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Cullectivu Patriotti : "À populu fattu , bisogn'à marchjà"

Le Cullettivu Patriotti veut, en suscitant la création d’un mouvement de résistance patriotique, donnner au nationalisme les moyens d’aboutir à un rapport de force favorable.

Culletivu Patriotti : « À populu fattu, bisogn’à marchjà ».


Le Cullettivu Patriotti veut, en suscitant la création d’un mouvement de résistance patriotique, donnner au nationalisme les moyens d’aboutir à un rapport de force favorable.



Le Cullettivu Patriotti représentant de nombreux anciens prisonniers politiques a tenu, le 16 septembre dernier, au Palais des Congrès d’Aiacciu, une conférence de presse. Dans le communiqué conviant à y assister, il était souligné qu’elle serait « importante ». Les présences dans l’assistance de cadres de Corsica Libera ainsi que de Josepha Giacometti-Piredda, l’unique élue à l’Assemblée de Corse de ce parti, de responsables du Sindicatu di i Travagliadori Corsi (STC) dont le secrétaire général Patrick Clemenceau-Fieschi, de Thierry Casolasco, le secrétaire général de l’Associu Sulidarità, étaient autant de signes qu’une annonce importante serait faite. Ce qui suggérait aussi qu’une information particulièrement digne d’intérêt serait apportée, était que cette conférence de presse avait été programmée pour avoir lieu juste après le passage en Corse du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin.


L’urgente nécessité de réagir



D’éventuels doutes quant à l’importance du rendez-vous ont été levés quand le porte-parole du Cullettivu Patriotti a d’entrée exprimé un constat alarmant de plus en plus partagé au sein de la mouvance nationaliste, décrivant un peuple corse fragilisé et spolié : « Notre peuple est en train de disparaître […] Notre terre est désormais livrée, jusque dans nos villages, à une colonisation de peuplement effrénée et à des appétits spéculatifs […] Les Corses voient également leur culture et leur langue disparaître peu à peu au profit de celles des colons […] Dans quelques mois, nous serons minoritaires sur notre propre terre ! Au niveau de notre économie, nous constatons qu’elle est aujourd’hui majoritairement contrôlée par quelques corses qui en ont la mainmise et par des capitaux étrangers par le biais de multinationales […] L’objet de la conférence presse n’était cependant pas de lancer un cri d’alarme. Faire le constat d’un peuple corse fragilisé et spolié n’avait en réalité pour but que de souligner l’urgente nécessité de réagir.
Le porte-parole du Cullettivu Patriotti a d’ailleurs clarifié les choses. Il l’a fait en trois temps. Il a d’abord souligné qu’en se mobilisant et se donnant ainsi les moyens d’aboutir à un rapport de force favorable, il était possible de faire bouger les lignes. Il a en effet rappelé qu’en mars 2022, après l’assassinat d’Yvan Colonna, une « nouvelle génération de jeunes » étant « organisés aux seins de syndicats étudiants ou non », ayant « conscience des enjeux politiques » et ayant « su se mobiliser quand il l’a fallu », a contraint Emmanuel Macron, alors qu’il s’y était toujours refusé, à autoriser l’ouverture de discussions portant sur une évolution institutionnelle (processus Beauvau). Il a ensuite condamné la politique de la majorité territoriale siméoniste : « La majorité territoriale, aujourd’hui au pouvoir depuis huit ans, n’a pas apporté, à notre société, les solutions qu’elle attendait. Les problèmes demeurent et notre peuple est en voie de disparition ». Enfin, il a proposé de construire une alternative : « Nous pensons que l’heure est venue de réorganiser le mouvement de résistance patriotique ».


Réorganiser le mouvement de résistance patriotique



Pour « réorganiser le mouvement de résistance patriotique », le Cullettivu Patriotti a proposé la méthode suivante. Primo, il a préconisé l’implication de toutes les forces vives du nationalisme : « Le Collectif appelle, à travers les syndicats, les associations, les organisations politiques, tous les militants qui se reconnaissent dans notre constat, y compris ceux qui sont inorganisés, à participer […] Le but est de pouvoir réunir les militants qui le souhaitent sur le terrain pour faire avancer nos revendications communes […]
Tous ensemble, nous pouvons faire reculer l’État français pour qu’il prenne en compte le fait national corse […] Tous ensemble nous pouvons convaincre notre peuple que la seule solution pour sortir définitivement de cette ornière est de pouvoir maîtriser note avenir en remettant en œuvre un projet de société ». Deuxio, il a défini ce qui devait être partagé, en précisant que son appel s’adresse à celles et ceux qui se reconnaissent dans la nation et dans les fondamentaux du mouvement national (una terra, una lingua, une cultura, un populu, una nazione) ; qui refusent les démarches de soumission à l’égard de Paris ; qui récusent tout lien ou toute connivence avec des partis politiques français (exceptés ceux qui reconnaissent explicitement les droits nationaux du peuple corse) ; qui reconnaissent clairement la légitimité des corses qui défendent la nation corse, quel que soit le terrain de lutte ». Tertio, il a fixé une échéance : « Nous donnons rendez-vous à tous les Corses intéressés par notre démarche, le 15 octobre 2023, à Corti, à partir de 14 heures, à l’Università, pour mettre en place cette démarche et, tous ensemble, organiser la refondation du courant patriotique et les mobilisations qui en découleront ». Il peut être ajouté qu’outre proposer une méthode, le Cullettivu Patriotti a identifié son initiative et ce que devra être la démarche future : « À populu fattu, bisogn’à marchjà ».


