• Le doyen de la presse Européenne

Corse : le grand désordre

Comment qualifier la situation politique en Corse sinon par l'installation de la classique “la conjuration des egos”
Un véritable feu d’artifice en prévision des municipales, sorte de galop d’essai des territoriales. C’est bien simple : selon la définition de l’Apocalypse selon Saint-Jean c’est la guerre de tous contre tous, bellum omnium contra omnes. La logique victorieuse aurait voulu que chaque camp parvienne à s’unir afin de s’assurer la première place. Que nenni. Les orgueils démesurés ont triomphé de l’intelligence et le chaos s'est durablement installé. Gauche, droite, nationalistes : tous partent en ordre dispersé.

La Corse émiettée

La victoire des nationalistes a été certes causée par l’existence d’une cause nationale mais, conjoncturellement par ce même dégagisme qui a porté sur les fonts baptismaux la République en marche et son César, Emmanuel Macron. Il a suffi de quelques pour cent pour que les nationalistes l’emportent. Or ces voix, finement analysées à l’époque par le Figaro, provenaient pour partie d’un électorat continental fraîchement installé et désireux de voter pour une force nouvelle. Un tel volant électoral, peu à même de comprendre les blessures internes du mouvement nationaliste, est attiré par l’unité, l’union plutôt que par la division. Élémentaire mon cher Watson. Or le mouvement nationaliste, pourtant porteur de grandes espérances, n’est pas parvenu à dépasser ce mal qui corrompt toutes les forces traditionnelles. Qu’on se rende compte de la période que nous traversons. Les clans, ces fameux partis nés de la défaite des seigneurs cinarcais et de la victoire des capurali, ont fondu comme neige au soleil. Ces nouveaux seigneurs de "droite" comme de "gauche" qui se partageaient le pouvoir insulaire depuis toujours, ont laissé la place à une mosaïque de petits pouvoirs locaux qui n’obéissent plus qu’à des logiques locales. Or la force des clans était de jouer les intermédiaires avec le pouvoir central. Leur jeu est resté le même durant des siècles : s’approprier les victoires et désigner la puissance tutélaire responsable des défaites et refus. Les nationalistes ont bien tenté d’user de cette tactique mise à mal après le désastreux et scandaleux message sur Madame Erignac posté sur Facebook par un responsable indépendantiste. Ça n’était vraisemblablement qu’un prétexte de la part du président de la République qui espérait un meilleur score pour les représentants de son propre parti en Corse. Malheureusement que les nationalistes le veuillent ou non leur avenir est étroitement lié à leurs relations avec le pouvoir central. Ils ont néanmoins de grandes chances de l’emporter lors des prochaines territoriales à cause du désordre qui règnent parmi les forces traditionnelles. Mais ils emporteront une majorité relative dépendant d’alliances incertaines avec les uns et les autres. Dans une telle perspective les indépendantistes à commencer par Core in Fronte (s’ils dépassent la barre fatidique de la représentation) ont toutes les chances d’être faiseurs de roi.


Un destin français

En révisant l’histoire corse à la seule lumière de la défaite paoline, le mouvement nationaliste (mais plus particulièrement les indépendantistes) s'interdit de comprendre la complexité insulaire et de ses rapports ambivalents envers la France. Paoli, je l’ai déjà écrit maintes et maintes fois, avait pour ennemi essentiel la république de Gênes et non la France. La Sardaigne, notre cousine à peine éloignée de 13 kilomètres a d’abord été administrée par Gênes et Pise réunies avant de devenir en 1420 une possession d’Aragon ? Notre île passait alors sous la coupe de Gênes qui en faisait sa colonie. Devenue royaume (de Piémont et de Sardaigne) la Sardaigne maintint un statut d’autonomie jusqu’en 1847 date à laquelle elle fusionna avec le Piémont pour devenir royaume d’Italie en 1861. L’élément déterminant de ce destin si différent du nôtre fut le rôle joué par la noblesse et la bourgeoisie sardes dans le processus d’autonomie. En Corse au contraire, l’incessante division des couches dominantes a été le frein essentiel d’une domination ambiguë mais ininterrompue. En proie à des guerres intestines cruelles et démoralisantes, elles ont utilisé leurs affidés pour tenter d’obtenir des titres de noblesse ou une reconnaissance d’allié unique. Et si beaucoup de Corses ont combattu dans les armées italiques plus nombreux encore ont été ceux qui ont trouvé des places de choix dans les armées françaises. Ce désordre ancien est la mère du désordre actuel symétrique du désordre français. Il faudrait un jour trouver les chemins difficiles d’une véritable union nationale si tant que les Corses en ressentent réellement le besoin.
Partager :