la Turquie, son partenaire de jeux menteurs en Syrie en Lybie, et pour rappeler aux dirigeants arméniens qui voulaient s’émanciper de son emprise, qu’ils ne pouvaient le faire impunément. Et dernièrement, tout en s’engageant à poursuivre son action pour le maintien du cessez-le-feu, la Russie a déclaré : « Nous ferons de notre mieux pour contribuer à la normalisation des relations entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie. » Au double jeu russe, s’ajoute la lâche passivité américaine et européenne.
Alors que les présidents azéri et turc ont récemment paradé à Chouchi, cité berceau de la culture arménienne désormais aux mains des troupes azéries, et que ces mêmes troupes multiplient les incursions provocatrices dans les secteurs restés arméniens du Haut-Karabakh, les USA, l’Union Européenne et la France qui n’ont guère réagi durant l’invasion azérie, font encore profil bas. Les USA appellent l’Arménie et l’Azerbaïdjan à « trouver des solutions globales à toutes les questions en suspens liées au conflit du Haut-Karabakh ou en résultant ».
L’Union Européenne dit renvoyer chacune des parties à ses responsabilités. Le Quai d’Orsay joue la neutralité. Les intérêts de l’OTAN dont la Turquie est un pilier, la peur qu’Erdogan ouvre les vannes d’une émigration sauvages de Syriens et la puissance de l’immigration turque dans certains pays européens ne sont pas étrangers à ces positionnements. Pourtant ces acteurs internationaux connaissent la légitimité historique et démographique d’un pouvoir arménien dans le Haut-Karabakh. Pourtant aussi, ils savent que le président turc Erdogan se situe dans le droit fil d’un panturquisme qui a été un facteur majeur du génocide perpétré en 1915 contre la population arménienne.

Les intérêts l’emportent sur les principes

Tout cela conduit à se rappeler les mots terribles d’une chanson de Charles Aznavour « Ils sont tombés » qui met l’accent sur la passivités des puissances lors du génocide arménien (même si l’évocation du contexte y est anachronique car, en 1915, la Première guerre mondiale était en cours) :
« Nul n’éleva la voix, dans un monde euphorique/ Tandis que croupissait un peuple dans son sang / L'Europe découvrait le jazz et sa musique / Les plaintes de trompettes couvraient les cris d'enfants / Ils sont tombés, pudiquement sans bruit / Par milliers, par millions, sans que le monde bouge / Devenant, un instant, minuscules fleurs rouge / Recouverts par un vent de sable, et puis d'oubli. »
Tout cela conduit aussi à se dire que certains responsables politiques nationalistes qui en appellent à tout bout de champ à l’Union Européenne pour faire reconnaître les droits nationaux qu’ils souhaitent voire rendus au peuple corse, se bercent d’illusions. Aujourd’hui comme hier, les intérêts des puissants l’emportent sur les principes. Les petits peuples ont de drôles d’amis et souvent l’Histoire est un éternel recommencement.

Alexandra Sereni

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