• Le doyen de la presse Européenne

Médiathèque de l'Alb'Oru : La première coupe de philosophie et de joute verbale

Le plaisir eet l'art de la philosophie

Médiathèque e l’Alb’Oru
Le plaisir et l’art de la philosophie



Au moment où la philo est plutôt malmenée au baccalauréat, la première coupe de philosophie et de joute verbale à la médiathèque de l’Alb’Oru a fait le plein. Comme si les gens avaient envie d’échanger, de discuter, de s’écouter… L’écoute ce phénomène rare de nos jours.



Organisateur de cette manifestation, Christophe Di Caro, à la base enseignant de philosophie, actuellement libraire, chargé de cours à l’université, animateur des cafés philo de la bibliothèque centrale et de la médiathèque des quartiers sud, fondateur de la troupe de théâtre, « La réplique ». L’affluence des spectateurs ne pouvait qu’interroger. Qu’attendaient-ils ? Une méthode pour débattre et échanger avec clarté et pertinence, on peut le supposer. Dans le public, fait notable, autant d’hommes que de femmes alors que d’ordinaire la culture se décline très souvent au féminin !

Thème de la joute
: « D’où vient le mal ? ». Une question qui habite l’humanité depuis ses débuts. En lice deux équipes : une de l’Alb’Oru, une de la bibliothèque centrale. Les cinq membres de chaque équipe se sont exprimés pendant deux minutes, puis est venu le temps de la confrontation, le tout en 90 minutes… la durée d’un match de foot.

Les compétiteurs se sont référés – en évitant toutefois les lourdeurs – à Socrate, Kant, Jung, Nietzsche, Hannah Arendt, à l’écrivain Tolstoï, au témoin que fut Vassili Grossman lors de la bataille de Stalingrad et de la libération du camp d’extermination d’Auschwitz. En écho à ces penseurs une compétitrice a remarqué que dans les journaux et médias le mal se vendait mieux que le bien ! A quelques reprises également a été évoqué l’horrible affaire d’Annecy. Mais cette coupe inédite a eu des instants ironiques, ainsi quand un compétiteur a fait une citation inattendue de l’acteur, célèbre pour sa pratiques des arts martiaux, Jean Claude Van Damme. Il faut parfois ne pas se prendre au sérieux en cheminant vers une vérité.

Les règles d’or de cette coupe voulaient qu’on ne… coupe pas un intervenant, qu’on construise un raisonnement, qu’on établisse un dialogue de façon sereine. Intéressant l’auscultation du mal par divers points de vue et approches. Les compétiteurs qui se devaient d’être citoyens se sont efforcés de penser par eux-mêmes, sans se réfugier dans des discours copiés-collés de philosophes renommés. Des échappées belles ont également débouché sur l’écologie et sur la place de l’humain sur terre.

Trois prix ont été attribués. Celui de la meilleure équipe est allé à la formation de la bibliothèque centrale, qui a vu l’un de ses équipiers être couronné meilleur orateur. Le public a donné son prix à l’équipe de l’Alb’Oru. Non prévu au programme le groupe de rap, « Les derniers philosophes », a distingué une équipière de la bibliothèque du centre-ville pour son interprétation du… mal.

Michèle Acquaviva-Pache

Le jury était composé de Michel Piquemal (philosophe), Jocelyne Casta (responsable de la médiathèque de l’Alb’Oru), Philippe Jammes (journaliste), Jean François Pietri (professeur de philo), Isabelle Casta (philosophe).



ENTRETIEN AVEC CHRISTOPHE DI CARO

Quelles sont les professions des compétiteurs de la coupe de philosophie ?
Je ne connais pas les activités professionnelles de tous. Je sais que parmi eux il y a un jeune réalisateur, un étudiant, des retraités, un coach en entreprise, une infirmière, une auxiliaire d’enseignement…


La philosophie au quotidien c’est quoi ?
C’est essayer d’avoir le contrôle et la maîtrise de soi. C’est être dans la réflexion en établissant un juste milieu entre l’intuitif et le raisonné. C’est une discipline consistant à accueillir les choses comme elles viennent… L’intuitif étant d’être connecté au monde en incluant la raison. La philosophie au quotidien c’est être idéaliste et réaliste en ayant la tête dans les étoiles et les pieds par terre.


