Un retour de l'hiver menace la Tunisie
Beaucoup de Tunisiens voient dans l'action de leur Président de la République les signes d'un retour de l'arbitraire et les prémisses de l'instauration d'un régime autoritaire.
Un retour de l’hiver menace la Tunisie
Beaucoup de Tunisiens voient dans l’action de leur Président de la République les signes d’un retour de l’arbitraire et les prémisses de l’instauration d’un régime autoritaire.
Le « Printemps arabe » est une vague de révoltes populaires qui a déferlé sur le Maghreb puis le Moyen-Orient. Il a pris naissance le 17 décembre 2010, dans le gouvernorat de Sidi Bouzid, situé dans le centre de la Tunisie. Ce jour-là, un jeune vendeur ambulant auquel on venait de confisquer sa charrette et les fruits qu’il vendait sans autorisation, s’est immolé par le feu. Cet événement a été à l’origine de manifestations dans tout le pays qui, en moins d’un mois, ont contraint l’autocratique président de la République tunisienne Zine el-Abidine Ben Ali à renoncer au pouvoir. Le « Printemps arabe » a été à l’origine de la chute de trois autres autocrates : Mouammar Khadafi en Libye, Hosni Moubarak en Égypte, Ali Abdallah Saleh au Yémen. Très vite, étant bien implantés et organisés, et étant souvent soutenus par des puissances étrangères, les islamistes ont récupéré cette vague qui, initialement, était surtout porteuse d’aspirations à la démocratie et à la justice sociale. Ce qui a provoqué des conflits armés en Syrie et au Yémen qui durent encore aujourd’hui. Ce qui a favorisé la répression des forces démocratiques au nom de « la lutte contre le terrorisme » et le massacre de manifestants par l’armée saoudienne au Bahreïn. Ce qui a « justifié » la restauration d’un pouvoir autoritaire en Égypte. Jusqu’à ces derniers mois, la Tunisie est apparue comme le dernier pays où survivaient les conquêtes démocratiques issues du « Printemps arabe ». Cette exception est malheureusement en passe de relever du passé. En effet, en juillet dernier, le président de la République tunisienne Kaïs Saïed a décidé la mise en sommeil du Parlement et s’est octroyé les pleins pouvoir.
Contexte propice à l’acceptation de mesures autoritaires
> Le président Saïed a exploité un contexte propice à l’acceptation de mesures autoritaires. D’une part, il a répondu à l’attente populaire d’une action énergique causée par la dégradation de la situation économique et sociale (ralentissement de la croissance, forte hausse du chômage, paupérisation des populations rurales, endettement de l’Etat passé de 35% à plus de 100% du PIB, budget de l’Etat essentiellement consacré au traitement des fonctionnaires, investissement public quasiment au niveau zéro, amoncellements de déchets non collectés dans les zones urbaines, inquiétante perspective de devoir recourir au Fonds monétaire international (FMI), pour la quatrième selon des conditionnalités qui pèseront sur les plus démunis…) D’autre part, il a mis à profit l’effondrement de la popularité du parti islamiste Ennahda. Hier auréolé de son opposition courageuse à la dictature Ben Ali et d’une image de défenseur de la probité et de la justice sociale, Ennahda est désormais accusé, non sans quelques raison, de tous les maux : corruption, infiltration et prosélytisme dans les rouages de l’Etat, extorsion de fonds à des acteurs économiques, contrebande, complicité avec des acteurs de l’émigration clandestine, complaisance envers le djihadisme… Selon Axel Illatif, qui enseigne l’histoire contemporaine du monde arabe à l’Université Sorbonne Nouvelle Paris 3, l’action de Rachid Ghannouchi, l’action du leader d’Ennahda trouve sa place « dans la liste des plus grands désastres que la Tunisie ait connu à l’époque contemporaine »
Beaucoup s’inquiètent…
Le président Saïed ayant invoqué un « péril imminent » pesant sur le pays et promis des « réformes politiques » (dont une révision de la Constitution), son coup de force a d’abord été plébiscité. Selon une enquête d’opinion, près de 90% de Tunisiens ont déclaré soutenir leur président. Ces derniers jours, soit quatre mois après le coup de force et les réformes tardant à venir, ils ne sont plus que 66 % à afficher leur soutien. De plus en plus de Tunisiens craignent que Kaïs Saïed ait recours à la force pour enrayer les mouvements de défense des libertés et les revendications sociales. s’inquiètent qu’il considère la Constitution en vigueur étrangère à « la volonté du peuple », déplorent qu’il dénigre les syndicats, les médias et plus globalement la plupart des acteurs de la société civile. Ils s’alarment aussi de mesures affectant la liberté d’expression telles que l’interdiction par le ministère des Affaires culturelle d’ouvrages présentés à la Foire internationale du livre de Tunis qui a eu lieu en novembre, ainsi que de pressions exercées sur les médias et les animateurs de réseaux sociaux. D’aucuns voient dans tout cela les signes d’un retour de l’arbitraire et les prémisses de l’instauration d’un régime autoritaire. Un retour de l'hiver menace la Tunisie. Rien à voir avec une prévision météorologique...
Alexandra Sereni
>