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Quand un officier français prône en 1774 l'autonomie de la Corse

Le 24 juin 1774, le Régiment de Picardie débarque dans le port de Saint-Florent

Quand un officer français prône en 1774 l'autonomie de la Corse


 Le 24 juin 1774, le Régiment de Picardie débarque dans le port de Saint-Florent pour appuyer la répression menée dans le Niolu et qui ne s’achèvera qu’à la fin du mois d’octobre 1774. Or l’officier qui dirige ce régiment a laissé un témoignage unique publié seulement en 1889 dans le Bulletin de la Société des sciences historiques et naturelles de la Corse grâce au fameux abbé Letteron. Ces Mémoires historiques sur la Corse par un officier du Régiment de Picardie sont téléchargeables sur le site Gallica.

Une déclaration d’intention.


« J’ai pris la résolution de connaître la Corse par moi-même, d’y donner tout mon temps et toutes mes occupations, de diriger vers cet objet mes lectures, mes recherches, mes observations, mes courses, mes promenades, d’y destiner uniquement mes liaisons et mes sociétés », écrit-il. Et pour ce faire il interroge les gens de maison, les villageois et les cite objectivement.

« Tous les habitants sont indignés de l’air de mépris qu’ils essuient de la part d’un essaim de gens d’affaires qui inondent cette île, et qui les traitent plutôt en esclaves qu’en citoyens de la France… Depuis la conquête, me disaient-ils, nous ne voyons que trois sortes de gens pour gérer l’administration du pays : ou des ignorants ; ou des gens ruinés, flétris, surchargés de vilaines affaires ; ou des personnes qui n’y viennent que dans le dessein de faire fortune. Ces gens-là humilient notre misère et notre amour-propre par le faste indécent qu’ils étalent à nos yeux avec le produit de leurs friponneries… Partout des gens tarés, des ignorants, des arrivistes que le ministère a envoyés en Corse pour s’en défaire ou pour obéir à une recommandation. Souvent la fonction a été créée pour le fonctionnaire qu’il s’agit d’occuper et de justifier. »

Une condamnation des menées françaises


L’officier de Picardie critique la politique militaire du comte de Vaux qui gouverne à coups d’édits et d’ordonnances. « Quand on s’en prenait aux podestats de leur inexécution, ils répondaient qu’ils ne savaient pas lire le français. Pour le leur apprendre, on leur envoyait continuellement des exécutions militaires… En causant avec les habitants, je leur demandais pourquoi ils ne cultivaient pas mieux leurs champs, et pourquoi ils en laissaient tant en friche… ils me répondaient tous : « Pour défricher et pour ensemencer il faut de l’argent, des avances plus ou moins fortes que nous ne sommes pas en état de faire, et des bras… » » Il n’y a pas de réplique à de pareilles réponses… Il s’en faut de beaucoup que je regarde la paresse qu’on reproche à ce peuple comme naturelle à leur caractère, et sans ressource. Elle ne leur est pas plus naturelle qu’aux autres peuples du midi de l’Europe, que les grandes chaleurs d’une partie de l’année viennent accabler et décourager surtout lorsqu’on ne sue que pour autrui. J’en trouve la raison moins dans leur caractère que dans le gouvernement vicieux des Génois qui, depuis plus d’un siècle, tenait ce peuple dans une espèce d’esclavage, le forçait à vendre au plus bas prix ses denrées aux agents de la République, et gênait, en même temps son commerce, par toutes les friponneries possibles. J’en trouve la raison dans notre administration depuis 1769, qui n’est nullement analogue aux mœurs, aux usages et au caractère de ce peuple. » Avec beaucoup de discernement, il oppose la bourgeoisie urbaine à l’esprit de résistance du peuple de l’intérieur.

Un esprit ouvert qui pourtant prône la répression


Si l’Officier de Picardie méprise le gouverneur français Marbeuf, il loue les qualités de Pasquale Paoli qui ne connaît pourtant pas. Et s’il reconnaît aux partisans du Babbu des raisons de s’être révoltés, il participe sans états d’âme à la répression. Il est là pour appliquer la loi et il l’applique dans toute sa rigueur. Il prône le maintien de la force militaire française dans les ports. « … et ces peuples ne demanderaient pas mieux. Ce serait pour eux comme un rempart destiné à les défendre sans en avoir les embarras… Quant à l’intérieur du pays, ainsi que tous les habitants du contour, elle ne peut que gagner, ce me semble, à les laisser les maîtres de se choisir un gouvernement analogue à leur caractère, à leurs mœurs et à leurs usages, à protéger ce gouvernement une fois reçu et approuvé de toute la Nation, ainsi que leur commerce fait sous son pavillon, et sans en exiger aucun impôt… Par un tel désintéressement, la France s’attacherait infailliblement cette nation. Je peux me tromper, mais plus j’y réfléchis, plus il me semble que la France ne pourrait que gagner à ce pacte d’alliance avec la Corse. D’une autre part, elle procurerait la satisfaction de faire des heureux, en rendant à ce peuple cette liberté si désirée, si recherchée, et dont malgré tous ses efforts il n’a jamais pu jouir depuis les Carthaginois. »
L’Officier de Picardie demandait en somme l’autonomie de plein droit pour les Corses de l’Intérieur. Une grande sagesse de terrain. !

GXC
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