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Partenariat Corse -Sardaigne : de la promesse à l'oubli

En 2016, construire de véritables partenariats de la Corse avec des territoires voisins.......
Partenariat Corse-Sardaigne : de la promesse à l’oubli

En 2016, construire de véritables partenariats de la Corse avec des territoires voisins, et ce, d’abord avec la Sardaigne et dans le cadre d’une politique euro-méditerranéenne, avait été présenté comme un axe stratégique. Et l’on voulait y croire. Depuis, rien.

Il y a quelques semaines, discrètement, Jean Casta nous a quittés. Ingénieur, urbaniste, docteur en Géographie du développement et diplômé en Études Approfondies de Sciences Politiques, il avait fondé, il y a plus de 20 ans, l’association Euro-Mediterranea, Culture et Développement, Coopération et Partenariats : Europe-Maghreb-Méditerranée
afin de « promouvoir la vocation de l’archipel Corse-Sardaigne comme trait d’union et passerelle entre les deux rives de la Méditerranée ». Sa conviction était que la Corse devait s’appuyer sur une synergie avec la Sardaigne pour construire son développement et prendre toute sa place au sein du monde méditerranéen. En septembre 2016, à l’occasion d’un entretien qu’il avait accordé à notre journal dans sa maison familiale de Carghjese, Jean Casta avait réexpliqué les enjeux de sa démarche, et dit espérer que les nationalistes qui venaient d’accéder aux commandes de la Collectivité Territoriale s’en empareraient. « Comment imaginer que l’on puisse construire le développement de la Corse à court, moyen et long terme, sans considérer dans quel environnement géographique, économique, stratégique, historique, culturel et humain, elle se situe et sans qu’elle s’ouvre sur cet environnement ? » avait-il confié.
A l’heure où notre représentation politique polarise son attention et son énergie dans une discussion avec Paris et l’obtention d’une énième évolution institutionnelle, il nous est apparu utile en évoquant la mémoire, l’action et les mots de Jean Casta, de suggérer que la Corse peut aussi se tourner vers d’autres horizons.

Ne pas jouer petit bras

Pour être entendu et compris, Jean Casta n’a pas ménagé ses efforts. Avec Euro-Mediterranea,
il a multiplié les contacts avec les responsables politiques et les médias, la participation à des colloques ou des forums, l’organisation d’évènements avec des experts et des intellectuels (notamment les Universités euro-méditerranéennes à Carghjese et à Bunifaziu). Lors de ces différentes actions, il s’est employé à faire prendre conscience que construire le « tronçon méditerranéen » d’un axe stratégique Europe-Méditerranée-Afrique par la création d’une euro-région Corse-Sardaigne, serait le premier acte concret d’une politique euro-méditerranéenne de la Corse et représenterait pour cette dernière une formidable opportunité de développement et de rayonnement.
A l’objection récurrente qu’il était présomptueux de la part de la Corse de vouloir traiter d’égale à égale avec une région totalisant presque deux million d’habitants et représentant une puissance économiques supérieure à la sienne, il a inlassablement répondu : « Ce n’est pas de compétition dont il s’agit mais de coopération. » Jean Casta a aussi réfuté que s’en tenir à une coopération étroite entre la Corse et la Sardaigne, ou même avec l’ensemble des îles de la Méditerranée, à partir de l’identification et la prise en compte d’enjeux communs, représentait une option vraiment productive. Selon lui, en jouant petit bras, on ne pouvait être ni respecté, ni écouté, ni pris en compte. En ce sens, il a évoqué quelles avaient été les limites qui, selon lui, avait déterminé l’échec de la démarche IMEDOC ayant associé la Corse, Les Baléares, la Sardaigne et la Sicile : « On parlait de la situation de la Corse en Méditerranée et souhaitait coopérer avec des territoires voisins sur des enjeux communs dont le premier était la reconnaissance par Bruxelles du fait insulaire et des handicaps s’y rattachant. Toutefois, même si cette reconnaissance a été inscrite dans les traités européens, IMEDOC a été un échec. Pourquoi ? Parce que la Corse ne compte pratiquement pas aux yeux de Bruxelles. Certes, l’Union Européenne apporte son aide à la Corse du fait de son retard de développement, mais notre île n’a aucune chance de se faire entendre en tant que territoire insulaire, même regroupée avec des îles voisines. »

