Centre de surtri de Monte : c'est quasiment plié !
Quel sera l’épilogue ? Il est quasiment écrit. Le centre de surtri de Monte sera construit et exploité.
Centre de surtri de Monte : c’est quasiment plié !
Quel sera l’épilogue ? Il est quasiment écrit. Le centre de surtri de Monte sera construit et exploité. Un éventuel jugement du tribunal administratif prononçant l’annulation du projet et l’arrêt des travaux n’intervenant que dans des mois et une fois le chantier lancé, n’arrêterait rien.
Dans son bilan 2024, l'Observatoire des déchets ménagers de Corse relève qu’à l’échelle de l’île, le traitement vertueux des déchets collectés (points de collecte, porte à porte) est en plein marasme. Deux données sont aussi indicatives qu’incontestables : stagnation du taux de tri à la source, objectifs non atteints.
Comment expliquer cette situation ?
D’abord par une hausse de 2 % du volume collecté (219 693 tonnes ont été collectées, soit 632 kg par habitant ou plutôt par personne car il faut tenir compte de l’impact de la fréquentation touristique). Cependant la hausse du volume produit n’implique qu’un constat et n’est imputable à personne car elle était inévitable : elle a résulté de l'évolution démographique (environ 4000 nouveaux arrivants / an) et du dynamisme de la fréquentation touristique.
En revanche la stagnation du taux de tri à la source mérite d’être longuement commentée et analysée. Ce taux, 39 %, représente 2 points gagnés en quatre ans (37 % en 2020), 16 point de moins que le taux moyen national hors départements et territoires d’outremer (55 %), 21 points de moins que l’objectif qui avait été fixé par la Collectivité de Corse (taux de 60 % devant être atteint en 2023). Il est bien sûr tentant d’imputer la responsabilité de cette situation à la majorité siméoniste qui a poussé pour que le tri à la source soit considéré comme le fer de lance du traitement des déchets collectés, et que soit retenu l’objectif d’un taux de tri de 60 % en 2023.
Le faire serait toutefois inexact et injuste.
D’abord parce que lors de l’arrivée aux commandes de la Collectivité de Corse de Gilles Simeoni et ses amis et partenaire, en 2016, seuls 26 % des déchets collectés étaient triés. Il leur a donc fallu partir de très bas et il était nécessaire de compter avec le temps normalement nécessaire à l’élaboration et surtout la mise en œuvre de toute politique. Ensuite parce que, pour différentes raisons, le tri à la source ne suscite pas une mobilisation suffisante : une partie de la population résidente n’est pas acquise à la politique du geste de tri ou du moins à sa pratique systématique ; trop souvent le touriste n’a que faire des consignes de tri ou juge, étant en vacances « pour buller », fastidieux de les assimiler et les respecter ; la fréquentation touristique augmente les coûts de la collecte et du tri supportés par les résidents car la hausse du volume de déchets en résultant, impose de coûteuses adaptations (le député de la deuxième circonscription de Haute-Corse, François-Xavier Ceccoli, a d’ailleurs récemment déposé une proposition de loi demandant que soit donné aux collectivités, notamment aux intercommunalités, la possibilité d'instaurer une taxe additionnelle à la taxe de séjour pour leur permettre de disposer des moyens d'offrir une collecte et un tri adaptés à l’afflux de touristes, sans alourdir la charge imposée aux résidents) ; de nombreux territoires sont dépourvus de points de collecte adéquats ou sont sous-équipés, ce qui se traduit par de grandes disparités (taux de tri entre les 19 intercommunalités de l’île variant entre 28 % et 63 %) ; la question environnementale est aujourd’hui jugée secondaire du fait d’autres préoccupations (sécurité, pouvoir d’achat, remise en question des acquis sociaux…) et assimilée à une culture de la contrainte et de l’empilement des normes ; la politique des déchets est jugée à la fois confiscatoire (le coût corse de la gestion des déchets ménagers et assimilés, s’élevant à 314 € par habitant, est trois fois supérieur la moyenne nationale) et dépourvue de toute reconnaissance de l’effort de tri (qui trie et produit peu de déchets contribue fiscalement au financement de la collecte et du tri, autant que son voisin qui trie peu ou pas et remplit ses conteneurs ; il convient de noter que plusieurs associations qui militent pour la protection de l’environnement, plaident sans succès pour la mise en place d'une tarification incitative consistant à facturer l'usager en fonction du volume de déchets produits) ; des élus égratignent l’image du tri à la source en déplorant ouvertement qu’il impose d’importantes dépenses de fonctionnement et d’équipement qui grèvent considérablement les budgets intercommunaux et rendent difficilement supportables et acceptable la pression fiscale locale (d’autant que la Taxe d’enlèvement des ordures ménagères, TEOM, est applicable à tous les foyers sans qu’il soit tenu compte des inégalités de revenus). Si la majorité siméoniste ne peut être accusée en l’espèce, de tous les péchés d’Israël, il peut néanmoins lui être reproché des soumissions à des considérations idéologiques (écologistes) ou politiciennes (volonté de ne pas déplaire) qui la conduisent à des positions de prudence et d’attente alors que le dossier Déchets relève pour le moins de l’urgence. Ceci est particulièrement flagrant concernant le traitement du projet Centre de surtri de Monte.
