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Catalogne : l'indépendantisme face au maccarthysme et à la division

Carles Puigdemont et son parti Junts per Catalunya sont dans le collimateur.
Catalogne : l’indépendantisme face au maccarthysme et à la division

Carles Puigdemont et son parti Junts per Catalunya sont dans le collimateur. Esquerra Republicana de Catalunya aux commandes de la Generalitat de Catalunya ne les soutiennent pas.

Le Parlement Européen va incessamment sous peu soumettre au débat et au vote un rapport évoquant une ingérence de la Russie dans les pays de l’Union Européenne. Un amendement a été déposé par les eurodéputés des groupes Parti Populaire Européen (Droite), Parti Social-Démocrate (Socialistes) et Renew Europe (Centre droit dont Renaissance, le parti macronien). Il y est énoncé que le Parlement Européen étant préoccupé par « l’ingérence à grande échelle de la Russie dans les mouvements séparatistes dans les territoires européens », appelle « les autorités compétentes à mener une enquête approfondie afin de faire toute la lumière sur ce qui s’est passé ».
Cet amendement mentionne la Catalogne. Une rencontre entre l’indépendantiste catalan Carles Puigdemont, ancien président de la Generalitat de Catalunya et actuel eurodéputé Junts per Catalunya, et unémissaire officieux de la Russie, est notamment dans le collimateur. Elle a eu lieu en octobre 2017 après le référendum d’autodétermination qui a été rejeté et réprimé par l’ État espagnol et à la veille de la proclamation d'indépendance de la Catalogne qui a fait long feu. Carles Puigdemont, alors encore président de la Generalitat de Catalunya, a discrètement reçu un ancien diplomate russe. Ce dernier a proposé une aide militaire et financière de la Russie en échange d’une législation favorable aux cryptomonnaies.
L'entourage de Carles Puigdemont a reconnu l'existence de la rencontre tout en précisant que l'offre du visiteur avait été rejetée.

Un amendement très inquiétant

L’amendement Parti Populaire Européen, Parti Social-Démocrate et Renew Europe révèle de l’hypocrisie et de la mauvaise foi. Hypocrisie car il est archi-connu et admis, et ce depuis longtemps, que nouer des relations formelles ou informelles avec différents États dont certains sont loin d’être des démocraties, est une pratique courante de toute lutte d’indépendance. Mauvaise foi car Carles Puigdemont a toujours rejeté le recours à la violence, y compris après que l’État espagnol ait refusé de reconnaître le référendum d’autodétermination et la proclamation d’indépendance, et ait conduit une répression policière et judiciaire. En outre, l’amendement - comme l’est dans une certaine mesure le rapport soumis aux eurodéputés ! - est trèsinquiétant. On y retrouve l’esprit (peur de l’ennemi intérieur, chasse aux sorcières…) d’un sinistre épisode qui a marqué la Guerre froide (conflit larvé et affrontements armés régionaux entre les USA et leurs alliés et l’URSS et ses alliés) : le maccarthysme. Durant cet épisode qui s’est déroulé aux USA au début des années 1950, le sénateur républicain Joseph McCarthy a initié une campagne de dénonciation contre toute personne soupçonnée d'être communiste ou d'éprouver des sympathies pour le régime soviétique.
Plusieurs millions d’Américains ont alors été soumis à des enquêtes. Nommé à la tête d’une sous-commission d’enquête permanente du Sénat, Joseph McCarthy a ciblé des hauts fonctionnaires, des journalistes, des artistes et desintellectuels. Il a aussi visé des milliers de fonctionnaires fédéraux passant pour être homosexuels car il estimait que ces derniers, étant en situation de marginalité par rapport à la norme sociale puritaine, ne pouvaient qu’être faibles face à un chantage et donc susceptibles de transmettre des secrets d’État.
Aujourd’hui, le rapport soumis aux eurodéputés et bien plus encore l’amendement Parti Populaire Européen, Parti Social-Démocrate et Renew Europe sont de nature à faire craindre que vienne en Europe le temps de la mise en accusation contre tout individu qui n’adhère pas à une ligne radicalement pro-Kiev et ouvertement atlantiste, ou ayant, dans le passé, affiché de la sympathie pour la Russie ou eu des relations avec des acteurs politiques, économiques, culturels, intellectuels ou sportifs de ce pays.

Esquerra Republicana de Catalunya non solidaire

Tout cela contribue à fracturer un peu plus la mouvance indépendantiste catalane. En effet, le parti Esquerra Republicana de Catalunya aujourd’hui aux commandes de la Generalitat qui est accusé par Carles Puigdemont de faiblesse dans le bras de fer avec l’État espagnol, est loin d’être solidaire de ce dernier. Après que la rencontre d’octobre 2017 ait été évoquée par un quotidien US (New York Times), Esquerra Republicana de Catalunya a demandé que l’ancien Président de la Generalitat s’explique. Quelques jours après que la guerre entre la Russie et l’Ukraine ait débuté, le député Gabriel Rufián, porte-parole d’Esquerra Republicana de Catalunya, a déclaré : « Notre ligne de conduite en politique internationale n’a jamais consisté à rencontrer des satrapes ». Aujourd’hui, tout en avançant que l’amendement Parti Populaire Européen, Parti Social-Démocrate et Renew Europe « vise à détourner l’attention du scandale des logiciels espions» (les services de renseignement espagnols ont reconnu avoir introduit le logiciel espion Pagasus dans les téléphones mobiles de dizaines d’indépendantistes catalans) et suggérant ainsi qu’il a été inspiré par des eurodéputés espagnols, la ministre Esquerra Republicana de Catalunya chargée des relations internationales de la Generalitat de Catalunya, a ajouté : « Le gouvernement catalan n’a ni n’a eu aucune relation avec la Russie ni avec des personnes liées au gouvernement russe, et il respectera toujours les décisions prises légitimement par les institutions européennes ». Ce qui sous-entend que Carles Puigdemont aurait agi à titre personnel et non en tant que président de la Generalitat et que ni le gouvernement catalan, ni Esquerra Republicana de Catalunya ne le soutiennent.

Alexandra Sereni








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