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Tragédie d'Arles : et si on tournait la page ?

La volonté de vérifier l' hypothèse de l'existence d'un complot.

Tragédie d’Arles : et si on tournait la page ?

Maintenir ouvert le volet politique de la tragédie d’Arles ne peut être justifié que par la volonté de vérifier une hypothèse : l’existence d’un complot.


Le rapport de l’Inspection Générale de la Justice relatif au fonctionnement de la prison d’Arles qui a été diligenté après l’assassinat d’Yvan Colonna, a été remis ces derniers jours à la Première ministre puis rendu public. Cela n’a surpris personne, il est mis en cause de nombreux manquements dont la responsabilité est essentiellement imputée à un surveillant et à l’ancienne directrice de la prison.
Il est reproché au surveillant, qui avait le responsabilité du secteur où se trouvait Yvan Colonna, un « net défaut de vigilance ». Il est précisé que cet agent pénitentiaire est resté éloigné « sans aucun motif » du lieu où a eu lieu l’agression contre le militant nationaliste et indiqué que cette circonstance a favorisé le passage à l’acte de l’agresseur et retardé les secours : « On constate qu’entre l’agression et l’arrivée du surveillant, il se passe quinze minutes. Et c’est à la demande de l’auteur des faits qu’un surveillant arrive. Ça aurait pu durer encore plus longtemps ».
Quant à l’ancienne directrice de la prison, outre pour « l’insuffisance » de son management, elle est mise en cause pour « une absence de gestion appropriée » des commissions d’évaluation de la dangerosité des détenus ; manquement grave car il a déterminé que l’auteur désigné de l’agression, le dénommé Franck Elong Abé, qui pourtant purgeait une peine de neuf ans d’emprisonnement pour « association de malfaiteurs terroriste », n’a jamais été orienté vers un Quartier d’Evaluation de la Radicalisation et a pu croiser le chemin d’Yvan Colonna.
Les enquêteurs de l’Inspection Générale de la Justice ont aussi relevé une mauvaise exploitation de la vidéo-surveillance (en panne le jour des faits !) du fait d’un déficit de formation des utilisateurs et d’une utilisation « comme moyen de preuve une fois que les faits étaient commis, et non pour empêcher une infraction en cours. »
Difficile de faire pire !
Les manquements des deux fonctionnaires pénitentiaires étant aussi graves qu’avérés, la Première ministre a d’ores et déjà fait savoir que des procédures disciplinaires seraient engagées. Les réactions n’ont pas manqué. Elles se sont rejointes pour refuser que les mises en cause du surveillant et de l’ancienne directrice puissent servir à masquer ou relativiser la lourde responsabilité de l’Etat.

Lourde responsabilité de l’Etat


Un avocat d’Ivan Colonna a rappelé que si l’on considérait son « comportement exemplaire » et le fait que « l’étiquette de détenu particulièrement signalé lui était collée injustement », son client n’aurait jamais dû être placé au même niveau que l’assassin. Deux autres conseils d'Yvan Colonna ont affirmé : « Les responsabilités individuelles des surveillants ne sauraient masquer celle, fondamentale, du pouvoir politique qui a délibérément empêché Yvan Colonna de purger sa peine près de chez lui, en violation des règles pénitentiaires, par vengeance d’Etat. »
Gilles Simeoni a déclaré ne pas se satisfaire de la mise en lumière d'erreurs individuelles : « Peut-on croire un instant que le fait qu'Yvan Colonna ait pu être agressé, frappé, supplicié, assassiné pendant une séquence de neuf minutes sans que personne n'intervienne et que cette scène horrible, inouïe, sans précédent dans les annales de l'histoire pénitentiaire française puisse procéder simplement d'une succession d'erreurs individuelles et de hasard ? (…)
Yvan Colonna n'aurait pas dû être à Arles, il aurait dû être à Borgo, comme Pierre Alessandri et Alain Ferrandi. Yvan Colonna n'aurait jamais dû être au contact de son assassin présumé parce que son assassin présumé aurait dû être ailleurs. »
Le Partitu di a Nazione Corsa a souligné : « Si le droit avait été respecté, Yvan Colonna aurait pu rentrer sur sa terre et n’aurait jamais été la victime de pareille sauvagerie » Paul-Félix Benedetti, le leader de Core in Fronte, a affirmé : « On ne peut pas se contenter de la petite punition d'agents de la pénitentiaire qui auraient commis des fautes. »
Corsica Libera a dénoncé : « Les éléments du rapport démontrent clairement que les responsabilités de l'établissement pénitentiaire et de l’État dans l'assassinat d'Yvan Colonna sont engagées. » Jean-Martin Mondoloni, conseiller territorial et leader de la droite à l’Assemblée de Corse a asséné : « On ne peut pas accepter de ne pas savoir comment un détenu aussi surveillé qu'Yvan Colonna ait pu être assassiné dans les conditions sur lesquelles je ne reviendrai pas, par un détenu particulièrement surveillé. On doit savoir tout. »

Un complot ?


