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Mafias italiennes : attache-case et clavier

Cosa Nostra, Camorra , Ndrangheta .....
Mafias italiennes : attache-case et clavier


Les trois principales organisations mafieuses italiennes, Cosa Nostra, Camorra, la napolitaine, ‘Ndrangheta, la calabraise, aiment le blanc.


Cosa Nostra, la sicilienne, Camorra, la napolitaine, ‘Ndrangheta, la calabraise, versent moins le sang, ne pratiquent plus guère l’enlèvement avec demande de rançon qui donnait lieu à des détentions dans de sordides cachots et pouvait avoir pour épilogue un bain d’acide si le paiement avortait ou tardait, et même en viennent à délaisser l’extorsion de fonds. Un magistrat de Milan a dernièrement déclaré que depuis 2011 - année durant laquelle, dans la capitale lombarde, un méga-procès avait concerné 120 personnes accusées de crimes mafieux traditionnels - il n'avait plus eu à traiter des dossiers d'extorsion. Les trois principales organisations mafieuses italiennes seraient-elles en train de s’assagir ou s’amender ? Que nenni ! La réalité est qu’elles évoluent. En effet, tout en gardant la main sur toutes les activités illicites ayant un caractère juteux, notamment le trafic et le deal de stupéfiants qui apportent des rentrées d’argent colossales, elles s’investissent toujours davantage dans la très lucrative et discrète criminalité en col blanc. L’attache-case et le clavier d’ordinateur, l’emportent sur le Glock.




Stimuler l'économie, stimule l’appétit des mafieux...

L’évolution des choses a été accélérée par l’afflux d’argent public. Les trois mafias se délectaient déjà de la manne des marchés publics alimentée par l’État et les collectivités locales. Leur avidité a été décuplée par le flux des aides européennes et, particulièrement ces dernières années, par les milliards d’euros européens de la relance post-COVID destinés à l’économie italienne. Stimuler l'économie, stimule l’appétit des mafieux... Le Parquet européen qui a le pouvoir de rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement les auteurs d'infractions portant atteinte au budget de l'Union Européenne, a d’ailleurs tiré le signal d'alarme. Ses magistrats ont souligné que les malversations financières commises au détriment de l'Union Européenne étaient le fait de groupes criminels organisés, et plus particulièrement des trois mafias. Ses magistrats ont relevé qu’en Italie, en 2023, plus de 550 enquêtes avaient été ouvertes pour un préjudice total estimé à plus 6 milliards d'euros, soit environ le tiers des enquêtes et du préjudice financier concernant l’ensemble de l’Union Européenne. Parmi les agissements des groupes criminels organisés, figurent en bonne place le détournement des aides de la PAC (Politique agricole commune) par la « mafia des pâturages » liée à la Camorra ou en étant une composante. Cette mafia est d’ailleurs maintes fois mises en cause. En mars 2023, un rapport de la Direction d’Investigation Anti-mafia (DIA) a expliqué qu’il avait fallu écarter de l’attribution des aides européennes, certains entrepreneurs et agriculteurs des Abruzzes car ils étaient proches de la Camorra et auraient imposé que leur soit accordée l’utilisation de pâturages « pour obtenir illégalement des fonds communautaires et des aides publiques destinés à l’alpage et à l’élevage du bétail ». Il était aussi mentionné dans ce rapport que les enquêteurs n’avaient pu déterminer le montant exact des fonds déjà captés par la « mafia des pâturages » ; que des éleveurs locaux étaient poussés à renoncer au profit de mafieux, à des terres où ils faisaient paître leurs animaux et que s’ils s’exécutaient, ils ne rempliraient plus les conditions d’obtention d’aides au titre de la PAC (Politique agricole commune) alors que des mafieux les engrangeraient. Enfin, une enquête de la Direction d’Investigation Anti-mafia (DIA) a révélé que jusqu’en janvier 2020, un clan de l’île avait à la fois partagé avec d’autres groupes mafieux, les « financements européens agricoles destinés au développement » de la Sicile, et sévi dans les Abruzzes. A retenir aussi, ces derniers jours, à l’issue d’une enquête de la police italienne qui a elle aussi porté sur la « mafia des pâturages », une quarantaine de personnes ont été interpellées et certaines d’entre-elles font l’objet d’une accusation d’avoir capté 5 millions d’euros de fonds européens en établissant de fausses exploitations agricoles.

