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Don Quichotte aujourd'hui

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« Le retable des merveilles »Don Quichotte aujourd’hui



« Le retable des merveilles, notes pour un film sur Don Quichotte » film de Guillermo G. Peydrò est un essai cinématographique très original. Cette réflexion sur « le chevalier à la triste figure » Arte Mare a eu récemment la judicieuse idée de la programmer. Idée judicieuse vraiment, tant le héros de Cervantès est à la fois actuel et intemporel.



L’intérêt du film du réalisateur espagnol est de susciter moult interrogations et de balayer quelques notions toutes faites. Dans le propos de Guillermo G. Peydrò Don Quichotte n’est plus cet huluberlu qui fait plier de rire le lecteur. C’est avant tout un homme assez érudit qui se cache derrière des visions abracadabrantesques pour énoncer des vérités qui mettent à mal le pouvoir du roi, Philippe III. C’est encore une façon qu’a Cervantès de dénoncer l’hypocrisie, le mensonge sévissant alors sur les terres d’Espagne…comme à notre époque.

Si Cervantès a réussi à échapper au filet de la censure c’est parce qu’il a imaginé un héros plus fou que fou qui peut tout dire et se permettre des rencontres les plus bizarres, occasions de déchirer le voile de la fourberie ambiante. Le mérite essentiel du film du cinéaste madrilène est d’établir une concordance de temps entre notre actualité et l’Espagne du XVII è siècle. Au fil des images la réalisation déroule des rapprochements saisissants entre hier et aujourd’hui. Don Quichotte habite aujourd’hui comme il l’a fait du siècle d’or espagnol… Un siècle d’or plutôt fragilisé par des crises économiques, par des échecs internationaux, par le reflux d’une société malade de l’Inquisition et par la traque de boucs émissaires, en l’occurrence morisques.

Guillermo G. Peydrò fait intervenir dans son narratif des collages composés de notes, d’un journal personnel, des références à des grands de la littérature, des prises de vue contemporaines, des concomitances à notre premier confinement. Son film est méditation sur l’enferment qu’a d’ailleurs très bien connu Cervantès. L’œuvre du cinéaste est érudite tout en misant sur la finesse, sur la suggestion et en évitant le piège d’une lourde démonstration. Pas à pas surgit la question des discriminations, de la supériorité acquise par certains au détriment des autres.

« Le retable des merveilles, notes pour un film sur Don Quichotte » propose un cheminement d’une heureuse lucidité dans une œuvre unique qu’il convie à de multiples lectures et relectures.

Michèle Acquaviva-Pache



ENTRETIEN AVEC GUILLERMO G. PEYDRO

Depuis quand entretenez-vous une proximité d’âme avec le Don Quichotte de Cervantès ?

J’ai commencé à lire « Don Quichotte » à 23 ans. Des passages de cette lecture me faisaient rire aux larmes. Vingt ans plus tard j’ai relu le roman de Cervantès et j’ai découvert combien il était critique. Cette deuxième approche m’a révélé la modernité de l’ouvrage. J’ai saisi combien il a eu d’importance sur la littérature du XX è siècle et que ce n’était pas une simple farce. Après cette relecture j’ai su que j’allais faire un film.



Comment se fait-il que le premier confinement vous ait renvoyer à Cervantès ?

Madrid est inondé de références à Don Quichotte qu’elles soient institutionnelles, touristiques, commerciales. Il y a des figurines, des affiches, des marques de vin, de fromage à son image. Ces traces je les ai étudiées, j’en ai fait l’inventaire. Dans mon film le point de départ de ma réflexion se situe au niveau politique : un Don Quichotte ouvrant un frigo vide à côté d’un supermarché… Pendant le premier confinement j’ai trouvé la forme de mon film : notes, journal, essais littéraires, références à Pasolini, auteur de films expérimentaux.



A votre avis qu’est-ce qui fait de Cervantès un auteur unique dans la culture européenne ?

