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Les intrus du 26 octobre

La majotité territoriale apparaît désormais contestée et affaiblie

Les intrus du 26 octobre


La majorité territoriale siméoniste a certes sauvé les meubles en faisant voter par l’ensemble des conseillers de Corse une résolution appelant l'État à négocier sur la situation des prisonniers nationalistes. Mais elle n’a pas repris la main et apparaît désormais contestée et affaiblie.

Mercredi 26 octobre dernier, une décision de la Cour de cassation annule l’arrêt d'octobre 2021 de la chambre de l'application des peines de la cour d'appel de Paris portant refus de la demande d'aménagement de peine ayant été déposée par Pierre Alessandri incarcéré depuis mai 1999 et conditionnable depuis mai 2017.
En outre, considérant que la motivation du refus était irrégulière : « En se déterminant par des motifs principalement tirés de la nécessité de préserver l'effectivité de la peine prononcée et de l'insuffisante durée de la peine accomplie, étrangers aux efforts de réadaptation et de réinsertion du demandeur, ainsi qu'à son projet professionnel (…) la chambre de l'application des peines n'a pas justifié sa décision », la plus haute juridiction française ordonne un nouvel examen de la demande du militant nationaliste. Pour Pierre Alessandri, le ciel s’éclaircit enfin. Il peut à nouveau raisonnablement espérer que, dans quelques mois, il franchira dans le bon sens les portes du centre de détention de Borgo.
Par ailleurs, la décision de la Cour de Cassation donne aussi matière à espérer à Alain Ferrandi dont la demande d'aménagement de peine a été rejetée par la cour d'appel de Paris en mai dernier. Ce mercredi 26 octobre, le ciel devient aussi moins sombre pour la majorité territoriale siméoniste. En effet, le refus opposé à Pierre Alessandri ayant été, il y a quelques semaines, à l’origine de l'interruption du processus Darmanin, la décision de la Cour de Cassation est de nature à permettre une relance du dialogue entre les élus corses et Paris.

Irruption inattendue dans l’hémicycle

Jeudi 27 octobre dernier, patatras, le ciel de la majorité territoriale siméoniste devient à nouveau très sombre. La session de l'Assemblée de Corse ne se déroule pas comme prévu. L’inattendu a pour origine l’irruption dans dans l’hémicycle de plusieurs dizaines de militants nationalistes. Les intrus représentent les 11 organisations (L'Ora di u Ritornu, Aiutu Patriotticu, Aiutu Paisanu, Associu Sulidarità, Associu à Fianc'à noi, Ghjuventù Indipendentista, Cunsulta di a Ghjuventù Corsa, Ghjuventù Paolina, Ghjuventù in Core, Ghjuventù libera, Mossa paisana) qui, quelques jours auparavant, d’abord par un communiqué signé par quatre d’entre elles puis par une conférence de presse tenue devant la porte du centre de détention de Borgo, ont interpellé l'opinion publique corse, les responsables politiques corses et les plus hautes autorités étatiques non seulement sur le sort des prisonniers nationalistes mais également à propos du processus Darmanin : « En laissant la situation telle qu'elle est, l'État prend lui-même le risque de provoquer des troubles à l'ordre public (…) La libération des prisonniers fait consensus (...) Le sort des prisonniers et anciens prisonniers ne peut être dissocié des discussions (…) Il est inconcevable que la délégation d'élus insulaires accepte une reprise des négociations sans un acte fort de la part de l'État au sujet de la situation des prisonniers politiques.
Il en sera de même concernant la reconnaissance du peuple corse. »


