Politique culturelle : U Riacquistu aux oubliettes ?
Possiblement confier à un regard extérieur à l'île.......
Politique culturelle : u Riacquistu
aux oubliettes ?
Possiblement confier à un regard extérieur à l’île (conséquence possible de l’appel à la concurrence qu’impose la passation d’un marché), une étude portant sur la politique cultu-relle ne pouvait être jugé que contraire à l’esprit du combat culturel qui est mené chez nous depuis les années 1970, et plus précisément à ce qu’a été le Riacquistu.
L'Assemblée de Corse a adopté, lors de la session des 26 et 27 janvier derniers, le rapport « Politique culturelle de la Collectivité de Corse, vers une nouvelle stratégie dans une perspective d'autonomie : bilan et perspectives ». A l’occasion d’une conférence de presse ayant précédé les débats dans l’hémicycle, le président du Conseil exécutif, Gilles Simeoni, et la conseillère exécutive en charge de la culture et du patrimoine, Antonia Luciani, ont évoqué l’enjeu-clé de la nouvelle politique culturelle qu’entend conduire la majorité territoriale : la rendre plus forte, attractive et rayonnante pour mettre la culture au cœur de l’action de la Collectivité de Corse car elle permettent de faire sens et société. Gilles Simeoni et Antonia Luciani ont aussi exposé la démarche qu’ils entendaient mettre en œuvre : dans la continuité des Attelli di a Cultura lancés en 2016 et en associant pleinement le Conseil Économique, Social, Environnemental et Culturel de Corse (CESEC), engager une concertation avec les acteurs culturels publics et privés, les élus investis dans la culture et tous les habitants afin de faire émerger et co-construire une vision commune de la stratégie de la Collectivité de Corse en matière de politique culturelle ; notamment concernant la définition d’objectifs partagés, le renforcement de l’évaluation, une meilleure utilisation des financements, l’identification des transferts de compétences et des moyens à solliciter dans la perspective d’un futur statut d’autonomie.
L’adoption du rapport a permis d’acter deux phases d’exécution qui seront mises en œuvre avec l’accompagnement du « regard extérieur expert » possible de consultants d’un cabinet d’études implanté hors de Corse.
La première, d'une durée d'un an, consistera à évaluer sous l’égide d’un Comité de pilotage, et ce, en recourant à une enquête par entretiens avec un échantillon diversifié de personnes-ressources et à une analyse de documents, les actions menées au cours des vingt dernières années et l’emploi du budget dédié à la culture « secteur par secteur, en identifiant ceux à maintenir et ceux à renforcer».
La deuxième phase sera consacrée à « l'élaboration de dispositifs de coopération et de co-construction » en associant les institutions concernées, les élus et les acteurs culturels, et en prenant en compte une enquête qualitative sur les pratiques culturelles des Corses (avec un focus sur celles de la jeunesse).
Malgré les efforts d’explication ayant été consentis par Gilles Simeoni et Antonia Luciani lors de la conférence de presse puis, durant les débats, par Antonia Luciani et plusieurs conseillers du groupe Fà populu inseme, les oppositions ont fraîchement accueilli et sévèrement jugé le rapport qui leur était soumis. La droite (Soffiu Novu) a voté contre. Les nationalistes (groupes Core in Front et PNC-Avanzemu, Josepha Giacometti-Piredda, conseillère Corsica Libera) se sont abstenus. La démarche proposée était pourtant a priori séduisante. En effet, avec la démarche proposée dans le rapport « Politique culturelle de la Collectivité de Corse, vers une nouvelle stratégie dans une perspective d'autonomie : bilan et perspectives », la majorité siméoniste a manifestement essayé de répondre positivement à des critiques lui étant le plus souvent adressées, à savoir ne pas proposer une vision stratégique, ne pas user de la concertation, ne pas évaluer ses politiques, ne pas veiller à une optimisation des ressources budgétaires, n’avoir rien à proposer de concret dans la perceptive de l’instauration d’un statut d’autonomie. Alors pourquoi a-t-elle dû affronter les feux roulants des opposants ?Dans quelle mesure a-t-elle péché ?
