Irlande : la mort d'un traître

Irlande : la mort d’un traître

Agent infiltré par l’armée britannique à la direction de l’IRA, Freddie Scappaticci est mort en avril 2023. Un rapport vient d’être publié aujourd’hui en Irlande du Nord à l’issue d’une enquête de sept ans, l’opération Kenova, dont le coût est estimé à 40 millions de livres sterling soit 46,7 millions d’euros. Elle a duré sept ans et mobilisé soixante-dix policiers qui ont interrogé plus de trois cents témoins. Son sujet était le rôle mené par Freddie Scappaticci, considéré à l’époque comme un « joyau de la couronne », qui travaillait en fait pour les renseignements britanniques. Or Scappaticci dirigeait la Nutting Squad, l’unité de sécurité intérieure (ISU) de l’IRA, un escadron de la mort responsable d’avoir torturé et tué les informateurs présumés. Il est mort dans la plus grande discrétion et a été enterré sans que personne ne soit prévenu.

Un immigré italien

Surnommé « Stakeknife » — jeu de mots entre steak knife, « couteau à viande », et stake, participation —, cet homme qui ne mesurait qu’un mètre cinquante aurait participé à l’assassinat d’une trentaine de personnes dans les années 1970 et 1980 et est accusé d’être impliqué directement dans 17 meurtres. Fils d’un vendeur de glaces italien installé à Belfast en 1940, Scappaticci avait rejoint l’IRA dans les années 1970. Emprisonné en 1971, il fréquente derrière les barreaux des cadres de la mouvance républicaine, engagée dans la lutte contre la présence britannique en Irlande du Nord. Il en ressort en 1974, pleinement inséré dans le milieu républicain. C’est pourtant quatre ans après sa sortie de prison qu’il a vraisemblablement été retourné par les autorités britanniques et devient un agent de la Force Research Unit. Il agit ainsi parce qu’il aurait été tabassé par ses camarades après un manque de respect envers un dirigeant de l’IRA et par appât du gain. Mais d’autres évoquent un accord avec les autorités sur fond de fraude fiscale. Son militantisme sans limites l’aide à monter dans l’appareil clandestin. Au début des années 1980, il se retrouve propulsé adjoint du chef de l’Unité de sécurité intérieure (ISU) de l’IRA, plus connue sous le nom de « Nutting Squad », ou « groupe de liquidation ». Sa mission : identifier… les espions et les taupes susceptibles d’opérer dans les rangs de l’IRA. Le surnom de Nutting squad vient de ce qu’après avoir torturé leurs victimes les exécuteurs de l’IRA leur tiraient deux balles dans la nut, la tête ironiquement appelée la noisette, d’où le surnom de ce groupe d’assassins.

Le joyau de la Couronne

Scappaticci reçoit un salaire annuel colossal pour l’époque de 80 000 livres soit 250 000 livres actuelles ou 283 130 euros. Stakeknife rend compte des opérations de l’IRA à l’armée britannique lors de voyages en Angleterre ou sur place à Belfast. Il était appelé dans le monde du renseignement militaire « le joyau de la Couronne » ou « l’œuf en or » à tel point que les autorités britanniques n’ont pas hésité à faire supprimer certains de leurs agents pour préserver la couverture de l’agent 6126. Mais les années passent et il devient évident que les succès remportés par l’armée britannique sur l’IRA sont causés par une ou des taupes appartenant à la haute hiérarchie de l’armée clandestine. Puis The Sunday Times évoque en 1999 la présence d’une taupe du nom de Stakeknife chez les paramilitaires républicains. Son nom finit par fuiter dans trois journaux en 2003. Scappaticci nie en bloc. Il est bien placé pour connaître le sort des traîtres. Il organise une conférence de presse à Belfast pour se défendre avant de disparaître justifiant son nom de famille. Il est alors placé sous le programme de protection des témoins Les enquêteurs pense qu’il est d’abord parti en Italie, à Cassino d’où est originaire son père. Mais il a la nostalgie du monde britannique. Il rejoint Dublin puis s’installe à Manchester avant de vivre à Guilford dans le sud de l’Angleterre sous le nom de Franck Conway. Arrêté en 2018, il est très vite relâché. Pourquoi n’a-t-il pas été retrouvé et exécuté comme Tyrone Meehan qui fut l’ami de l’écrivain Sorj Chalandon qui en a fait le « héros » de Mon traître et de Retour à Killybegs ? Ou comme Denis Donaldson assassiné le 12 avril 2009 ? Selon des cadres de l’IRA, son exécution serait revenue, pour l’IRA, à reconnaître une infiltration britannique jusqu’au plus haut niveau de son appareil militaire. Des sources au sein de l’armée britannique avancent, de leur côté, le chiffre de 180 vies sauvées grâce aux informations glanées par l’intermédiaire de Stakeknife. Ce qui est certain c’est que d’une certaine manière la mort du traître à l’âge de 77 ans met fin à la sale guerre qui a fait rage entre l’IRA et les autorités britanniques.

GXC