Cervantès est une figure unique… Don Quichotte ne montre pas une réalité sublimée mais une réalité vraie. L’auteur critique la politique royale ainsi que la société dans laquelle il vit. Comme son héros est supposé fou, il peut balancer toutes les vérités ! Ce qui est fascinant avec Cervantes et que j’ai pu constater c’est qu’il peut être adopté et adapté par toutes les cultures du monde, y compris la chinoise…



Dans « Don Quichotte » le personnage de Ricote n’est pas le plus connu. Pourquoi s’est-il imposé à vous ?

A ma deuxième lecture Ricote m’est apparu comme la clé du roman. Pendant la pandémie nous étions abreuvés de fake news venant de Trump, de la droite et de l’extrême droite espagnoles qui nous considéraient tels de petits enfants sans jugement pour faire oublier leur responsabilité. Or, à l’époque de Philippe III, qui est celle de Cervantès, pour faire oublier toutes les crises qui frappent le pays, les boucs émissaires sont les morisques, expulsés en 1609. Cette situation Cervantès a le courage de la dénoncer à travers le personnage de Ricote, qui est chassé de chez lui… Ricote est l’image de la discrimination…



Qu’est-ce qui rapproche le plus Cervantès des confinements que nous avons enduré ?

Cervantès a été emprisonné trois fois, pour des problèmes financiers, entre autres. Il a été séquestré cinq ans à Alger par des pirates. Il sait ce qu’est l’enfermement d’où la soif de liberté qui passe chez Don Quichotte par un besoin de marcher encore et encore, d’être dehors.



« Le retable des merveilles », pour quelles raisons cet intermède nourrit-il particulièrement le message de Cervantès ?

Politiquement c’est sa meilleure petite pièce de théâtre. On a dit que Cervantès avait des ancêtres juifs ce qui l’aurait empêché d’accéder à de hautes fonctions. On qualifiait les gens comme lui de « sang mêlé et impur ». Dans « Le retable des merveilles » il s’insurge contre cela en usant d’une pirouette ironique. L’argument de la pièce montre deux saltimbanques qui affirment devant leur public que seuls les vrais chrétiens pourront voir leur spectacle… personne n’ose avouer qu’il n’a rien vu… La pièce fait un sort aux préjugés de l’époque en se moquant. Et c’est une charge contre le pouvoir royal qui persécute les morisques.



En réalisant ce film le souvenir de la guerre civile n’était-il pas présent à votre esprit ?

Toutes les idéologies : anarchiste, communiste, phalangiste, féministe ont voulu s’approprier « Don Quichotte ». Moi, j’ai voulu réactualiser Cervantès en en finissant avec l’auteur statufié.



Pourquoi des allusions à Pabst et à Orson Welles ?

Pabst a réalisé un Don Quichotte musical et une séquence de son film est un autodafé de livres… juste avant la prise de pouvoir des nazis. Pendant des années Welles a voulu tourner un Don Quichotte, il n’a pas pu y arriver. Mais il nous reste quelques fragments sublimes…



Vous évoquez un « temps de silence » à quoi vous référez-vous ?

Au livre, « Tiempo de silencio » (1960) de Luis Martin Santos, une œuvre remarquable qui renvoie à la dictature franquiste et fait une radiographie de la misère à Madrid dans un style complexe en parvenant à contourner la censure. C e livre je voulais le connecter à la pandémie en exprimant combien l’étrangeté pouvait pénétrer la quotidienneté. Pour cela j’ai utilisé trois images qui suggéraient une dystopie.



Que vous a apporté votre récent voyage en Chine où vous avez présenté votre film ?

J’étais invité par L’Institut Cervantès en tant qu’historien de l’art et cinéaste à Pékin et à Shangaï. L’expérience était fascinante. Les salles de projection étaient pleines. Le public était composé de jeunes et d’anciens. On m’a questionné sur Chantal Akerman, La Divine Comédie, Chris Markers, Cervantès… Les spectateurs ont été séduits par ma critique des fake news et emballé par la forme de mon film. On a échangé à plus soif !

Propos recueillis par M. A-P




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