• Le doyen de la presse Européenne

Collectivité de Corse : budget d'alerte et pilonnage en règle

Dans un contexte difficile et une période de bascule, il était normal.........
Collectivité de Corse : budget d’alerte et pilonnage en règle


L’objectivité commande de ne pas estimer qu’à l’Assemblée de Corse durant le débat budgétaire, se sont opposés de bons ou mauvais gestionnaires et de bons ou mauvais opposants. Dans un contexte difficile et une période de bascule, il était normal que les gestionnaires affirment faire au mieux pour conserver le navire à flot et préserver l’avenir et que les opposants soient soucieux de se démarquer et d’apparaître comme des alternatives.


C’est Alexandre Vinciguerra, conseiller exécutif et président de l’ADEC (Agence de Développement Économique de la Corse) - fortement épaulé durant le débat par Louis Pozzo di Borgo, conseiller de Corse Fà Populu Inseme et Président de la Commission des Finances et de la Fiscalité de l’Assemblée de Corse - qui a présenté et défendu le projet de budget primitif 2024 de la Collectivité de Corse d’un montant de 1423 M€ qualifié « d’alerte » car devant, dans un contexte excluant toute possibilité de supplément de solidarité nationale, représenter une réponse pertinente à cette très complexe problématique : conserver un niveau convenable d'investissement et ne pas creuser démesurément la dette malgré des dépenses de fonctionnement en augmentation et des recettes en berne.
Alexandre Vinciguerra a exposé et expliqué comme suit. Dépenses d’investissement (331 M€) destinées à des projets structurants selon une volonté (tout en reconnaissant un léger fléchissement, 367,5 M€ en 2023) de « continuer à répondre aux besoins de la Corse, de ses territoires, et de son peuple ». Emprunt d'équilibre (119 M€) pour contribuer à maintenir l’effort d’investissement, et ce, selon une dette (1045 M€ au 1er janvier 2024) présenté comme étant supportable (capacité de désendettement de 6,75 ans) : « Elle reste bien en-dessous des neuf ans qui constituent généralement le seuil d’alerte ». Dépenses de fonctionnement (1037 M€) dont l’augmentation (+ 2,62 %) est due à des contextes, des décisions et des règles sur lesquelles la Collectivité de Corse n’a pas prise (hausse de la masse salariale du fait des avancements statutaires, revalorisation du point d’indice ; augmentation des dépenses du secteur social et santé du fait de la revalorisation de certains minimas sociaux, de la paupérisation de la société, du vieillissement de la population et d’une augmentation du nombre d’habitants ; hausse du poids de la continuité territoriale du fait de l’inflation non compensée : « Notre dotation de continuité territoriale est figée depuis 2009 »...).
Enfin, recettes en berne du fait du choix de ne pas augmenter les taux d’imposition, de moindres rentrées au titre des droits de mutation (crise générale de l’immobilier, difficulté d’accès à la propriété pour une majorité d’insulaires), de la progression limitée des produits de la fiscalité sur le tabac et les carburants.
Ayant aligné des chiffres, Alexandre Vinciguerra a aussi aussi énoncé des priorités : amélioration des infrastructures stratégiques et des transports (achèvement du déploiement du très haut débit, modernisation des ports et aéroports, aménagements routiers, multimodalité, réhabilitation des ponts, gares et haltes du réseau ferré…) ; politique d’aide aux communes, intercommunalités et territoires ; renforcement de l’offre d’équipements et de services dans les domaines de la santé et du médico-social ; protection des ressources naturelles et de l’environnement (préservation de la biodiversité, valorisation de la ressources eau, tri-valorisation des déchets, prise en compte du réchauffement climatique, objectifs d’autonomie énergétique et alimentaire) ; soutien à la formation des jeunes et des adultes (apprentissage, enseignement supérieur ) ; soutien à l’action économique. En définitive, il est apparu qu’Alexandre Vinciguerra a voulu mettre en exergue que le projet de budget 2024 avait été construit selon une volonté de responsabilité et de rigueur prenant en compte des marges de manœuvre limitées sans renoncer à des projets et des perspectives, et sans tirer des plans sur la comète Autonomie.
Ceci a d’ailleurs été souligné par le président du Conseil exécutif. Gilles Simeoni a en effet affirmé : « Nous avions les moyens budgétaires de ne pas présenter un budget d’alerte […] Nous avons fait le choix inverse qui est le choix de la sincérité, de la transparence et de l’alerte anticipée […] Je ne veux pas qu’il sorte de ce débat la compréhension chez les Corses que l’autonomie est une bouée de sauvetage budgétaire ou financière pour la Collectivité de Corse. Ce n’est pas ce que nous disons. Ce que nous disons, c’est que les discussions sur l’autonomie doivent être l’occasion de remettre à plat l’ensemble de l’équation. Ces discussions, qu’elles aboutissent ou pas d’ailleurs, doivent être l’occasion de construire un nouveau pacte budgétaire et financier. »


