• Le doyen de la presse Européenne

Gilles Simeoni, président de l’Exécutif de Corse

« L’Etat doit prendre ses responsabilités, reconnaître la dimension historique et politique de la question corse, et construire avec sa représentation élue et l’ensemble des forces vives, une solution politique globale. »
Très sollicitée lors de l’année écoulée, la majorité territoriale a eu à faire face dans bien des domaines. Tant dans son rapport avec Paris malgré les visites du Président de la République et du Premier Ministre que dans la gestion du quotidien des Corses. Une année marquée par deux crises importantes concernant l’agriculture et les déchets. Mais aussi la création, suite à des assassinats, de deux collectifs anti-mafia et la violence clandestine qui a refait son apparition…Autant de points importants abordés par Gilles Simeoni, Président de l’Exécutif. Ce dernier évoquant, par ailleurs, les tensions au sein de la majorité territoriale et les élections municipales de mars prochain.


Une année 2019 particulièrement chargée. Qu’en retenez-vous ?
Ce fut une année souvent difficile et douloureuse dans le monde, en Europe et en France. La Corse n’y a pas échappé. Une année avec des avancées et des difficultés dans le domaine politique, institutionnel, social, culturel et sociétal. Nous connaissions l’ampleur de la tâchequi nous attendait. On s’est efforcé de tenir le cap autour des valeurs et objectifs que nous nous étions fixés.

Quels seront les grands axes de la majorité territoriale en 2020 ?
Ils s’étalent autour du slogan « Un paese da fà » et s’articulent sur de nombreux thèmes qu’il est difficile de hiérarchiser tant le chantier est immense. Nous devons donner du sens à nos actions dans tous les domaines en nous projetant à moyen et long terme tout en songeant à gérer le quotidien et l’urgence. On peut, toutefois, évoquer, d’une manière générale, les priorités. La solidarité, la justice sociale, le combat contre la précarité et la pauvreté, la santé, l’éducation et la formation constituent les domaines essentiels qui permettent à une société de produire du sens et de la cohésion : c’est un axe central de notre politique, et nos choix budgétaires en témoignent …Ensuite, l’aspect démographique nous interpelle. De ce point de vue, la population corse a augmenté de 100000 personnes essentiellement par flux migratoire en une vingtaine d’années. Si notre société ne parvient pas à produire une capacité d’intégration pour les arrivants, comme elle l’a toujours fait historiquement, elle sera balkanisée et notre identité collective remise en cause. D’où les deux éléments importants de la langue et de la culture à ériger en priorités politiques en tant que facteurs de transmission et d’intégration. À cela, s’ajoutent les fondamentaux et notamment le lien indestructible de ce peuple avec sa terre…C’est la question foncière et la lutte contre la spéculation immobilière. Nous mettons à cet effet en place, une politique pour préserver les espaces stratégiques agricoles et permettre aux Corses d’accéder à leur logement principal à travers notamment le programme « Una casa per tutti, una casa per ognunu ». Il faudra renforcer ces engagements en 2020 et j’aurai l’occasion de faire des propositions en ce sens.

Enfin, je retiens l’aspect économique, qui se décline en trois axes : le premier à travers l’aide aux TPE, PME et un regard attentif sur la saison touristique, qui, cette année, a été en demi-teinte. Le second touche aux infrastructures internes (routes, particulièrement de l’intérieur, chemin de fer et inter-modalité) et la maitrise que nous voulons confortée et renforcée de la puissance publique corse sur les secteurs stratégiques pour la Corse (eau, énergie, agriculture, numérique). Enfin, le troisième volet concerne la Collectivité de Corse elle-même, et sa relation à l’Etat et à l’Union Européenne. Nous allons poursuivre le processus de construction de la nouvelle Collectivité, en interne, dans la concertation ,avec les syndicats et agents, et avec les communes, intercommunalités, associations, et territoires, avec une exigence de proximité renforcée. La question du réchauffement climatique et de son impact sur les politiques publiques, comme celle du développement durable, seront aussi une priorité de 2020. Nous comptons proposer des initiatives importantes, y compris au plan européen et méditerranéen. L’urgence absolue qui résume à la fois nos difficultés et le fait qu’il existe un chemin, c’est, bien sûr, la question des déchets. Elle nous renvoie à nos responsabilités individuelles et collectives. Nous proposerons un nouveau modèle qui nous permette de sortir de la crise conjoncturelle actuelle et nous positionne comme un territoire pionnier, à l’échelle européenne et méditerranéenne.

L’actuelle majorité territoriale reste bloquée vis-à-vis de Paris en ce qui concerne les fondamentaux (coofficialité de la langue, statut de résident, inscription de la Corse dans la constitution, statut fiscal). Comment convaincre l’Etat de faire un pas ?
Aujourd’hui, il est clair que nous sommes toujours dans l’impasse. Paris doit revoir sa position, c’est une question de respect du fait démocratique. Pour notre part, nous allons poursuivre le combat démocratique, comme nous l’avons fait depuis maintenant plusieurs années en demandant une solution politique globale incluant nos fondamentaux : reconnaissance du peuple corse, statut d’autonomie, coofficalité de la langue corse, statut fiscal et social... avec un élément symbolique, politique et humanitaire important, le rapprochement immédiat des trois détenus Pierre Alessandri, Alain Ferrandi et Yvan Colonna en Corse comme le veut la loi, et l’application sereine, dans une logique d’apaisement, de la loi sur la libération conditionnelle.