Position claire et position bien moins lisible
Le projet de Monte dont la réalisation est portée par le Syvadec avec le soutien financier de l’État et l’assentiment du maire de la commune, est censé apporter une réponse technique et concrète à la stagnation du tri à la source et à une augmentation très probable, durant les années à venir, du volume de déchets collectés. La réalisation de ce projet est fortement contestée par des riverains, notamment des agriculteurs ayant le soutien de la Chambre d’Agriculture de Corse, des associations militant pour la protection de l’environnement et des acteurs politiques, principalement les élus et militants Core in Fronte.
Tous ces opposants, fédérés au sein d’un collectif (Collectif Piaghja di Golu), ont depuis des mois multiplié les actions (communiqués, tractages, conférences de presse sur site...) pour faire connaître leur opposition, exposer leurs arguments et exiger un renoncement. La dernière en date de leurs actions a consisté à empêcher la pose de la première pierre du chantier. Des manifestants, des tracteurs et des tractopelles ont bloqué l'accès en affirmant : « Tout le monde est contre. C'est un projet complètement néfaste à l'homme, la nature et la Corse ».
Ces opposant ne manquent d’ailleurs pas également d’affirmer que refuser le début des travaux, est s’opposer à un possible fait accompli qui serait irréversible malgré une décision de justice. En effet, le projet de surtri fait l'objet d’une action en justice en cours visant l’annulation : en avril dernier, un recours a été déposé devant le tribunal administratif de Bastia par cinq associations environnementales et des agriculteurs afin d’obtenir un arrêt des travaux ; et si le juge des référés a rejeté la demande, le jugement sur le fond n’interviendra que dans plusieurs mois.
En conséquence, le Syvadec a dû annuler la cérémonie et a même annoncé un report du début des travaux. Toutes les actions des composantes du Collectif Piaghja di Golu relèvent d’une position claire d’opposition totale qui est assumée depuis des mois. La position de la majorité siméoniste de la Collectivité de Corse est en revanche été bien moins lisible. Sa dernière prise de position n’a rien éclairci car si elle a déclaré être opposée à tout fait accompli et dit pis que pendre du projet, elle n’a pas signifié y être opposé.
En effet, la veille de la date prévue pour la pose de la première pierre, elle a fait savoir en ces termes qu'elle ne participerait pas à l’événement : « Le Conseil exécutif ne peut cautionner, par sa présence, cette politique du fait accompli, qui tend à vider le plan territorial de prévention et de gestion des déchets de sa substance, et à éloigner irréversiblement la Corse d’un système de gestion des déchets vertueux ». En fait, la majorité siméoniste semble hésiter entre un « oui » et un « oui mais ».
Le 24 juillet dernier, à l'Assemblée de Corse, elle a semblé nettement pencher vers le « oui ». En effet, le Plan territorial de prévention et de gestion des déchets (PTPGD) qu’elle a proposé et défendu, et qui a été adopté, n’exclut pas la possibilité de réaliser le centre de surtri de Monte « afin de sortir de la logique infernale de l'enfouissement et respecter les objectifs posés par la loi française et européenne ».
