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Peuple corse , non ! Autonomie, sans doute ?

Première voie : accepter une autonomie sans reconnaissance du peuple corse et sans la prise en compte de certaines revendications.

Peuple corse, non, autonomie, sans doute !


Première voie : accepter une autonomie sans reconnaissance du peuple corse et sans la prise en compte de certaines revendications. Deuxième voie : rompre avec le gouverne-ment. Il y a fort à parier que considérant son socle électoral qui souhaite un compromis et une mobilisation de terrain quasi inexistante, et qu’étant ainsi mis en situation de prendre ce qui peut l’être, Gilles Simeoni optera pour la première voie


Après avoir été suspendues depuis cinq mois, les discussions officielles entre l’État et les élus corses (Comité stratégique consacré à l'avenir institutionnel de la Corse) ont repris le 24 février dernier. Les deux parties se sont retrouvées au ministère de l’Intérieur. L’ouverture de ce Comité stratégique - le troisième, les deux précédents ayant eu lieu les 21 juillet et 16 septembre de l’an passé -a été marquée par un contexte plus favorable, l’octroi enfin intervenu d’une semi-liberté à Pierre Alessandri et Alain Ferrandi, et surtout par une presque surprise et mini-événement, la venue du président de la République, Emmanuel Macron, qui a passé en revue l’assistance ; qui a pris place autour de la table aux côtés de Gérald Darmanin et Gilles Simeoni ; qui a répondu aux élus après que ceux-ci se soient à tour de rôle exprimés.
Presque surprise car l’éventualité que survienne « une surprise » avait été suggérée par des membres de la délégation corse alors qu’ils étaient en route pour Paris, et plus particu-lièrement par Jean-Jacques Ciccolini, maire de Cuzzà et président de l’Association des maires de Corse-du-Sud, qui a l’oreille de l’Élysée. Mini-événement car, si l’on considère ce qu’ont rapporté la présidence, les médias et les élus qui étaient présents, le chef de l’Etat n’a pas changé de position depuis mars 2022. Il a réaffirmé qu'il « ne doit pas y avoir de tabou ».
Il a redit être disposé à inscrire, dans le projet de réforme constitu-tionnelle qu’il projette de soumettre au débat à la fin de l’été prochain, des évolutions institutionnelles concernant la Corse, et invité la délégation corse et le ministre de l’Intérieur à être force de proposition. Il a confirmé l’existence de lignes rouge, notamment « le maintien de la Corse dans la République » et « le refus de créer deux catégories de citoyens ». Enfin, il a rappelé qu'un nouveau « destin commun » étant « à écrire, à bâtir, à reconstruire », chacun devra consentir à « faire un pas l'un vers l'autre » car « tout le monde ne sera jamais satisfait à 100% ».