Pilonnage en règle


Alexandre Vinciguerra n’a toutefois pas convaincu les opposants. Le projet de budget a été adopté avec les seules voix de la majorité Fà Populu Inseme. Les trois groupes d’opposition (Un Soffiu Novu, Avanzemu, Core in Fronte,) et les deux élus non-inscrits, Pierre Ghionga et Josepha Giacometti-Piredda ont voté contre après avoir sévèrement critiqué. La réalité de la maîtrise des dépenses de fonctionnement et de la dette a été contestée, l’effort d’investissement a été jugé insuffisant et surtout manquant de vision stratégique. L’opposition de droite (Un Soffiu Novu), notamment par les voix de Valérie Bozzi et Xavier Lacombe, a en effet dénoncé des dépenses de fonctionnement hors contrôle, une carence et une absence de programmation pluriannuelle de l’investissement, un envol de l’endettement, un effondrement de la capacité de remboursement de la dette, l’attente irresponsable d’un bénéfice considérable du processus Beauvau.
Valérie Bozzi a aussi particulièrement pointé du doigt une constante procrastination : « Depuis que vous êtes aux responsabilités, on a des études, mais on a peu de constructions et de premières pierres. Vous avez beau tenter de faire croire que l’investissement est bien présent, il manque les projets structurants. » Xavier Lacombe a abondé en ce sens : « L’autonomie, c’est de l’espérance mais aujourd’hui il n’y a rien de concret ».
L’opposition nationaliste n’a pas été plus tendre que celle de droite.
Paul-Félix Benedetti, le président du groupe Core in Fronte, après un hommage inattendu aux majorités de droite de Jean Baggioni et Ange Santini : « La dette initiale de la CdC jusqu'aux années 2010 était assumée en ciblant des investissements stratégiques », a dénoncé une gestion au jour le jour nourrie par un endettement croissant : « Nous sommes désormais dans la routine de l'équilibre financier par l'emprunt […] Cette dette aujourd’hui, elle est inexorable. 100 millions empruntés en 2023, 120 millions en 2024. Au rythme du déficit chronique et structurel, vous serez au minimum à 140 millions d’euros en 2025. Parce qu’il n’y a pas de recettes nouvelles. » Le leader de Core in Fronte a aussi déploré des coupes sombres affectant la culture et le sport.
Jean-Christophe Angelini, le président du groupe Avanzemu, a jugé qu’invoquer l’effort d’investissement relevait du « trompe-l’œil ». Il a aussi affirmé qu’il était systématiquement recouru au saupoudrage. En effet, évoquant les délibérations prises, il a lancé : « 3 % font état d’un investissement compris entre un et dix millions d’euros et seulement 0,6 % d’un investissement supérieur à 10 millions d’euros. »
Josepha Giacometti-Piredda a elle aussi mis en exergue la procrastination : « Certains programmes continuent de stagner au stade des études ». Elle a aussi saisi l’occasion de rappeler que si un statut d’autonomie devenait réalité, il conviendrait que la Collectivité de Corse exige tout son dû financier : « Les débats avec l’État vont consister en quoi ? A prendre ce qu’il voudra bien nous donner ? Ou à exiger ce que l’on nous doit ? Va-t-on aussi réfléchir à comment rompre les liens de la dépendance ? Un transfert hypothétique de la fiscalité, la recherche de ressources nouvelles, la mobilisation de l’épargne, les prospectives sur les secteurs porteurs à identifier… Est-ce qu’on a entamé ce travail ? » Enfin, au fil du débat, sont ressortis de vieux sujets de discorde. Des recrutements massifs avant la fusion Collectivité Territoriale / Conseils départementaux ayant été évoqués sur les bancs Fà Populu Inseme pour expliquer le poids de la masse salariale, Georges Mela (Un Soffiu Novu) a tonné : « Pas question de vouer aux gémonies les anciens départements en leur faisant porter le chapeau ». Pierre Ghionga a alors enfoncé le clou : « Le passé n'explique pas toutes les difficultés présentes ».


