• Le doyen de la presse Européenne

Libérer l'esprit critique

Le procés des attentats de 2015. L'occasion de revenir sur la question de la libre expression, normalement imprescriptible.



Le procès des attentats de 2015 s’est ouvert. L’occasion de revenir sur la question de la liberté d’expression, normalement imprescriptible. Dans une société où le consensuel s’érige en norme, l’humour, la parole libre, la pensée sans entrave sont exclus de l’espace public.
Défendre la liberté d’expression ça n’est pas attendrir les discours, c’est permettre la confrontation d’idées, dans un respect mutuel et pacifiste.



L’esprit Charlie
« Le mobile du crime, c’est la volonté d’interdire la critique de Dieu, donc la liberté d’expression, donc la liberté tout court », estime l’avocat de « Charlie Hebdo », hebdomadaire satirique devenu le porte-étendard de l’irrévérence en France. Quatorze accusés sont actuellement jugés pour l’attentat contre Charlie Hebdo, qui a fait 12 morts le 7 janvier 2015, suivi le lendemain des attaques contre une policière à Montrouge et d'un supermarché casher.
En guise de prologue à ce procès, le média a décidé de republier les caricatures de Mahomet, qui avaient fait de « Charlie » la cible des djihadistes. Provocation ? Façon de dire que la liberté de critiquer n’est pas morte ? Difficile de se positionner dans une société où l’irrévérence envers la religion se perd. Sans doute parce que l’accusation de blasphème s’est matérialisée comme arme dans les mains des religieux, depuis l’appel au meurtre lancé par la République islamique d’Iran contre l’écrivain Salman Rushdie, en 1989.
Force est de constater que dans les médias, l’autocensure s’est institutionnalisée face au retour du religieux. Pour autre preuve, l’affaire Mila, une adolescente cible de menaces de mort pour des propos hostiles à l’islam, a remis en lumière, en janvier dernier, les désaccords des Français sur le « droit au blasphème ».
Selon un sondage IFOP, seulement 50 % des Français sont favorables « à ce droit de critiquer, même de manière outrageante, une croyance, un symbole ou un dogme religieux ». La moitié y sont défavorables, notamment les plus jeunes, les musulmans et les protestants.

Droit au blasphème
On a tendance à l’oublier, mais la France a été la première nation d’Europe à abolir le délit de blasphème, après la Révolution de 1789.
La loi Pleven de 1972 précise qu’on « ne peut pas insulter une personne ou un groupe de personnes à cause de leur appartenance religieuse. Mais insulter les religions ou un dieu reste possible. » Et Emmanuel Macron dans son discours a d’ailleurs défendu «la liberté de blasphémer en France, qui est attachée à la liberté de conscience ».
Partout dans le monde, l’autocensure s’est répandue pour lisser les discours antireligieux. Il n’y a pas que nègre ou autre vocable raciste, stigmatisant qui a fait modifier les produits culturels. Le diffuseur américain du dessin animé South Park a retiré de son catalogue en ligne les cinq épisodes qui évoquaient le prophète de l’islam, Mahomet.
Sans aller aussi loin, en 2014, le musée Fesch avait fait polémique en exposant Andres Serrano. Partout où l’artiste est exposé surgissent protestations et manifestations. Ajaccio n’a pas fait exception à cette règle puisque l’exposition de cette œuvre représentant un crucifix plongé dans un bain de sang et d’urine a provoqué l’ire d’une poignée de catholiques conservateurs. Une poignée suffisamment virulente pour mettre le feu aux poudres et contraindre le musée à fermer ses portes durant une journée. De quoi alimenter le débat sur la notion de blasphème, es relations entre art et religion et, plus largement sur la liberté de l’artiste.

Tradition anticléricale
Qu’il est loin le siècle des Lumières où Voltaire publiait son « Traité sur l’intolérance »

L’esprit critique est sacrifié sur l’autel de la morale et de la bien-pensance, et s’éteint au fur et à mesure que progresse l’obscurantisme religieux. Selon Anastasia Colosimo, professeure de théologie politique « on vit depuis la fin des années 1970 un retour du religieux qui crée des oppositions extrêmement fortes.
Il y a une volonté de retrouver une identité, un sens dans un monde qui est jugé insensé ». Et Nicolas Cadène, rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité, de souligner « le renforcement du recours au religieux, la société continue à se séculariser, alors il y a une volonté de la part de certains croyants d’une réaffirmation très forte. Et ils ont encore plus de mal à admettre la critique de cette identité ». Léo Ferré chantant « Ni dieu, ni maître » ferait-il encore salle comble aujourd’hui ? Pas si sûr.

Maria Mariana
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