Devoir de mémoire : Patriotti veut refaire Aléria !
Le collectif Patriotti réclame la création à Aléria d'un musée
Devoir de mémoire : Patriotti veut refaire Aleria !
Le collectif Patriotti réclame la création à Aleria d'un musée qui sera « lieu de mémoire du nationalisme corse ». Difficile de ne pas se réjouir de cette proposition.
Le collectif Patriotti qui a été créé durant le printemps 2018, rassemble une centaine d’anciens prisonniers politiques sans considération de leur actuelle appartenance partisane ou situation hors structures. Il se définit comme complémentaire des organisations de soutien aux prisonniers politiques et anti-répression que sont notamment Sulidarità, Aiutu Paisanu, L’Ora di u Ritornu…Son objectif majeur est d’aider les anciens prisonniers à résoudre les problèmes spécifiques qu’ils rencontrent depuis leur libération enfin qu’ils retrouvent une vie normale.
Parmi ces problèmes, il en est deux qui sont pendants. D’une part, des amendes doivent être payée à l’État (certain anciens prisonniers ont été condamnés à payer des centaines de milliers d’euros ; de nombreux prisonniers sont astreints à des versements mensuels à l’État et menacés de saisies sur leurs comptes s’ils n’effectuent pas ces paiements ; avoir été condamnée à une forte amende ne permet ni d’hériter d’un patrimoine ni d’en transmettre un).
D’autre part, certains anciens prisonniers relèvent de l’inscription au Fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions terroristes (Fijait), à même titre que les jihadistes ayant été condamnés, ce qui notamment leur impose de signer au commissariat ou à la gendarmerie la plus proche de leur domicile tous les deux mois et de signaler tout déplacement en dehors du territoire français.
Depuis sa création, Patriotti a été très présent médiatiquement et a multiplié les démarches et les initiatives. Parmi celles-ci : en juin 2018, une rencontre avec le président du Conseil exécutif, notamment afin de demander que les revendications en faveur des anciens prisonniers (suppression des peines pécuniaires, suppression de l’inscription au Fijait) ainsi que la libération de tous les prisonniers et une mesure d’amnistie soient portées à l’ordre du jour de toute négociation d’une solution politique ; en avril 2019, un appel à manifester avec pour mot d’ordre : stop à la répression des anciens prisonniers politiques ; libération des nationalistes encore incarcérés (dont Pierre Alessandri, Alain Ferrandi et Yvan Colonna) ; durant le printemps 2022, une implication forte dans les différentes mobilisations populaires ayant suivi l’assassinat d’Yvan Colonna ; ces dernier mois, l’exigence clairement formulée que, dans le cadre du processus Darmanin, la libération de tous les prisonniers et l’abandon de toutes les formes de répression à l’encontre des militants nationalistes soient considérés comme des priorités.
Depuis la fin de l’année passée, Patriotti a étendu son action à l’affirmation d’un devoir de mémoire.
Mettre fin au massacre
En novembre dernier, à Sorbu-Ocagnanu, des dizaines de membres de Patriotti ont, avec le concours d’autres militants nationalistes, d’une part, rendu hommage à Ghjuvan’Battista Acquaviva devant le bâtiment (anciennement villa Roussel) où, le 15 novembre 1987, ce militant du FLNC avait été abattu lors d’une opération commando ; d’autre part, déclaré ne pas se satisfaire de la version officielle concernant les circonstances de ce tragique événement. Le porte-parole du collectif a déclaré : « Nous sommes ici pour rendre hommage à notre frère assassiné. Trente-cinq ans se sont écoulés et les zones d’ombre restent encore très nombreuses. Ni la justice, ni l’État français n’ont jamais souhaité résoudre cette affaire, s’appuyant sur la version romanesque dite « officielle », celle de M. Roussel, étayée par la gendarmerie. Une version qui met en exergue le méchant terroriste abattu par la gentille victime ».
Récemment, le 5 février, dernier, Patriotti a tenu une conférence de presse à Aleria, sur le site où, avant sa destruction, s’élevait la cave Depeille. Sur ce site qui est devenu le lieu de l’événement fondateur du nationalisme corse contemporain, le collectif a réclamé que soit mis fin « au massacre » et que soient enfin protégés « nos lieux de mémoire » (dénonçant ainsi implicitement que bâtiment en partie en ruines de la cave ait été détruit et que le seul élément commémoratif soit une petite stèle). En ce sens, il a concrètement proposé, ce qui redonnerait effectivement du lustre et surtout du sens au site, que soit construit un musée qui « reprendrait la forme de la cave Depeille », qui abriterait des salles où seraient retracés et expliqués par le texte, le visuel et l’objet « les événements d'Aleria » et qui pourrait aussi faire une place à l’évocation de l'histoire de la lutte de libération nationale.
Pour que ce projet aboutisse, le collectif s’est engagé à proposer une démarche non partisane faisant que « se mettent autour d'une table » des représentants de l’ensemble de la mouvance nationaliste. Par ailleurs, Patriotti a exprimé une autre proposition. Le collectif a en effet émis l’idée que soit réalisé « un monument en hommage à tous les morts de l'histoire récente du nationalisme corse » en un lieu qui serait consensuellement déterminé « avec l'ensemble du mouvement national ». Difficile de ne pas se réjouir de ces propositions. Elles s’inscrivent dans une volonté d’honorer et de rendre un peu à ceux qui ont beaucoup et même tout donné, et qui ont ainsi façonné l’essentiel de l’histoire de notre île durant ces dernière décennies.
Elles prennent en compte que la mémoire sans lieu et ni monument pour la fixer, la célébrer et la faire vivre est volatile et peut devenir infidèle ou traîtresse si d’aucuns s’en emparent pour servir leurs intérêts.
Enfin, elles sont de nature à corriger une erreur collective qu’Alexandra Sereni a, il y a quelques années, évoqué dans notre journal. Elle a en effet écrit qu’ayant appris la destruction prochaine de la cave d’Aleria, elle s’était reproché de n’avoir, comme beaucoup d’autres, rien fait pour que la façade de la cave reste à jamais une vitrine de l’histoire : « Nous avons laissé faire ! Nous avons renoncé ! Un peu comme si nous avions accepté qu’à Ponte Novu soit détruit le pont encore imprégné de ce que vécurent les infortunés engagés sur son tablier un matin de mai 1769. »
Pierre Corsi