Les compétiteurs venaient de Canale-di-Verde, de Querciolo, de Ponte-Leccia, de Saint-Florent, de Folelli, etc… Pourquoi n’y avait-il qu’un seul Bastiais ?
Parce que les Bastiais sont peut-être plus timides ! Parce que c’était la première fois qu’une coupe de philosophie était proposée. Pourtant d’habitude les habitants de Bastia apprécient les activités culturelles qu’offre la ville.


Vous avez insisté sur la notion de compétiteur-citoyen. Pour quelle raison ?
Citoyen représente le vieil idéal de la philosophie de l’antique Athènes. Le citoyen philosophe était alors dans la rue et tout était philosophie. L’idée de citoyen implique du lien entre les gens pour donner un sens aux choses. En ces temps là être citoyen n’était pas vivre à côté des autres mais avec.


Peut-il y avoir de philosophie sans confrontation d’idées ?
Il y a toujours confrontation, y compris entre soi et soi-même. L’important est de s’ouvrir aux autres. On chemine tous vers une vérité et on ne doit pas s’arrêter de le faire.


Notre époque est à l’invective et à la monopolisation de la parole par certains. Comment s’en sortir ?
Voilà qui est compliqué !... C’est un rôle des cafés philo de Bastia et de la coupe de philosophie. On doit apprendre à écouter l’autre sans l’interrompre et en se gardant d’être impulsif. Dans une discussion philosophique il y a volonté d’éveil à l’autre, c’est important, sinon il n’y a pas de dialogue possible et on risque de verser dans la pensée unique. Aujourd’hui on est abasourdi par les réseaux sociaux par les préjugés, par la suspicion. Il est primordial de savoir écouter afin de recevoir l’autre dans sa plénitude… La philosophie est un perpétuel questionnement.


Savoir parler en public est un art… ou presque. Pourquoi les femmes ont-elles moins la main en ce domaine que les hommes, cela s’est encore manifesté lors de la coupe ?
Délicat à expliquer. Cela relève peut-être de l’atavisme ou de la société corse qui est patriarcale et ne veille pas à une égalité dans la prise de parole entre hommes et femmes. Les compétitrices citoyennes avaient plein de choses à dire, mais ça passait plus difficilement chez elles…


Comment jugez-vous l’introduction d’un grand oral au bac ?
Pour moi c’est bénéfique pour apprendre à défendre ses idées. Au sujet du bac on finit par être pris de court en constatant que les réformes s’ajoutent aux réformes. L’oral devrait être un point central dans l’enseignement pour réussir à développer un raisonnement. A l’université de Corse je propose des cours d’éloquence. Ils sont suivis par une quinzaine d’étudiants, tous volontaires. Que de jeunes pousses soient capables de défendre leurs idées est nécessaire.


Avec la multiplication des podcasts et le regain d’intérêt pour les radios, l’oral en France n’est-il pas en train de récupérer du terrain ?
Je suis d’accord l’oral est plus présent et surtout l’écoute. On est dans une société qui a besoin d’apaisement où les personnes s’abandonnent à un retour sur soi par l’introspection, retour sur soi et à soi, à notre nature profonde malgré les tentations des réseaux sociaux. Ce retour à soi c’est un peu comme retrouver le ventre maternel.


Peut-il y avoir de démocratie sans philosophie ?
Il peut y en avoir… mais pas de la même nature. Dans une véritable démocratie la philosophie apporte plus de tempérance, plus de fraternité. La philosophie nazie c’est de l’idéologie, un système qui enferme, alors qu’il faut pousser à la compréhension de l’autre.


Chat GPT va-t-il nous confisquer la parole ?
Ce robot conversationnel est plutôt effrayant parce qu’il nous coupe de notre transcendance, de la recherche de sens dans le silence et l’introspection. Chat GPT nous apporte des réponses artificielles. Or, si on ne réfléchit pas par nous-mêmes nous ne sommes plus que des avatars et nous ne cultivons plus que de… la paresse d’esprit.

Propos recueillis par M.A-P
Partager :