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L'Île du ressentiment

Quelles leçons tirer de l'incroyable capharnaüm que représentent les résultats des élections présidentielles en Corse?

L'Île du ressentiment



Quelles leçons tirer de l’incroyable capharnaüm que représentent les résultats des élections présidentielles en Corse ? Des nationalistes corses qui votent en masse pour des nationalistes français d’extrême droite. Un candidat sympathique, mais un rien complotiste et sans propositions réelles qui recueille un score de roi dans un monde rural qui ne cesse de se plaindre de ses conditions d’existence. Des partis traditionnels réduits en cendres sans que naisse une autre force. Le seul moteur qui puisse être décelé derrière cet amas de décombres est le ressentiment : ressentiment de tous contre tous sans rien de positif.

Une extrême droite qui caracole en tête Bien sûr cela a été dit et écrit dans tous les médias corses. Mais il est bon de rappeler que Marine Le Pen a obtenu près d’un tiers des voix corses alors même que le taux de participation a été certes de 10 points inférieur à celui du national et largement supérieur à celui des territoriales. Si on y ajoute les voix de Zemmour et de Dupont-Aignan, on obtient 43 % de votants c’est-à-dire largement plus que le score de Femu et de Gilles Simeoni.
Paul Félix Benedetti, le leader de Cor’in Fronte a parlé d’une « schizophrénie corse ». Il aurait pu préciser une schizophrénie nationaliste tellement l’étude des résultats commune par commune laisse pantois. Des électeurs qui ont vraisemblablement manifesté derrière la banderole « Statu francesu assassinu », qui ont réclamé au moins le statut d’autonomie, ont voté sans hésiter pour les deux seuls candidats qui ont d’emblée refusé une telle hypothèse au nom de la sacro-sainte unité de la nation française. Ils auraient pu protester en donnant leur bulletin à Poutou du NPA qui leur a même promis l’autodétermination, à Mélenchon qui s’est prononcé lui pour l’autonomie, à Jadot soutenu par les autonomistes.
Eh bien non, les voix se sont massivement reportées sur les deux candidats xénophobes pour l’une, raciste pour l’autre.


Le ressentiment pour seul moteur

Ce vote signe un échec futur du mouvement nationaliste, mais aussi une marque de fabrique désolante. Tous les nationalistes n’ont pas voté pour l’extrême droite. Mais beaucoup ont osé le faire sans rougir. Ils ont mêlé leurs voix aux authentiques zemmouriens et autre lepenistes. Et qu’importe que ceux-ci se soient ainsi prononcés parce qu’ils n’ont toujours pas digéré la perte de l’Algérie il y a soixante ans, ou qu’ils soient d’authentiques xénophobes qui trouvent qu’il y a trop de tout. Ils ont voté avec eux signifiant ainsi que leur carburant est la détestation et l’aigreur plutôt que la volonté de construire un monde nouveau. Cela signifie aussi que la Corse est bel et bien différente des territoires d’outre-mer qui eux ont massivement désigné Mélenchon comme leur champion agissant ainsi avec cohérence. Avec cette élection, mais aussi les précédentes, la Corse s’est dessinée comme la caricature de cette France si souvent conspuée et vouée aux gémonies, ces « Gaulois » individualistes. Quant aux mouvements nationalistes, ils ont prouvé qu’ils ne tenaient leurs troupes que dans un esprit négatif ou dans la tragédie mortifère. Et pourtant, un projet de société se doit d’être porteur d’espérances heureuses. Nous en sommes loin, très loin.Nous lui tournons même le dos.

Le second tour et l’après

Autant dire que l’après-élection s’annonce difficile. Osons un brin de prédiction. Le Pen va battre tous les records en Corse qui va ainsi se signaler comme la région la plus « tricolore » de France. Étrange électorat qui a par ailleurs offert aux nationalistes (corses cette fois-ci) près de 70 % de ses voix. Le président Macron, s’il est élu, va y connaître son score le plus bas. Pas de quoi inciter à un dialogue serein et généreux. Si Marine Le Pen remporte la victoire, la discussion sera pour le coup inexistante. Et franchement, nous n’aurons que ce que nous méritons.
À force de jouer les enfants gâtés, les ennuis, les vrais, finissent par être au rendez-vous. Puis, il y a aura les législatives à l’issue desquelles, faute d’une véritable concurrence, les nationalistes peuvent espérer remporter à nouveau trois postes de députés. Mais pour quoi en faire ? Alors tout dépendra du paysage de la nouvelle assemblée. Si le RN ne remporte qu’un score dérisoire, ça sera un évident déni de démocratie et l’automne sera chaud. Si l’assemblée ressemble à une salade macédonienne, nous entrerons dans un désordre permanent style IVe République. Et le problème corse sera relégué au cinquantième rang des préoccupations françaises. La question sera alors : que faire dans cette île dont le message aura été complètement brouillé ? Gilles Simeoni possédera-t-il assez d’assises pour tenir ? Rien n’est moins sûr. Mais les réponses à ces questions vont arriver rapidement. Soyons en certains.

GXC
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