Contestée et affaiblie

Le ciel de la majorité territoriale siméoniste est donc à nouveau couvert. D’abord parce que l’effet sur la dite majorité del’irruption de militants nationalistes dans l’hémicycle de l’Assemblée de Corse, a été dévastateur. Pour son image au sein d’unepartie de la population corse et plus particulièrement au sein de la mouvance nationaliste. Pour sa crédibilité auprès desinterlocuteurs parisiens.
En effet, la majorité territoriale siméoniste apparaît désormais découplée de la partie la plus militantede la base nationaliste et incapable d’offrir la garantie de retour durable au calme que l’État exige. Elle a certes sauvé les meubles en faisant voter par l’ensemble des conseillers de Corse une résolution appelant l'État à négocier sur la situation desprisonniers nationalistes. Mais elle n’a pas repris la main et apparaît désormais contestée et affaiblie. D’abord parce que la teneur et la mise aux voix de la résolution ont été imposés par les intrus du 26 octobre. Ensuite parce que l’opposition de droite,bien qu’elle ait voté la résolution, a pu se montrer vertement critique et laisser entendre que Gilles Simeoni et ses amis avaient perdu pied : « Il n'est pas acceptable d'interrompre des travaux de l'Assemblée de Corse et d'en bousculer l'ordre du jour ».Ensuite aussi parce qu’à Paris, personne n’a sans doute été ravi que la résolution, outre avoir été initiée en dehors d’un cadre institutionnel, mette pour condition à la reprise des discussions sur l'avenir de la Corse, la tenue d’une réunion spécifiquement axée sur le sort des prisonniers nationalistes. Enfin, parce que dans le cadre du processus Darmanin, la majorité territoriale siméoniste, outre aux lignes rouges tracées par Emmanuel Macron (ni amnistie, ni co-officialité de la langue corse, ni statut de résident, ni reconnaissance du peuple corse), est désormais confrontée à deux lignes rouges nationaliste figurant noir sur blanc dans la résolution : « exigence de vérité et de justice pour Ivan Colonna » et prise en compte de la question des prisonniers politiques « dans toutes ses dimensions (retour à la liberté, condamnations pécuniaires, Fijait, logique des d’apaisement en direction des jeunes ayant participé vaux manifestations du printemps dernier. »

Situation regrettable, responsabilités multiples et retour de bâton

Les risques d’un blocage du processus Darmanin se multiplient. Les responsables de cette situation regrettable sont aisément identifiables. L’État est bien entendu responsable car, depuis l’annonce de la suspension du recours à la violence par les organisations clandestines et les nombreuses victoires électorales de la mouvance nationaliste, il n’a jamais voulu saisir les mains tendues.
Une part de responsabilité pèse aussi sur la plupart des Corses. En effet, durant des années, les uns et les autres n’avons guère prêté attention au sort des prisonniers nationalistes et aux conditions de vie difficiles et tracasseries affectant les personnes et les familles des prisonniers ayant été libérés. Enfin, une part non négligeable de responsabilité est à inscrire au passif des partis nationalistes et de leurs élus. Durant près de sept ans, après la « victoire historique », ils n’ont pas tout fait, loin s’en faut, pour sensibiliser et mobiliser les Corses en faveur des prisonniers et faire réellement pression sur l’État.
Il aura fallu l’assassinat d’Yvan Colonna pour que tous « se bougent » significativement dans la durée. De 2015 à mars 2022, seules les associations de soutien aux prisonniers politiques et à leurs familles (L'Ora di u Ritornu, Aiutu Patriotticu, Aiutu Paisanu, Associu Sulidarità, Associu à Fianc'à noi) ont vraiment « assuré ». Enfin, depuis mars dernier, le président du Conseil exécutif porte une responsabilité particulière. En effet, alors qu’il disposait d’une marge de manœuvre conséquente (dizaines de milliers de Corses sensibilisés, jeunes occupant la rue, Emmanuel Macron devant compter avec les échéances électorales), il a accepté à Aiacciu, un « compte-rendu acté » de sa rencontre avec leministre de l’Intérieur dans lequel était certes ouverte une voie vers l’autonomie mais dans lequel n’était pas évoquée la nécessité de traiter avant tout la question des prisonniers nationalistes. Un retour de bâton était inévitable car la plupart des nationalistes estiment que le sort de ceux qui ont beaucoup sacrifié, ne doit pas être relégué au second plan. Ce retour de bâton est survenu, le jeudi 26 octobre dernier, sous la forme d’une intrusion imprévue.

Pierre Corsi
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