• Le doyen de la presse Européenne

Pourquoi les mafias sont en train de gagner la partie

Ne nous laissons pas leurrer par les annonces faites dans le monde sur les éphémères victoires rempmortées par les justices sur les mafias.

Pourquoi les mafias sont en train de gagner la partie


Ne nous laissons pas leurrer par les annonces faites dans le monde sur les éphémères victoires remportées par les justices sur les mafias. La capture d’un chef de cartel au Mexique ou de Denaro, le dernier des Corleonesi en Sicile, n’a pas plus d’importance que celui de l’effet d’annonce. Jamais les mafias ne se sont aussi bien portées à travers le monde.


La force et la souplesse de la pieuvre


Il y a un mois, la justice italienne annonçait triomphalement la capture de Matteo Messina Denaro, le dernier des chefs mafieux « historique » après une traque de plusieurs décennies. Le sexagénaire se faisait soigner dans une clinique proche de sa ville de naissance. Il vivait là depuis un temps indéterminé se payant le luxe de déambuler dans les rues, d’aller se boire un petit café au bistro du coin. Atteint d’un cancer du côlon, il subissait des séances de chimio. Sans diminuer l’exploit de ceux qui l’ont traqué le temps d’une génération, l’important est de savoir qu’aujourd’hui la mafia sicilienne est une organisation criminelle en perte de vitesse. C’est la 'Ndrangheta, sa sœur calabraise qui est devenue en vingt ans l’organisation criminelle la plus puissante du globe. Elle traite directement avec les narcos sud-américains, possède des antennes sur tous les continents. Ses gains sont l’équivalent d’une société internationale comme PSA et avoisineraient les 70 milliards annuels. Après des débuts essentiellement axés sur les enlèvements, elle développe désormais une coopération très proche avec d’autres organisations criminelles. Son but est surtout de chercher des alliances planétaires sans faire de bruit. C’est ce qu’on appelle en Italie la « strategia dell’inabissamento » c’est-à-dire agir sous la surface, en sous-marin. La justice marque des points contre cette pieuvre comme l’ont montré les maxiprocès de 2011 et 2021. Et pourtant, la structure organisationnelle paraît tellement souple, liquide pourrait-on dire, qu’elle semble peu affectée par les coups de la justice. Le plus grave est surtout que désormais l’économie capitaliste d’une grande partie du monde est entièrement dépendante de l’argent sale et que les économies légales sont devenues à leur corps plus ou moins défendant des blanchisseuses des trésors de guerre mafieux.

Un capitalisme qui a cessé d’être primitif


Un des meilleurs spécialistes de la mafia, le sociologue Pino Arlacchi, qui fut consultant de la Direzione Investigativa Anti-Mafia et président de l’Association internationale pour l’étude du crime organisé (IASOC), avait analysé l’économie de la 'Ndrangheta comme une sorte de capitalisme primitif. Or les structures mafieuses ont su remarquablement s’adapter au capitalisme dont elles sont la forme brutale. En deux décennies, elles sont devenues des entreprises hautement lucratives dopées par la crise. L’argent sale représente 10 % du PIB planétaire soit plus de 2 200 milliards de dollars qui utilisent dans le monde 58 pays transformés en paradis fiscaux sur tous les continents. Les transactions se font désormais en crypto monnaies quasiment indécelables. Or le poids de l’argent sale a doublé en dix ans. Autrement dit, il est devenu un carburant indispensable pour l’économie mondiale et le supprimer reviendrait à faire chuter des pays entiers et partant, la structure même de la finance internationale.

Une mafia ? Non des mafias


On l’a vu en Corse la sémantique est souvent confuse. Sous le terme de mafia, on fourre un peu toutes les criminalités possibles et imaginables. En Calabre par exemple, il reste ces mafias qui rackettent au niveau local et dirigent l’économie souterraine d’une microrégion au moyen de la terreur. Mais la 'Ndrangheta a compris que l’avenir lui appartenait. Elle a formé des cadres, des gestionnaires, des hommes de loi. Elle est désormais tout à la fois productrice d’argent sale, la blanchisseuse et l'investisseur dans l'économie à ciel ouvert.
Les mafias ne sont plus un monde obscur. Elles sont une partie du monde tout court. Les justices pourront toujours se targuer d’avoir remporté des victoires sur les moins prudents, les plus bêtes ou tout simplement les gambits, ceux qui sont sacrifiés à l’intérêt général mafieux. Mais le cœur du mal continuera de battre parce qu’il est désormais indissociable du corps social. Et dans un monde soumis à des crises variées et angoissantes, le citoyen se tourne vers celui qui détient le pouvoir et l’argent. En Colombie par exemple, le pouvoir vient de tirer un bilan d’échec de la lutte contre les narcos. Les plus visibles, les plus arrogants ont certes été éliminés. Mais jamais le pouvoir des cartels n’a été aussi grand. C’est pourquoi l’optimisme n’est pas de mise.

GXC
Partager :