Une nécessaire stratégie gagnant-gagnant

Jean Casta considérait en effet que pour compter au sein de L’Union Européenne, la Corse et les îles méditerranéennes devaient lui apporter quelque chose de concret : « La Corse ne commencera à compter pour l’Union Européenne que dans la mesure où celle-ci y trouvera un intérêt évident, c’est-à-dire dès lors que notre île sera partie prenante d’une stratégie dont la mise en œuvre sera indispensable sinon vitale pour l’avenir de l’Union. Or, une telle stratégie gagnant-gagnant ne peut, aujourd’hui trouver sa source que dans l’espace euro-méditerranéen. C’est pourquoi la décision de rapprocher la Corse et la Sardaigne par des accords de coopération est une étape majeure. Non pas parce qu’elles sont des îles mais parce qu’ensemble, du fait notamment de leur position géostratégique en Méditerranée, à mi-chemin des rives européenne et africaine, elles sont en mesure de compter dans la stratégie euro-méditerranéenne dont dépendra l’avenir de l’Union. » Ce considérant a conduit Jean Casta à préciser ainsi ce que pourrait être l’apport de l’ensemble Corse-Sardaigne : « La Méditerranée partage l’espace en deux mondes : au Nord, un monde riche et vieillissant, au Sud, un monde jeune en développement. Réduire ces disparités constitue l’un des enjeux du 21ème siècle.
Les deux mondes se rejoignent en deux articulations : à l’Ouest au détroit de Gibraltar, à l’Est au détroit du Bosphore. Un rapprochement des deux rives du Mare Nostrum est indispensable pour combattre les disparités entre le Nord et le Sud. Le développement à vocation euro-méditerranéenne d’un pôle économique corso-sarde placé à mi-chemin des deux rives de la Méditerranée occidentale, reliant les deux rives de la Méditerranée depuis la plaine du Pô jusqu’en Tunisie, formerait une articulation s’ajoutant à celles de Gibraltar et du Bosphore ».


Coopération dans tous les domaines

Jean Casta a aussi précisé ce que pourrait être la coopération entre les deux « îles sœurs » : « La priorité est de confirmer et conforter le rapprochement des deux îles par la mise en œuvre de l’accord de coopération dans plusieurs domaines : économie, continuité territoriale européenne, tourisme, transports, eau, énergie, enseignement supérieur, recherche… ll est également souhaitable d’agir en matière d’aménagement des territoires, par exemple en lançant l’étude de projets structurants en matière de transports sur l’axe Bastia / Bunifaziu / Santa Teresa / Cagliari. Au plan institutionnel, le plus rapidement possible, il importe d’engager la création d’une Euro-région Corse-Sardaigne à travers la création d’un Groupement Européen de Coopération Transfrontalière qui pourrait ensuite être étendu à la Toscane et à la Ligurie. Il convient aussi, au plan stratégique, d’affirmer auprès de Bruxelles la volonté de faire de l’ensemble corso-sarde un Pôle euro-méditerranéen interface entre les rives Nord et Sud à travers la politique européenne de voisinage appliquée aux pays tiers (échanges transfrontaliers sur les plans économique, culturel, universitaire, environnemental…) L’ensemble corso-sarde, du fait de sa proximité et de sa position stratégique, a une carte unique et majeure à jouer si l’on sait s’en donner les moyens politiques et humains. Une véritable mission historique de co-développement et de solidarité à l’échelle méditerranéenne s’impose à l’ensemble Corse-Sardaigne. Les deux îles ne peuvent se dérober. C’est leur destin. Elles doivent l’assumer. »

