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Processus Darmanin : l'Etat s'emploie à reprendre la main

Gérard Darmanin est à la manoeuvre.

Processus Darmanin : l’État s’emploie à reprendre la main


L’État que l’on ressentait débordé, en mars de l’an passé, par la pression de la rue et tétanisé par la perspective des scrutins présidentiel et législatif, s’est repris. Il s’emploie désormais à limer les dents de la mouvance nationaliste. Gérald Darmanin est à la manœuvre.



Les 18 et 19 février derniers, Gérald Darmanin était à nouveau chez nous, quelques jours à peine après sa venue pour célébrer la mémoire du préfet Claude Erignac et prononcer un discours qui, s’il n’a été porteur ni de concessions, ni de promesses, ni d’assurances, a eu le mérite de faire savoir que l’État était enfin disposé à ne plus adopter, du moins publiquement, une démarche rancunière ou revancharde, et restait désireux de dialoguer dans le droit fil de l’ouverture politique étant intervenue au printemps dernier. Cependant, à l’heure à laquelle ont été écrites ces lignes, le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer n’avait pas encore foulé la terre de notre île. Il était donc impossible d’évoquer, commenter ou analyser ce qu’il était ressorti de sa venue. En revanche, il était possible de subodorer ce qui la sous-tendait.


Il y a quatre ans : Cuzzà


A priori, cette fois-ci, Gérald Darmanin aura moins porté sa demi-casquette d’acteur de la construction d’un nouveau cadre institutionnel pour la Corse, que sa demi-casquette d’acteur du développement des territoires. En effet, à l’occasion des deux principales étapes de sa visite, du moins officiellement, il aura avant tout été question de projets d’aménagement concernant Calvi et Corti dans le cadre de la mise en œuvre du Plan de transformation et d'investissement pour la Corse (PTIC). Bien sûr, beaucoup auront aussi vu dans cette visite une nouvelle manifestation de la décrispation des rapports entre Paris et la Corse. D’autant que le déplacement du ministre aura eu lieu quelques jours après la mise en semi-liberté de Pierre Alessandri, quatre jours avant que très probablement Alain Ferrandi bénéficie lui aussi de cet aménagement de peine et cinq jours avant une reprise des discussions sur l’avenir de la Corse, au ministère de l’Intérieur, dans le cadre du Comité stratégique.
Toutefois, il est possible d’interpréter tout autrement la venue du ministre. En effet, il n’est pas à écarter que celle-ci, au moins tout autant que de développement territorial, ait relevé d’une démarche qu’avait initiée, il y aura bientôt quatre ans, le Président de la République. En effet, en avril 2019, à l’occasion d’une visite officielle dans sur notre île, et plus particulièrement lors d’une réunion à Cuzzà en présence d’une bonne centaine de maires, Emmanuel Macron avait entrepris de faire rentrer ces derniers dans le jeu des rapports entre Paris et la Corse.


Elargir et approfondir la relation avec les maires


Ce qui autorise cette vision des choses est que Gérald Darmanin s’efforce, depuis plusieurs mois, d’associer les maires aux discussions portant sur l’avenir de la Corse, à travers la prise en compte des besoins, notamment d’équipements, de leurs communes. En octobre dernier, avec son collègue, le ministre de la Transition écologique et de la cohésion des territoires - parallèlement à des discussions avec le président du Conseil exécutif - il devait rencontrer les maires pour parler Énergie, Politique de l'Eau, Valorisation des déchets. Mais la réunion n’a pas eu lieu du fait que les tensions causées par le rejet de la demande d'aménagement de peine de Pierre Alessandri, ont conduit les deux ministres à annuler leur déplacement.
Au début de ce mois, à Aiacciu, il a rencontré vingt maires à l’occasion d’un dîner ayant eu lieu dans les salons de la préfecture de Corse. Il est donc probable que, même si un temps de travail avec les membres du Conseil exécutif a été programmé et qu’il a été donné suite, la priorité de Gérald Darmanin aura été d’élargir et d’approfondir la relation avec les maires qui l’ont reçu. D’autant que lors de l’élaboration du programme de la visite, ces maires n’ont sans doute pas été choisis au hasard. Ange Santini (Calvi), Xavier Poli (Corti) et Paul Lions (Corbara) appartiennent tous trois à la droite. Les électeurs de leurs communes ont apporté des pourcentages de voix importants 64 %, 49 % et 53 % au candidat de la droite François-Xavier Ceccoli qui affrontait le député sortant Jean-Félix Acquaviva (Femu a Corsica).


Susciter l’émergence d’une diversité d'interlocuteurs


Gérald Darmanin est sans doute l’agent principal d’une tactique visant à associer les maires aux discussions portant sur l’avenir de la Corse pour relativiser le poids du Conseil exécutif et de l’Assemblée de Corse et ainsi affaiblir la revendication d’une véritable autonomie et en édulcorer le contenu. En effet, alors que le Conseil exécutif et de l’Assemblée de Corse sont plutôt enclins à aborder les questions statutaires, les maires sont davantage intéressés par l’évocation de projets concrets d’aménagement et de développement à réaliser sur leurs territoires.
En conclusion, alors que le Conseil exécutif et l'Assemblée de Corse souhaitent s'imposer comme les matrices de la réflexion, du dialogue et des propositions de la Corse, l’État, en l’occurrence en la personne de Gérald Darmanin, s’efforce de susciter l’émergence d’une diversité d'interlocuteurs et d’ainsi gérer de la division ou au moins de la dispersion. L’État que l’on ressentait débordé, en mars de l’an passé, par la pression de la rue et tétanisé par la perspective des scrutins présidentiel et législatif, s’est repris. Il s’emploie désormais à reprendre la main et à limer les dents à la mouvance nationaliste. Gérald Darmanin est à la manœuvre.

Pierre Corsi
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