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Tunisie : le pouvoir assis sur des sacs de farine

Jusqu'à l'an passé, la Tunisie avait conservé une grande partie des avancées démocratiques issues du " Printemps arabe ". Mais , en juillet dernier , tout a changé.

Tunisie : le pouvoir assis sur des sacs de farine


Accaparés par la célébration du Ramadan, préoccupés par les problèmes socio-économiques et craignant que la guerre en Ukraine provoque une hausse des prix du blé ou une pénurie, le peuple tunisien n’a guère la tête à se mobiliser sur le
front politique. Mais cela pourrait ne pas durer.

Jusqu’à l’an passé, la Tunisie avait conservé une grande partie des avancées démocratiques issues du « Printemps arabe » dont son peuple avait été l’initiateur. Mais, en juillet dernier, tout a changé.
Surfant sur l’attente populaire d’une action énergique pour mettre fin à la dégradation de la situation économique et sociale, exploitant l’effondrement de la popularité du parti islamiste Ennahdha, la formation politique la plus influente et la mieux organisée, invoquant un « péril imminent » pesant sur le pays et promettant des « réformes politiques », le président de la République tunisienne Kaïs Saïed a décidé la mise en sommeil de l'Assemblée des Représentants du Peuple (Parlement monocaméral tunisien comptant 217 députés) et s’est arrogé les pleins pouvoirs.
Ce coup de force a été approuvé ou accepté par un grande majorité de la population. Mais les résultats économiques et politiques espérés tardant à venir, le soutien a fléchi et, au fil des mois, des oppositions ont été exprimées de plus en plus ouvertement. Cette évolution n’a pas dissuadé le président Saïed de poursuivre son escalade autoritariste. Bien au contraire. Il a multiplié les mesures allant en ce sens : interdiction de tout rassemblement au nom de la lutte contre la Covid, acceptation des violences policières, recours à des tribunaux militaires pour juger des civils…
En mars dernier, il a même dissout la CSM (Conseil Supérieur de la Magistrature) qu’il jugeait être trop indépendant. Les pessimistes ont alors exprimé la crainte que tout cela engendre des confrontations violentes et prive la Tunisie de ses soutiens internationaux. Concernant ce dernier point, ils ont eu tort. Le 30 mars dernier, la mission du Fonds Monétaire International envoyée à Tunis a communiqué avoir favorablement jugé les réforme économiques et sociales proposées par les autorités tunisiennes et déclaré être favorable à l’attribution de 400 millions de dollars pour venir en aide à 900 000 familles tunisiennes en situation socio-économique difficile.
Par ailleurs, L'Union européenne a annoncé l'octroi d'un prêt de 4 milliards d'euros pour permettre à la Tunisie de supporter sa dette et d’investir dans le domaine des énergies renouvelables.

La récolte des députés:


Mais, ce même 30 mars, le pessimisme a très vite trouvé matière à regagner du terrain. Dans la soirée, bravant la mise en sommeil de l'Assemblée des Représentants du Peuple, 116 députés ont tenu une réunion en visioconférence. Durant cette séance parlementaire virtuelle, ils ont contesté une consultation populaire en ligne ayant peu mobilisé (534 915 participants sur plus de 7 millions d’électeurs) ayant préconisé un renforcement du pouvoir présidentiel et appelé à l'organisation d'élections législatives et présidentielle anticipées. Le président Saïed a immédiatement et brutalement réagi. Dès le lendemain, il a accusé les 116 députés de « comploter contre la sécurité de l'État », dénoncé une « tentative de coup d'État qui a échoué », prononcé la dissolution de l'Assemblée des Représentants du Peuple et demandé à la ministre de la Justice d'engager des poursuites. Le président de l'Assemblée des Représentants du Peuple et également leader d’Ennahdha dont le groupe parlementaire comptait 52 députés sur 217, a été convoqué et entendu durant une heure par un juge d’instruction pour « complot contre la sûreté de l'État » dans le cadre d’une procédure ouverte par le Pôle judiciaire antiterroriste. Plus de 30 députés ont aussi reçu une convocation.

De plus en plus de Tunisiennes et de Tunisiens voient désormais dans l’action du président Saïed la volonté d’instaurer un régime autoritaire. Mais accaparés par la célébration du Ramadan, préoccupés par les problèmes socio-économiques ayant résulté de la crise sanitaire et craignant que la guerre en Ukraine provoque une hausse des prix du blé ou une pénurie (le blé est un produit de première nécessité des plus modestes et un ingrédient de base de la cuisine traditionnelle tunisienne), ils n’ont guère la tête à se mobiliser sur le front politique. Mais cela pourrait ne pas durer. Le gouvernement assure certes qu'il financera un coût raisonnable du blé et garantira l’importation de tonnages suffisants. Mais devant les boulangeries les files d'attente se multiplient car nombre de ces commerces ont dû fermer faute de pouvoir s’approvisionner en farine. Dans les boutiques et les grandes surfaces, la farine manque de plus en plus souvent. Enfin, les grandes entreprises de l'agroalimentaire craignent des insuffisances ou des ruptures d'approvisionnement. Le pouvoir quasi absolu du président Saïed est assis sur des sacs de farine.


Alexandra Sereni




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