Il avait confiance

Jean Casta a conclu l’entretien en affirmant nourrir beaucoup d’espoir du fait de l’accession, neuf mois auparavant, des nationalistes aux commandes de la Collectivité Territoriale. Il a précisé que ce sentiment lui avait été dicté par cette déclaration de Gilles Simeoni : « Un des axes stratégiques de la nouvelle politique que nous voulons mettre en place, est de développer une véritable politique euro-méditerranéenne de la Corse, c’est-à-dire de construire des partenariats avec nos voisins (…) Le premier partenaire naturel de la démarche est, bien sûr, la Sardaigne. » Il a même ajouté croire que c’était bien parti, du fait qu’en février 2016, une délégation du Conseil exécutif de la Corse avait été reçue par le Président de la Région autonome de la Sardaigne et qu’un mois après, une délégation sarde s’était rendue en Corse pour signer un accord de coopération. Jean Casta a toutefois précisé rester prudent car il lui semblait déceler « une insuffisance de clarification des objectifs et de la stratégie à mettre en œuvre à court, moyen et long terme concernant la place et le rôle de la Corse en Méditerranée ». Toutefois la confiance prévalait : « Je constate cependant que cette situation n’a pas échappé au Conseil Exécutif. Il a récemment été nommé, auprès de son Président, une conseillère spécialement en charge des questions européennes et internationales et donc des relations euro-méditerranéennes.
Pour résumer, il existe une volonté forte mais la réflexion reste à mener en profondeur et la stratégie est encore à élaborer. On est toutefois sur la bonne voie ». Presque s
ept ans ont passé. Il semble malheureusement que concernant la construction d’un véritable partenariat de la Corse avec la Sardaigne et d’autres territoires voisins, et aussi concernant la mise en œuvre d’une politique euro-méditerranéenne, on en soit resté à la situation de septembre 2016.

Pierre Corsi



Service public maritime Corse-Sardaigne : parole, parole, parole...

Durant l’été 2018, dans le cadre du projet européen GEECCTT-Îles (GEstion Européenne Conjointe des Connexions et Transports Transfrontaliers pour les Îles), l'Office des Transports de la Corse, les Chambres de Commerce et d’Industrie du Var, de Haute Corse et de Corse du Sud, les régions Sardaigne et Ligurie, les autorités portuaires de Sardaigne et de Toscane se sont réunis. Il a été présenté le schéma d’un futur réseau de transports maritime et aérien destiné à améliorer les déplacements inter-insulaires entre la Corse, la Sardaigne et l'île d'Elbe. Les participants ont même affiché vouloir travailler à la création d’un Groupement Européen de Coopération Territoriale (GECT-Îles) qui pourrait prendre en charge, à partir de 2019, la gestion des transports transfrontaliers de service public aériens, maritimes et multimodaux sur l'ensemble de leur périmètre d'intervention ; une délégation de service public globale accordée par le GEECCTT-Îles devant permettre au futur groupement de sous-traiter à des armateurs des lignes maritimes et aériennes et l’équilibre des coûts devant être assuré par un concours financier des collectivités. « Nous avons pour volonté de travailler à une gouvernance territoriale. Si nous regardons encore plus loin, le sujet majeur est de rendre le plus fluide possible les échanges intermodaux sur l’ensemble de l’arc latin » avait-il été communiqué.
Fin 2021, à l’Assemblée de Corse, le groupe Core in Fronte a exhumé le dossier GECT-Îles. Il a rappelé : qu’en 2017, il avait été signé un protocole d'accord entre la Collectivité de Corse et la Région autonome de Sardaigne qui prévoyait la mise en place d’une continuité territoriale dans le cadre de deux délégations de service public (Bunifaziu-Santa Teresa, Pruprià-Porto Torres) ; qu’en décembre 2018, l’Assemblée de Corse avait validé le principe d’un recours à la délégation de service public maritime ; qu’en avril 2019, la création du GECT-Iles avait été acceptée par l’Assemblée de Corse. La conseillère exécutive et présidente de l’Office des Transports de la Corse a répondu à Core in Fronte que concernant une délégation de service public pour le transport de marchandises et de passagers entre Pruprià et Porto Torres, aucune offre n’avait été déposé ; que la compagnie La Méridionale, qui avait assuré jusqu’en 2017 deux rotations hebdomadaires Porto Torres-Pruprià, avait renoncé du fait d’un déficit d’exploitation non compensé ; que la ligne Bunifaziu-Santa Teresa régie par une délégation de service public gérée par la région autonome de Sardaigne, ne répondait sans doute pas à tous les besoins ; qu’une desserte de service public Pruprià-Porto Torres pourrait éventuellement être mise en place en 2023 mais que la dotation de continuité territoriale ne serait en l’espèce pas applicable. Depuis, rien….
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