Même la plupart des médias nationaux ont pointé du doigt la responsabilité de l’Etat.
Ainsi selon le quotidien Le Monde : « C’est la capacité de l’Etat à protéger les citoyens, quel que soit leur statut, qui est en cause. » Aussi, entre les lignes après la lecture du rapport et après avoir pris connaissance des réactions, il ressort que quels que soient les éléments factuels ou les défaillances individuelles ayant été mis en exergue, il est largement admis la responsabilité écrasante, impardonnable et sanctionnable de l’Etat (ce qui est renforcé par la décision de la Première ministre de demander une mission d’inspection sur l’évaluation des quartiers d’évaluation et sur la prise en charge de la radicalisation) et qu’en conséquence sanctionner deux fonctionnaires ne saurait suffire.
L’actuel Garde des Sceaux qui était en place lors de la tragédie d’Arles, devrait donc avoir la décence de présenter sa démission. Mais il convient aussi de ne pas éluder une autre responsabilité qui, bien que n’étant bien entendu pas évoquée dans le rapport de l’Inspection Générale de la Justice, est elle-aussi évidente : celle des élus corses et d’un peu nous tous.
En effet, de 2015 à la survenance de la tragédie d’Arles en mars 2022, les militants nationalistes incarcérés ou ayant été libérés ont quasiment été oubliés ou délaissés par la plupart des politiciens et l'opinion. Qui a demandé la libération immédiate des prisonniers ou l'amnistie ? Peu de monde !
Qui s’est mobilisé pour les anciens prisonniers inquiétés dans le cadre de la mise en place du Fichier des auteurs d'infractions terroristes (Fijait) ou devant subir les tracasseries du recouvrement de frais de justice, d’amendes ou de dommages-intérêts ? Peu de monde !
Ayons l’honnêteté de le reconnaître, la passivité collective corse a permis à l’Etat de croire qu’il pouvait sans coup férir continuer à donner gain de cause à une Préfectorale souhaitant exercer sans fin sa vengeance sur les trois condamnés de « L’affaire Erignac » étant encore derrière les barreaux.
Les responsabilités de tous étant désormais identifiées, il est permis d’avancer qu’il serait grand temps de refermer le volet politique de la tragédie d’Arles. En effet, à moins de vouloir nourrir des desseins politiciens, maintenir ouvert ce volet ne peut plus être justifié que par la volonté de vérifier une hypothèse, le complot, à laquelle ont fait allusion Paul-Félix Benedetti, le Partitu di a Nazione Corsa, Jean-Martin Mondoloni et Gilles Simeoni. Le leader de Core in Fronte l’a fait frontalement en mettant en exergue le parcours du dénommé Franck Elong Abé et la mansuétude dont il a bénéficié : « La faute fondamentale est la mise dans le circuit classique d'un redoutable individu, catalogué comme en dérive islamiste totale (…) On doit retracer le parcours de cet individu. Savoir quels sont les officiers français du renseignement général, intérieur comme extérieur, qui ont fait le débriefing de cet individu et que s'est-il passé pour qu'on le fasse côtoyer Yvan Colonna. Pour nous, cela a été fait à dessein. » Le Partitu di a Nazione Corsa s’en est tenu à s’interroger : « Il est pour le moins étrange, à ce stade, qu’un tel profil puisse bénéficier d’un emploi au sein de la Centrale d’Arles, qui lui a permis d’aller et venir librement. » Jean-Martin Mondoloni et Gilles Simeoni se sont bornés à ne pas écarter l’hypothèse. Le premier en déclarant : « On doit aller au bout afin de purger ce qui pourrait apparaître, à bien des égards, comme un complot d'État. ». Le second en exigeant : « il importe aussi d’en savoir plus sur la personnalité, le parcours et aussi la prise en charge défaillante par l’administration pénitentiaire de l’agresseur afin que « la vérité soit dite, toute la vérité. » Mais garder le volet politique ouvert en usant de l’hypothèse du complot, risque de s’avérer être une démarche aussi longue qu’infructueuse et de rendre un peu plus difficile encore les relations entre la Corse et Paris. Donc…



Pierre Corsi



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