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En Bretagne et ailleurs, le mythe est une part du réel

L.e mythe est fondateur puis devient au fil du temps une part du tréel

En Bretagne et ailleurs, le mythe est une part de réel


Deux faits aussi incontestables qu’incontournables : les peuples et les nations dont ils se réclament naissent d’un amalgame entre du réel, de la légende et de la conduction idéologique ; dans l’Histoire du peuple et de la nation, le mythe est fondateur puis devient au fil du temps une part de réel.


En programmant l’an passé, de mars à décembre, l’exposition « Celtique ? » qui mêlait « des objets de collections de diverses natures (archéologie, numismatique, beaux-arts et arts décoratifs, iconographie …), des éléments audiovisuels (œuvres de fiction, entretiens, collectages, musique, cinéma…) et des dispositifs interactifs numériques ou manuels », le Musée de Bretagne-Les Champs Libres situé à Rennes a invité à s’interroger sur la réalité de l’association communément admise entre l’héritage celtique et l’identité bretonne. Cette problématique a été posée dans un langage scientifique : « La confrontation des connaissances archéologiques, historiques ou linguistiques des périodes anciennes (de l'âge du Fer au Moyen-Âge) à la longue élaboration d'un récit régional permet de déconstruire les clichés, en cherchant avant tout à en comprendre les origines et les raisons. » L’exposition a ouvert ses portes sous les meilleurs auspices.
En effet, malgré la problématique délicate qui était avancée, elle bénéficiait du parrainage de poids d’une des figures les plus marquantes de la revendication culturelle et linguistique bretonne : l’auteur-compositeur-interprète et musicien breton Alan Stivell. Mais, deux mois plus tard, ce dernier a retiré son parrainage et s’en est expliqué. Soulignant respecter la liberté de s’interroger : « À une question La Bretagne est-elle celtique, on peut théoriquement avoir deux grandes réponses assez opposées », il a accusé les organisateurs d’avoir orienté « Celtique ? » non pas vers une interrogation objective, mais vers la conclusion que la Bretagne celtique est un mythe. Tout en affirmant comprendre la prise de position d’Alain Stivell, le Musée de Bretagne l’a minorée en en livrant une interprétation affective : « La culture celtique en Bretagne est une partie de sa vie (…) Pour lui, la Bretagne est complètement celtique. »

Probablement irrité par le caractère condescendant, certes policé mais bien réel, de la réaction des organisateurs de l’exposition, Alan Stivell a enfoncé le clou En octobre, il a affirmé que « Celtique ?» niait soixante siècles d’histoire humaine, spirituelle, culturelle et patrimoniale du peuple breton et de la Bretagne : « Les échanges et croisements incessants depuis plus de 6 000 ans entre Bretagne, Galles, Irlande, Écosse, démontré par l’ADN, on s’en tape ! Les multiples preuves dans les pratiques religieuses, le légendaire, la poésie, l’habitat : du vent ! Circulez ! »

Jacobins ? Seulement peut-être…

La réaction d’Alan Stivell n’a pas été isolée. Dans une tribune intitulée « Le musée de Bretagne ou le jacobinisme jusqu’au bout » publiée en octobre, l’écrivain régionaliste Yvon Ollivier a dénoncé une démarche jacobine : « L’affaire de l’exposition ratée du musée de Bretagne « Celtique ? » m’amène à réfléchir au jacobinisme en tant qu’idéologie visant à l’homogénéisation totale de la société au mépris de l’altérité pour mieux concentrer le pouvoir. »
Erwan Chartier-Le Floch, spécialiste de l’Histoire de la Bretagne et auteur d’une thèse sur l’interceltisme contemporain, qui avait participé à la rédaction du catalogue de « Celtique ? », a lui aussi rué dans les brancards. Il a exigé que son nom et sa contribution soient retirés du document et a justifié sa démarche en arguant qu’en avançant que la celtitude bretonne relève du mythe et non d’une réalité, les organisateurs de l’exposition avaient remplacé l’interrogation scientifique initiale par une opération idéologique niant la celtitude bretonne et ignorant le ressenti des Bretons : « La question est aussi de savoir ce en quoi les gens se reconnaissent. »
Des universitaires (Université Rennes 2) ont volé au secours des organisateurs de l’exposition en suggérant que l’approche scientifique était prise à parti par une passion identitaire issue d’un roman régional. Cette intervention a priori séduisante et objective, n’a cependant pas pris en compte deux faits aussi incontestables qu’incontournables : les peuples et les nations dont ils se réclament naissent d’un amalgame entre du réel, de la légende et de la conduction idéologique ; dans l’Histoire du peuple et de la nation, le mythe est fondateur puis devient au fil du temps une part de réel.
Cela vaut pour la Bretagne tout comme pour la Corse, la France et partout ailleurs. Avec l’exemple français, il est d’ailleurs aisé de le comprendre. Au moins jusqu’à mai 68, dans ses écoles, collèges, et lycées, et même à l’Université, la France a enseigné une histoire mythifiée. En présentant Les Lumières comme l’expression d’un génie presque exclusivement français. En évoquant comme étant des réalités, les hauts faits légendaires prêtés à Vercingétorix, Le Grand Ferré, Jeanne D’Arc, Jeanne Hachette, Bayard, Cambronne et bien d’autres. En magnifiant le règne du « Roi Soleil », « l’esprit de la Révolution » et « l’épopée napoléonienne ».
En déroulant un récit de l’Occupation exaltant la « France résistante » et en mettant quasiment sous le tapis la France de la Collaboration ordinaire et du marché noir. Et j'en passe. Conclusion : « Celtique ?» et les universitaires de Rennes 2, s’ils ont peut-être péché par jacobinisme, ont sûrement fauté par manque de prise en compte qu’au fil du temps et de leur appropriation par un peuple ou une nation, les mythes deviennent une part du réel. Le philosophe et historien Ernest Renan, dans « Qu'est-ce qu'une nation ? », a d’ailleurs justement écrit : « L’oubli, et même l’erreur historique, sont un facteur essentiel de la création d’une nation. »

Alexandra Sereni
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