Rien de surprenant



L’initiative du Cullettivu Patriotti n’est pas surprenante. Elle découle somme toute logiquement des ressentis suivants au sein d’une partie conséquente de la mouvance nationaliste : impuissance des différentes majorités territoriales nationalistes à faire bouger les lignes aussi bien au sein de la société corse que concernant la question institutionnelle ; crainte d’une disparition du peuple corse ; mise à l’écart des forces les plus militantes ou les plus dynamiques, notamment les jeunes nationalistes organisés ou non, depuis le début du processus Beauvau ; confiscation des discussions avec l’État par quelques élus, juristes et technocrates ; acceptation par la majorité territoriale siméoniste des lignes rouges tracées par Emmanuel Macron, ceci impliquant un renoncement à au moins une partie des fondamentaux d’un demi-siècle de luttes nationalistes. Tout ceci est d’ailleurs perceptible (et même lisible) dans les mots du Cullettivu Patriotti : « Notre collectif, qui existe depuis plus de cinq ans, regroupe pour la première fois dans l’histoire de la Corse, des anciens prisonniers politiques avec des parcours différents et des appartenances politiques diverses. Nous avons payé très cher notre engagement en combattant, les armes à la main, contre l’État français. Notre combat qui est celui du peuple corse pour sa survie, la défense de sa terre et de son identité, nous l’avons mené en prenant nos responsabilités et en les assumant. Et nous l’avons fait la tête haute, fiers de défendre notre peuple et notre terre. Même dans les moments les plus difficiles, notre détermination n’a jamais failli et nous n’avons jamais regretté notre engagement. Aujourd’hui, ces années de prison, nous ne voulons pas les avoir faites pour rien. Nous avons décidé de continuer notre combat à visage découvert au nom de l’intérêt collectif supérieur du peuple corse ».


C’était même très prévisible



Il était même très prévisible que survienne une initiative telle que celle prise par le Cullettivu Patriotti. En juillet dernier dans un entretien accordé à notre journal, l’élue Corsica Libera à l’Assemblée de Corse Josepha Giacometti-Piredda avait évoqué la nécessité d’une large mobilisation : « Corsica Libera considère que pour préserver l’existence sur sa terre du peuple corse menacé de disparition, un changement de cap est indispensable […] Il s’agit de mettre en œuvre le rapport de force politique nécessaire […] Le président du Conseil exécutif et sa majorité n’ont pas voulu jusqu’à ce jour se donner tous les moyens de créer l’indispensable rapport de force qui n’est pas exclusif mais complémentaire d’un dialogue franc et constructif. Désormais, l’Assemblée de Corse doit mettre en œuvre autour des principes fondamentaux, les concertations et travaux nécessaires avec l’ensemble des parties prenantes […] Nous souhaitons bâtir un projet partagé par l’ensemble du mouvement national et par les forces vives qui ont rendu les discussions possibles […] Si l’on veut réussir, il ne faut plus susciter le sentiment d’une confiscation du débat dans les sphères institutionnelles. Il faut redonner toute sa place à l’expression du peuple corse […] Nous avons contacté les collectifs d’anciens prisonniers et les syndicats. Nous allons associer le plus largement possible ceux qui se reconnaissent dans une vision patriotique, pour une solution politique globale. Il ne s’agit pas de décréter mais de créer les conditions du débat pour jeter les bases d’une véritable convergence et des mobilisations à venir. » En août dernier, le FLNC avait appelé à une résistance collective à partir de la création d’une « plateforme patriotique » devant « transcender les partis politiques, les associations, les syndicats et tous les patriotes qui s’y retrouveront ».


Deux approches



Côté corse, il existe désormais et très clairement deux approches concernant le processus Beauvau. Celle avancée par le Cullettivu Patriotti : la mobilisation populaire autour des fondamentaux du nationalisme afin de créer, face à l’État, un rapport de force favorable au nationalisme et au peuple corse. Ce n’est cependant que dans quelques semaines que l’on pourra vérifier si elle rencontre une adhésion conséquente et peut déboucher sur une démarche organisée. Celle préconisée par le président du Conseil exécutif Gilles Simeoni et le député Laurent Marcangeli (qui à ce jour reste le leader de la droite en Corse et de l’opposition non nationaliste à la majorité territoriale siméoniste) : trouver un compromis dans le cadre de discussions institutionnelles entre autonomie de plein droit et de plein exercice incluant un pouvoir législatif, et une autonomie limitée fondée sur une plus grande possibilité d’obtenir des adaptations de la loi aux réalités de la Corse. Le président du Conseil exécutif affiche de l’optimisme. « Ce qui ressort aussi bien des discussions et des positions publiques du ministre que des échanges que j'ai pu avoir avec lui, c'est que dans son esprit au moins, le principe d'un statut d'autonomie et d'une solution politique globale est acquis » a-t-il assuré après avoir rencontré Gérald Darmanin lors de la récente venue de ce dernier en Corse. Laurent Marcangeli affiche sa bonne volonté. Il s’est en effet dernièrement dit « prêt à faire des concessions raisonnables ». Il faudra attendre la visite du Président de la République à la fin de ce mois pour savoir si l’un avait de bonnes raisons d’être optimiste et si l’autre devra aller loin dans le « raisonnable ».


Pierre Corsi
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