Une seule voix discordante

Des différents commentaires et déclarations recueillis ci et là, il est ressorti que l’initiative du Président de la République avait été bien accueillie. Gérald Darmanin a dit « entrevoir un avenir radieux pour la Corse dans la République ». Gilles Simeoni a estimé que la venue du Président de la République était « d’un point de vue politique et symbolique, quelque chose d’important et de fort », que les mots d’Emmanuel Macron avaient « créé une situation politique nouvelle » et qu’une perspective avait été ouverte. Jean-Martin Mondoloni (Un Soffiu Novu) a dit être totalement en phase avec le Président de la République : « La présence solennelle d’Emmanuel Macron montre l’importance qu’il attache à nos travaux. Le chef de l’État a rappelé le périmètre dans lequel on doit évoluer et a prononcé des mots justes, affirmant qu’il avait compris le besoin de reconnaissance singulière de la Corse. » Jean-Christophe Angelini (Avanzemu-Partitu di a Nazione Corsa) a dit vouloir croire en l’avènement d’une nouvelle phase : « La présence du Président Macron, conjuguée à l’ensemble des propos tenus, relance le processus avec Paris de façon dynamique et constructive. » Paul-Félix Benedetti (Core in Fronte) a cru voir la levée d’un blocage : « Le président de la République a donné un calendrier en disant que nous devions boucler notre cycle de réunions à la fin du premier semestre 2023 pour qu’en fin d’année un projet puisse être déposé dans le cadre, je le cite, d’une mise à parité de la Corse avec les autres îles méditerranéennes. Et que dans ce cadre-là, le droit à la différenciation ne serait pas opposable. » Une voix discordante s’est toutefois faite entendre : celle de Josepha Giacometti-Piredda.
La représentante de Corsica Libera a fait part de scepticisme : « J’ai dit que les lignes rouges ne pouvaient être acceptables (…) La crainte d’une réformette en lieu et place d’un réel statut subsiste. Nous demeurons sur des réserves. Je l’ai dit au président de la République, si nous nous cantonnons à une décentralisation améliorée, pour nous, ce ne sera pas acceptable. Une évolution pour la Corse ne peut faire abstraction de la reconnaissance des droits du peuple corse, économiques, sociaux, culturels, fonciers et linguistiques. »


Là où le bât blesse

Josepha Giacometti-Piredda a touché du doigt là où le bât blesse dans la teneur des propos d’Emmanuel Macron. En effet, en disant refuser de créer deux catégories de citoyens - une des fameuses lignes rouges ! - le Président de la République à implicitement fermé la porte à toute reconnaissance consti-tutionnelle du peuple corse. Or l’impossibilité de cette reconnaissance a toujours conduit à l’échec de la recherche d’une solution politique durable car, au nom de « l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion » qu’énonce la Constitution, nombre de revendications fondamentales du nationalisme n’ont pu être jugées recevables et ne pourront l’être demain.
Gilles Simeoni a probablement perçu cela et les conséquences politiques négatives que cela pourrait représenter. En effet, tout en faisant part de son optimisme quant à la possibilité d’aboutir à des évolutions institutionnelles, il n’a pas manqué de prudemment souligner que même s’il ne s’agit pas de créer deux catégories de citoyens, il importe « de voir comment les citoyens corses peuvent accéder à un certain nombre de droits fondamentaux » et que l’invocation de lignes rouges ne dispense pas de discuter de ce que les nationalistes jugent fondamental, à savoir « la notion de peuple corse, la coofficialité de la langue ou le statut de résident. » Cette prudence dictée par la clairvoyance et la sincérité politique et aussi louable soit-elle, ne pourra cependant pas éviter au Président du Conseil exécutif de devoir choisir entre deux voies.
Première voie : accepter une autonomie sans reconnaissance du peuple corse et sans la prise en compte de certaines revendications (la co-officialité de la langue corse par exemple).
Deuxième voie : rompre avec le gouvernement. Cette décision sera difficile à prendre. Mais il y a fort à parier que considérant son socle électoral qui souhaite un compromis et une mobilisation de terrain quasi inexistante, et qu’étant ainsi mis en situation de prendre ce qui peut l’être, Gilles Simeoni optera pour la première voie. Il sera d’autant plus enclin à s’engager dans cette voie que, ces derniers temps, Gérald Darmanin ne manque pas de suggérer que la mouvance nationaliste n’est pas seule au monde et que d’autres interlocuteurs existent. Dernières paroles en ce sens : « Il n'y a pas dans nos réunions que des gens qui souhaitent l'autonomie. Nous avons des élus de forces d'opposition de droite, le sénateur Jean-Jacques Panunzi ou encore certains maires qui n'y sont pas forcément favorables (…) Il n'y a pas une seule opinion en Corse. » Et Gilles Simeoni sait bien, comme d’autres d’ailleurs, que si un ministre dit tout cela, cela signifie que ne l’effraient ni d’avoir deux fers au feu, ni de tourner casaque.

Pierre Corsi
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