En mars dernier, répondant à une question posée par le groupe Core in Fronte accusant la majorité siméoniste de « rétropédalage», c’est-à-dire de se rallier à la réalisation du centre de surtri, Guy Armanet, conseiller exécutif et président de l’Office de l’Environnement de la Corse (OEC) a soufflé le chaud du « oui » et le tiède du « mais » En effet, il a d’abord fermement rappelé ce qui était indiqué dans le PTPGD : « A maintes reprises, une position ferme a été maintenue sur le projet, considérée comme une réalisation nécessaire, même si non suffisante pour éviter une crise majeure en matière de déchets dans les années à venir, notamment en matière de stockage ultime de déchets. En effet, il s'agit d'une réalisation nécessaire dans la mesure où le CTV de Monte situe l'opportunité de détourner 60 000 tonnes de déchets des centres d'enfouissement en situation actuelle d'oligopole et toujours aux mains du privé, de réduire les coûts de transport vers les centres de tri du continent, d'augmenter notamment les recettes de valorisation et de limiter les coûts de traitement des refus de tri. » En suite, il a fait part des réserves et de deux recours gracieux pouvant apparaître comme étant une manœuvre visant à donner des gages et du grain à moudre aux opposants : « Pour autant, l'opportunité de cette infrastructure est insuffisante si elle n'intervient pas concomitamment à d'autres mesures de décision relevant du Syvadec, des intercommunalités, de l’État, de la Collectivité de Corse et surtout avec l'adhésion et le soutien de nos concitoyens en termes de tri. Le Conseil exécutif de Corse a exprimé cette position autant au Syvadec qu'à l’État […]
Je rappellerai qu'il n'y a pas eu moins de onze échanges avec le Syvadec à ce sujet [...] Nous avons mis en place un recours gracieux, une requête en annulation contre la délibération du bureau syndical du Syvadec du 1er juin 2023, une requête en annulation contre la décision de financement de l'Etat. Nous n'avons jamais rien fait et laissé courir ce genre de projet de manière tacite, comme vous pouvez le dire. Nous avons porté une nouvelle requête en annulation contre la délibération du bureau syndical du Syvadec du 11 avril 2024. Et nous avons ouvert la porte à un protocole transactionnel. Il ne s'agit pas là de rétropédalage, mais bien d'un pédalage actif depuis que le PTPGD a été adopté. »
De chauds partisans du projet dont un inattendu
Contesté par des opposants déterminés et devant faire avec une majorité siméoniste pratiquant la navigation à la godille, le projet de centre de surtri de Monte compte cependant de chauds partisans. L’État d’abord. Saisi par courrier par le président de la Chambre d’agriculture de Corse qui demandait « une reconsidération urgente »,le préfet de Corse a répondu négativement en affirmant que le projet relève d’un « objectif d'intérêt général », qu’aucune nuisance environnementale significative n’est à redouter et que des contrôles seront régulièrement opérés une fois le centre en activité, que des aménagements routiers seront réalisés pour faciliter et sécuriser le trafic des camions apportant les déchets, que le projet a reçu les avis favorables de la Commission territoriale de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CTPENAF) et d'une commission d'enquête publique, qu’il est inenvisageable de multiplier les sites d’enfouissement et que le centre permettra de réduire de près de 50 % le volume de déchets enfouis, que réaliser le projet de centre s'inscrit dans le cadre défini par le PTPGD adopté en juillet 2024 par l’Assemblée de Corse ».
Le groupe Un soffiu novu représentant l’opposition de droite dans l’hémicycle de l'Assemblée de Corse, a condamné l’action ayant interdit la pose de la première pierre en fustigeant « l'irresponsabilité », « le recours à la force et à l'agitation » et une tentative de mettre en échec « un projet crucial pour la gestion des déchets », et a dénoncé en ces termes un positionnement « passif » du Conseil exécutif : « La Corse est victime du manque de courage politique et du non-choix du Conseil exécutif en matière de traitement des déchets ».
Le projet de surtri a aussi bénéficié d’un soutien aussi nationaliste qu’inattendu, celui de Lionel Mortini. En effet, l’ancien conseiller exécutif de la la précédente majorité territoriale nationaliste, actuellement président de la Communauté de communes de L'Île Rousse-Balagne a publiquement fait part de son soutien et argumenté : « Je réaffirme publiquement mon soutien au projet de Monte. Ce soutien n’est ni idéologique ni partisan. Il repose sur des convictions claires, une expérience de terrain et un sens des responsabilités […] Nous devons sortir des dérogations répétées à Prunelli et passer sous les 30 000 tonnes enfouies par an. Ne pas agir aujourd’hui, c’est risquer l’ouverture du site de Ghjuncaghju, contre lequel nous nous sommes déjà prononcés […] Monte est une solution concrète, financée, immédiatement disponible, et sans impact sur la fiscalité locale. »
Quel sera l’épilogue ?
Il est quasiment écrit. Le centre de surtri de Monte sera construit et exploité. Un éventuel jugement du tribunal administratif prononçant l’annulation du projet et l’arrêt des travaux n’intervenant que dans des mois et une fois le chantier lancé, n’arrêterait rien. C’est quasiment plié !Pour s’en convaincre, il suffit de se référer aux épisodes du feuilleton du projet de l’A69 (autoroute Castres-Toulouse) et surtout au dernier d’entre eux : bien qu’il ait durement été contesté sur le terrain, qu’il ait été déclarée illégal en première instance et qu’une audience en appel sur le fond doive avoir lieu fin novembre prochain, le projet sera réalisé.
Pierre Corsi
Crédit photo : Syvadec