2020 sera marquée par les élections municipales. Comment voyez-vous cette échéance ? Vers une union nationaliste au second tour dans les grandes villes de Corse ?
Les situations sont différentes selon les communes. J’espère que ce scrutin sera l’occasion de faire émerger partout en Corse des majorités engagées, à la fois dans un projet municipal qui fasse sens et dans un rapport de cohérence le plus fort possible avec la politique que le conseil exécutif et la majorité territoriale mettent en œuvre depuis quatre ans. Dans la diversité des convictions et/ou appartenances politiques, l’heure est à la convergence d’ensemble la plus large possible. Pour continuer à enraciner la Corse dans une logique d’espoir et d’émancipation.

L’union « Per a Corsica » avait plutôt bien fonctionné lors des législatives. Avec les résultats que l’on sait. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Pourquoi ?
Il existe, ce n’est un secret pour personnes, des divergences et des dissensions y compris au sein de la majorité territoriale. Elles vont se traduire, notamment, aux élections municipales, par des démarches séparées dans un certain nombre de communes. Femu a Corsica a eu l’occasion d’exprimer son point de vue et de développer sa ligne conductrice dans le fil historique du nationalisme corse et la volonté de s’ouvrir le plus largement possible vers ceux qui se reconnaissent dans cette dynamique. Une dynamique, qui, je le rappelle, est totalement conforme aux engagements pris avec « Per a Corsica » dans le cadre des territoriales de 2017 et qui nous a conduit à gagner très largement avec 57% des suffrages. Un score que l’on a atteint en allant convaincre des personnes qui n’étaient pas nécessairement nationalistes ou qui n’appartenaient à aucune des structures parties prenantes de la démarche. Il faut bien sûr continuer d’être des militants infatigables du combat historique dont nous sommes les héritiers et les continuateurs, et montrer à celles et ceux nouvellement convaincus qu’il fallait nous faire confiance sur l’engagement que nous prenions, d’être des gens d’ouverture, de responsabilité, de construction, des artisans de paix, des défenseurs intransigeants de la démocratie comme méthode et comme objectif. C’est ce chemin qu’il faut continuer à proposer, et qui nous permettra d’enraciner notre démarche d’ensemble et de la faire encore progresser.


« Le seul chemin qui permette de s’opposer durablement aux dérives de type mafieux est celui de la démocratie »


Un chemin qui semble, au contraire, se croiser. Cela s’est ressenti lors de la dernière session de l’Assemblée de Corse avec la motion rejetée en bloc par Femu a Corsica. Cela préfigure-t-il une rupture définitive lors des prochaines territoriales ?
Il est encore prématuré d’évoquer cette échéance. Je reste, en ce qui me concerne engagé au service de la Corse, des Corses et de l’intérêt général. Comme je reste fidèle aux engagements pris au sein de « Per a Corsica » et au nom de « Per a Corsica » devant les Corses. Je les respecte, continuerai de le faire. Et je suis aussi le garant du respect de ces engagements. Si certains, au sein de la majorité territoriale actuelle, sont en désaccord avec cette vision, il faudra en tirer les conséquences.


Deux collectifs anti-mafia ont vu le jour cette année. Un débat aura lieu courant 2020. Que vous inspire cette violence qui sévit dans l’île ? Comment lutter ?
Cette année a été marquée par des incendies et destructions criminels, menaces, pressions et jusqu’à des assassinats, dont celui, qui a suscité une émotion extrêmement forte, de Massimu Susini. Sur le plan sociétal, la Corse a une exigence et une soif de démocratie. Indépendamment des réponses judiciaires qui peuvent et doivent être apportées, le seul chemin qui permette de s’opposer durablement aux dérives de type mafieux est celui de la démocratie. En tant qu’objectif et que méthode. Cela implique aussi des décisions à prendre dans le domaine économique, juridique, social, culturel, citoyen…Pour ce qui est des moyens de lutte, je participe au cycle d’auditions décidé pour préparer la session extraordinaire de l’Assemblée de Corse que j’avais proposée. Nous auditionnons, en amont, des personnes et/ou associations qui ont quelque chose à dire sur ces questions. J’ai aussi, par ailleurs, proposé aux deux collectifs de les rencontrer. Et le Conseil exécutif aura des propositions à faire en la matière. Elles ont vocation à se nourrir et à s’enrichir du débat en cours.

Un attentat a été commis contre les villas Feracci à Bonifacio en décembre dernier. Faut-il craindre un retour de la clandestinité?
J’ai pris acte de cet attentat et de la revendication qui s’est est suivie et me suis exprimé devant l’Assemblée de Corse à ce propos. Je réaffirme qu’il n’y a pas et il ne peut pas il y avoir d’autre chemin que celui de la démocratie en Corse. C’est un choix irréversible que rien ne pourra remettre en cause. Il y a, en même temps au-delà de cet acte, une mécanique d’ensemble qui, peu à peu, se remet en place, marquée par des interpellations, notamment de jeunes Corses, des excès répressifs, un zèle anti-corse dans certaines administrations ou certains comportements. Avec, en outre, un sentiment de révolte nourri par le blocage politique imposé par Paris et le sentiment de dépossession, avec une spéculation galopante. Si une alternative incluant une perspective de solution politique n’est pas rapidement proposée, la situation de dangers et de risques actuelle va immanquablement s’aggraver. Ce que nous voulons éviter à tout prix. Nous n’occultons rien des responsabilités qui nous incombent pour construire une société émancipée. Mais cela ne doit pas faire oublier que la question corse est avant tout une question politique, qui touche à l’existence d’un peuple et à la prise en compte de son combat historique pour la faire reconnaître. L’Etat doit prendre ses responsabilités, reconnaître cette dimension historique et politique, et construire avec la Corse, sa représentation élue, et l’ensemble des forces vives une solution politique globale.
Partager :