A fond sur les autoroutes de l'information

L’évolution vers le col blanc a aussi été boostée par l’arrivée des nouvelles technologie. Les trois mafias n’ont pas raté le coche. Elles ont très vite appris à rouler à fond sur les autoroutes de l'information et à exploiter les opportunités qui s’ouvraient (relations plus confidentielles et sécurisées, détournement de fonds, transfert et blanchiment d’argent sale, recours aux cryptomonnaies…) Un éclairage sur ce nouveau savoir faire mafieux est apporté par l’évocation des faits suivants datant de septembre 2021. Des geeks liés à la Camorra captaient plus de 10 millions d’euros par an. Ils opéraient depuis les îles Canaries. Ils usaient notamment du phising (sollicitation de l'internaute pour l'inciter à communiquer des données personnelles), du vishing (appels téléphoniques visant à obtenir des informations confidentielles), du SIM swapping (prise de contrôle d’un numéro de téléphone en l’associant à une autre carte SIM, afin notamment de passer et valider des paiements en ligne frauduleux), de la fraude au président (usurpation de l'identité d'un cadre supérieur ou d’un dirigeant d’entreprise pour obtenir des transferts de données sensibles ou le virement de sommes importante sur un compte bancaire frauduleux), du blanchiment en cryptomonnaies. Plus de 100 arrestations ont été effectuées en Espagne et en Italie. 118 comptes bancaires et 224 cartes de crédit ont été neutralisés. Pour ce faire, il a fallu la coopération des polices espagnole et italienne, ainsi que l’implication d’Europol (agence qui facilite l'échange de renseignements entre polices nationales en matière de stupéfiants, de terrorisme, de criminalité internationale et de pédocriminalité au sein de l'Union européenne) et d’Eurojust (agence de l’Union européenne pour la coopération judiciaire en matière pénale, au sein de laquelle les autorités judiciaires nationales collaborent pour lutter contre la grande criminalité transfrontière organisée).

Au cœur de la fraude fiscale

Les trois mafias n’ont bien entendu pas renoncé à une facette historique de la criminalité en col blanc : la fraude fiscale. Frauder le fisc est en effet une pratique traditionnelle de toutes les mafias, et ce, au moins depuis les années où Al Capone régnait sur le Chicago de la prohibition. Et bien que ce dernier ait fait l’amère expérience que frauder n’était pas toujours gagner, la fraude fiscale reste très prisée par les mafieux. Cette pratique a cependant évolué. A la fraude fiscale défensive visant à dissimuler des revenus illicites ou à minorer des rentrées d’argent pour moins payer d’impôts, s’ajoutent désormais une fraude fiscale offensive générant des rentrées importantes, notamment à partir de facturations fictives permettant de générer du crédit d’impôt. Il convient de noter que le contexte italien est très favorable aux fraudeurs. En effet, bien que la fraude fiscale représente un important manque à gagner pour l’État italien (en 2021, 83 milliards d'euros), le regard social et le cadre juridique la ménagent. D’une part, la société italienne ne stigmatise pas les auteurs. Ce qui est d’ailleurs déploré par les magistrats car outre être immoral, cela rend plus difficiles les enquêtes. D’autre part, les magistrats sont confrontés à un cadre juridique presque laxiste. En effet, les sanctions pouvant frapper les auteurs de fraudes fiscales sont relativement légères ou peuvent être contournées. Pour preuve : établir de fausses factures pour obtenir des centaines millions d'euros de crédits d'impôt, n’expose qu'à une peine pouvant aller de 18 mois à 6 ans de prison ; les gouvernements privilégient l’adoption de textes qui permettent aux services fiscaux, en contrepartie d’un gel définitif des poursuites judiciaires accordé au fraudeur, de récupérer des sommes dues ; au début de cette année, des textes ont instauré la dépénalisation de certains délits fiscaux ; en 2022, le Conseil de l'Europe a relevé que seulement 0,9 % des prisonniers italiens purgeaient une peine pour des délits économiques, ce pourcentage étant bien moins élevé qu’en France (7,1 %) et en Allemagne (9,8%). Les enquêtes confirment que les trois mafias sont très investies dans la fraude fiscale. Les résultats d’une de ces l’enquête qui sont mentionnés ci-après, sont d’ailleurs éloquents. Il y a quelques semaines, en Émilie-Romagne, la police a interpelé une centaine de personnes soupçonnées d'être proches de la 'Ndrangheta. Elles sont soupçonnées d'avoir établi 4 millions d'euros de fausses factures pour des services inexistants dans différents domaines (construction navale, maintenance de machines industrielles, location automobile, nettoyage), afin de réduire leur revenu imposable et de bénéficier de crédits d'impôt. Fraude fiscale défensive et fraude fiscale offensive, la totale !

