La langue française : arme de clarté
On nous rabâche qu’il faudrait « laisser vivre la langue »,
La langue française : arme de clarté
On nous rabâche qu’il faudrait « laisser vivre la langue », qu’il serait « rigide » de la défendre, et qu’il faudrait plier le français à tous les caprices de l’air du temps. En réalité, ce n’est pas la langue qui doit se plier : ce sont les esprits confus qui doivent s’élever.
La langue française n’est pas un folklore, ni un costume qu’on enfile au bal des identités. Elle est un outil de pensée, une architecture logique patiemment élaborée pour arracher la clarté au chaos. Chaque mot y est un choix, chaque tournure une ligne de force. La saboter au nom du relâchement ou du divertissement, c’est se priver de ce que cette langue a de plus précieux : le triomphe de l’idée claire sur les fantaisies de la croyance, sur les slogans, sur les mantras du troupeau.
Les faux débats linguistiques ne sont que les versions molles d’un phénomène plus large : la mise en procès de tout ce qui tranche, de tout ce qui hiérarchise, de tout ce qui affirme. Car affirmer, aujourd’hui, c’est déjà offenser. La justesse, c’est l’arrogance. La précision, c’est l’élitisme. Le mot juste devient suspect.
Et cette suspicion, on la retrouve dans les mascarades de justice populaire. Tribunaux en ligne, foules moralisatrices, procès de rue : voilà les jurys de l’époque. On y juge à l’émotion, à la rumeur, à la mode du moment. On a vu défiler les mal-pensants, les trop complexes, les hors-normes — ceux dont l’existence seule dérange les certitudes molles.
On y a vu Matzneff, l'écrivain du siècle ancien, jeté aux chiens par des procureurs d'occasion qui n'avaient ni lu ses livres, ni compris son époque. On y a vu Depardieu, massif, charnel, sommé de s'excuser d’être encore vivant. Et pourtant, qui d'autre que lui pouvait incarner Balzac avec cette hallucinante vérité, ce souffle presque terminal, comme un écrivain jouant sa propre mort au seuil d'une époque qui ne comprend plus rien à rien ?
Je rêve de faire jouer *L’Idée fixe* de Paul Valéry devant un parterre d’adeptes de la « novlangue », rien que pour les pétrifier de stupeur, les foudroyer de logique sèche. Les voir s’éteindre intérieurement sous la lumière crue d’un texte sans concession. L'intelligence, ici, ne serait pas un concept, mais un scalpel.
Non, la langue n'est pas un terrain vague à redistribuer. Elle est le contraire exact du slogan : elle exige. Elle ne flatte pas. Elle oblige à penser, à choisir, à risquer des nuances. Et c’est précisément ce que notre époque — celle des gourous, des faiseurs d’opinion, des “communautés offensées” — déteste.
La langue française, quand elle est bien tenue, n’est ni un accessoire, ni un drapeau : c’est une discipline de l’esprit. Et c’est cela qu’il faut sauver. Sans nostalgie, sans folklore. Par exigence. Par lucidité. Et par orgueil aussi, oui — l’orgueil d’être clair dans un monde qui se vautre dans la bouillie.
Jean-François Marchi