Le bâton pour se faire battre
La droite a dit redouter une volonté de la majorité siméoniste de mettre la politique culturelle de la Collectivité de Corse au service d’une idéologie et de l’instauration d’un statut d’autonomie. Ainsi, au fil des interventions du groupe Un Soffiu novu, il a été dénoncé une « politisation de la culture », déploré « l’impression d’une prise en otage » et souligné n’avoir « jamais autant craint que la culture devienne une arme politique ». Il a même été déclamé : « Pour nous, la culture, c’est la liberté de plaire, mais surtout de déplaire au pouvoir en place.
C’est la raison pour laquelle nous voterons contre votre rapport ». Il est difficile de ne pas juger injustes ces critiques. En effet, il est légitime qu’une majorité, quelle qu’elle soit, ait l’ambition de se doter d’une stratégie concernant un dossier aussi important et sensible que l’est chez nous celui de la politique culturelle. Et, par ailleurs, il n’est certainement pas inutile que cette majorité réfléchisse à ce que devrait être une répartition de la compétence culturelle entre l’État et la Collectivité de Corse en cas d’instauration d’un statut d’autonomie ; surtout si l’on considère que lors des précédentes évolutions institu-tionnelles, des transferts de compétences et de moyens ont respectivement donné lieu à de la confusion et à des compensations budgétaires défavorables à la Corse.
Les critiques qui ont été portées par les opposants nationalistes ont été plus justifiées. Plus précisément, elles ont exploité le fait que la majorité siméoniste ait usé du bâton pour se faire battre.
En effet, possiblement, confier à des intervenants extérieurs une étude portant sur la politique culturelle ne pouvait être jugé que contraire à l’esprit du combat culturel qui est mené chez nous depuis les années 1970, et plus précisément à ce qu’a été le Riacquistu.
En effet, le Riacquistu a été, comme son nom l’indique, une volonté de réappropriation par les Corses - à partir de leurs propres forces ! - de leur langue, leur histoire, leur héritage patrimonial, artistique et environnemental, leurs savoir-faire, leurs capacités de concevoir et de produire. Après une telle démarche volontaire et militante, confier à un cabinet une étude majeure portant sur la politique culturelle ne pouvait qu’être qu’être mal perçu ! Cela n’a pas manqué. Josepha Giacometti-Piredda (Corsica Libera) a fait part de sa gène et de ses réserves : « On ne peut demander à un organisme externe de définir ce qu’est l’essence de notre culture.
Attention à la façon dont nous portons et construisons notre action. » Paul-Felix Benedetti (Core In fronte) a regretté qu’il ne soit pas fait appel à une expertise corse : « Ce qui me dérange, c’est qu’avec tous les élus et fonctionnaires, dont beaucoup sont aussi des acteurs culturels, nous soyons obligés de faire appel à d’autres pour en voir où l’on veut aller (…)
Donc, nous, nous ne savons pas ce que nous voulons ? Ce que nous voulons, c’est sauver le peuple corse, sa langue, ses racines. Nous sommes loin de cet objectif dans ce rapport. » Saveriu Luciani (PNC-Avanzemu) a usé de l’artillerie lourde. Tout en déplorant l’absence de référencer au Riacquistu dans le rapport « Politique culturelle de la Collectivité de Corse, vers une nouvelle stratégie dans une perspective d'autonomie : bilan et perspectives », il a asséné : « C’est quoi la culture pour vous ?Lorsque je lis le rapport, cela m’inquiète, on passe de Rue du commerce à CDiscount et au spectacle. Oui, cela m’inquiète parce que la culture, c’est la respiration d’un peuple, pas seulement le spectacle (…) Non au cadre trop restreint dans lequel on résume la culture (…) J’aurais souhaité des objectifs politiques dans lesquels le nationaliste corse que je suis, se serait reconnu. »
Pierre Corsi