Des recettes ayant fait leur preuves

La délinquance en col blanc, c’est aussi et bien sûr la corruption. Celle-ci permet de créer les conditions de belles rentrées financières. Les trois mafias en usent encore et encore. Bien que cette pratique soit aujourd’hui traquée avec une certaine efficacité par la police et la justice, elle représente toujours un atout majeur des systèmes mafieux. L’attrait de l’argent ou des cadeaux du corrupteur l’emporte encore très souvent sur la peur qu’inspire le policier ou le magistrat, et ouvre la porte à toutes les compromissions et les malversations. Ces derniers jours, preuve en a encore été apportée. Dans le cadre d’une enquête pour corruption impliquant d’autres figures locales dont certaines sont soupçonnées de liens avec une mafia, le président de la région Ligurie a été assigné à résidence après avoir été convoqué et interrogé par des magistrats du parquet de Gênes. Il est soupçonné d’avoir perçu, pour financer ses activités politiques, 70 000 euros de la part de deux entrepreneurs de la logistique et de l’immobilier. Son chef de cabinet est lui aussi assigné à résidence car mis en cause pour « corruption électorale aggravée » car soupçonné d’avoir favorisé l’activité de Cosa Nostra en tentant, en échange d’emplois et de logements, d’acheter le vote de 400 résidents de Gênes originaires de Sicile. Il y a quelques semaines dans les Pouilles, à Bari, ville ayant connu un fort développement durant les vingt dernières années, 150 personnes, dont une élue municipale en vue et des fonctionnaires communaux, ont été interpellées dans le cadre d’un l'opération censée mettre à jour des liens entre la politique et la mafia. Le ministre de l’Intérieur italien a d’ailleurs entamé une procédure de dissolution du conseil municipal et la justice a désigné un commissaire extraordinaire pour gérer la société de transport public local que la municipalité contrôle. L’élue sur la sellette est soupçonnée d’avoir bénéficié d’un accord passé par son conjoint avec trois clans mafieux pour aider à la faire élire, grâce à l'achat de votes. Le conjoint a été incarcéré. Au début des années 1990, une série d'enquêtes judiciaires avaient visé des personnalités du monde politique et économique italien et mis au jour un système de corruption et de financement illicite des partis politiques. Des ministres, des députés, des sénateurs, des entrepreneurs et même des ex-présidents du conseil avaient été impliqués. Cela avait provoqué des démissions et des condamnations de personnalités politiques de premier plan et la disparition de plusieurs partis politiques. La série d’enquêtes avait été appelée opération Mani pulite. Le temps a passé, des cols sont toujours blancs. A nouveau, des mains sont sales.

Alexandra Sereni
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