Contre-batterie


Le pilonnage en règle a provoqué des tirs de contre-batterie de la majorité Fà Populu Inseme. Ceux-ci ont été particulièrement le fait de Louis Pozzo Di Borgo. Le Président de la Commission des Finances et de la Fiscalité de l’Assemblée de Corse a rappelé que les choix responsables appelaient des décisions n’ayant rien de facile. Ainsi, il a souligné que les coupes concernant la culture et le sport avaient été déchirantes mais dictées par les besoins croissants du social et de la santé : « Nous le regrettons et espérons pouvoir changer la donne. Il faut voir aussi que sur le social ou la santé, les crédits augmentent. » Il a rejeté l’accusation de saupoudrage en faisant valoir que l’aide aux communes et aux intercommunalités, et plus particulièrement pour ce qui concerne celles du monde rural et de la montagne, relevait d’un ADN constitutif de la société corse qui ne pouvait être renié même s’il conduisait à remettre de grands projets. Il a rappelé que si la maîtrise des dépenses de fonctionnement était rendue difficile par des contraintes nouvelles concernant notamment la masse salariale (augmentation de celle-ci du fait des avancements statutaires et de la revalorisation du point d’indice), elle l’était aussi du fait du passé même si beaucoup avait été fait pour pour remédier aux problèmes : « Depuis 2018, la masse salariale a connu une augmentation de 39 M€ alors que le nombre d’agents est resté similaire ». Louis Pozzo Di Borgo a aussi insisté sur la nécessité d’un travail commun des groupes de l’Assemblée de Corse visant à demander à l’État une remise à niveau financière même hors autonomie : « Il y a des choses qui nous sont dues. Je ne vais pas faire appel à l’autonomie qui rend tout le monde heureux […]
Nous devons aussi raisonner sur le temps court qui va nous permettre de travailler dans la concorde et l’intérêt collectif des Corses. »
Il a ajouté qu’il y avait du grain à moudre car dans les régions de droit commun, la structure des recettes se compose à 54% de T.VA., impôt dynamique, alors qu’en Corse, la part est de 21%.
En conclusion, au vu du projet de budget qui a été présenté (et adopté) et des dires des uns et des autres, l’objectivité commande de ne pas estimer qu’à l’Assemblée de Corse durant le débat budgétaire, se sont opposés de bons ou mauvais gestionnaires et de bons ou mauvais opposants. Dans un contexte difficile et une période de bascule, n arrive a mi mandature et la perspective d’une évolution institutionnelle faisant que les enjeux électoraux rentrent en ligne de compte et que chacun doit afficher sa différence et ses options , il était normal que les gestionnaires affirment faire au mieux pour conserver le navire à flot et préserver l’avenir et que les opposants soient soucieux de se démarquer et d’apparaître comme des alternatives.


Pierre Corsi
Partager :