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Pierre de Brandu : stop ou encore ?

La carrière de E.Petre Scritte a-elle encore un avenir .

Pierre de Brandu : stop ou encore


Dans quelques semaines, on saura si la pierre de Brandu dont regorge la carrière de E Petre Scritte a encore un avenir.

Brandu est la porte d’entrée du versant est du Cap Corse. Son territoire s’étend entre mer et montagne. Sa situation géographique et sa topographie permettent la découverte de magnifiques panoramas ouvrant sur la Corse, les deux façades maritimes de l’île et l’archipel toscan. Brandu compte sept hameaux dont deux jouissent d’une grande notoriété : Lavasina dont le sanctuaire dédié à la Vierge Marie accueille chaque année, le 8 septembre, des milliers de pèlerins ; Erbalonga, universellement connu par les images de carte postale et ses animations artistiques et culturelles de haut niveau, lieu de résidence ou de villégiature très prisé par des familles très aisées voire fortunées, destination ou étape de circuits touristiques. Brandu, c’est aussi un important et magnifique patrimoine architectural, notamment religieux. Enfin, Brandu est le territoire dont est tirée la « pierre de Brando », un cipolin dont la qualité est reconnue par les amoureux de beaux aménagements urbains et de constructions de caractère, et par les professionnels du BTP.

Un peu d’histoire

La pierre de Brandu est ornementale et durable. Elle est riche en couleurs (vert, bleu, braisé…) Elle est recherchée pour le pavage et le revêtement vertical car elle est dure, non poreuse, non-gelive (ne se fend pas sous l'action de la gelée), inaltérable au sel, d'une remarquable résistance à la flexion. Sa utilisation et sa notoriété sont très anciennes. En effet, dès le 12ème siècle, elle a été utilisée dans la construction de la cathédrale Santa-Maria-Assunta de l’évêché de Mariana, dite Canonica. Conservateur des bibliothèques de la couronne puis bibliothécaire du château de Versailles durant les règnes de Charles X et Louis-Philippe, auteur de guides de voyage dont « Voyages en Corse, à l'île d'Elbe et en Sardaigne», Antoine Claude Pasquin, dit Valéry (1789-1847) a écrit : « Le pavé, formé de dalles de pierre de Brando est une espèce de marbre jaspé supérieur même au pavé de Milan, de Florence et de Naples. Il serait plus digne de palais et de temples que de rues : les nuances de cette pierre ressortent après la pluie avec un éclat singulier. ».
La pierre de Brandu a toujours été extraite de carrières à ciel ouvert. L’exploitation de ces carrières a été à son apogée au milieu du 19ème siècle, notamment durant la Monarchie de Juillet et le Second Empire, du fait d’une forte demande de pavés, de dalles et de carreaux de marbre destinés aux façades occasionnée par les aménagements urbains de Bastia et de grandes cités méditerranéennes de France et d’Italie. A partir de 1870, l’exploitation a progressivement décliné. Elle a pris fin lors de la crise des années 1930. Il a fallu attendre les années 1970 pour que, sur le site de E Petre Scritte que leur a loué la commune de Brandu (bail de 30 ans), l’exploitation reprenne à l’initiative des frères Jean et Lucien Brignoli. Leur objectif était de dynamiser et satisfaire la demande locale et d’exporter malgré la concurrence féroce de pays d'Amérique du Sud, d'Asie ou d’Europe de l'Est.
Durant les années 1990, leur société (Société de Construction du Cap) a extrait jusqu’à 140 000 tonnes par an et employé jusqu'à 40 personnes affectées à différentes tâches (extraction, transformation en scierie, façonnage…) Au début des années 2000, la Société de Construction du Cap étant confrontée à des difficultés croissantes (perte de marchés, problèmes financiers), l’exploitation a périclité. En 2003, elle a été relancée après la reprise de la Société de Construction du Cap par le Groupe Vendasi qui a à son tour a obtenu de la commune de Brandu un bail courant jusqu’en 2027. Après 2010, des difficultés étant à nouveau apparues, l’exploitation a progressivement décliné et huit ans de loyer, soit à ce jour un montant de 400 000 euros (loyer annuel d’un montant de 50 000 €), n’ont pas été acquittés.


Un engagement, un projet, des opposants


En 2020, dès son élection, Patrick Sanguinetti, le nouveau maire Brandu, a entrepris de relancer la procédure en cours qui visait à obtenir le règlement des loyers impayés. Début 2021, un jugement définitif a donné gain de cause à la commune de Brandu mais celle-ci s’est heurtée à l’insolvabilité de la Société de Construction du Cap. Ayant été mise en redressement judiciaire, la Société de Construction du Cap a été reprise en 2022 par le groupe Brandizi. Patrick Sanguinetti, outre s’atteler à obtenir le paiement des loyers, s’est employé à tenir un de ses engagements de campagne : la reprise de l’exploitation de la pierre de Brandu sur le site de E Petre Scritte. Deux acteurs économiques ont manifesté leur intérêts malgré que l’État ait entre-temps ordonné la suspension d’exploiter après le constat par la DREAL (Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement) d’un non respect du cahier des charges et qu’une réouverture nécessite de passer par une phase d’études, une phase de consultation et l’obtention d’une autorisation délivrée par l’autorité préfectorale au vu de garanties apportées, notamment en matière de protection de l’environnement et de préservation de la qualité de vie des populations.
Le projet du groupe Brandizi d’une exploitation à concurrence de 200 000 tonnes extraites/an pour la production de pierres de revêtement des sols ou des façades ainsi que de granulat, a été retenu par les services de l’État. Le conseil municipal de Brandu a donné son aval selon les conditions suivantes : règlement des 400 000 € de la dette ; bail d’une durée de 30 ans, versement annuel à la commune pouvant atteindre 60 000 € à 100 000 € (soit une recette annuelle au minimum supérieure de 10 000 € à celle représentée par l’ancien loyer), délivrance par l’État de toutes les autorisations, respect des normes environnementales sous le contrôle de la DREAL. Le groupe Brandizi a réalisé une étude d’impact qui a permis d’identifier des contraintes environnementales.
L’évolution des choses ne convient cependant pas à tout le monde. En effet, affirmant que le projet du groupe Brandizi est surdimensionné et que l‘étude d’impact sous-estime les nuisances, des habitants de Brandu, dont quatre conseillers municipaux d’opposition, se sont constitués en collectif ayant pour objet : mobiliser les Cap-corsins contre le projet, obtenir l’annulation du projet. Pour étayer sa démarche, le collectif met en exergue les perspectives suivantes : exploitation excessive (200 000 tonnes / an extraites) ; sur la RD 80, unique route littorale du Cap Corse, trafic rendu plus difficile et chaussée dégradée par 200 rotations / jour de camions soit 9090 rotations / an au lieu de 2600 en 2014 ; importantes nuisances sonores (trafic des camions, tirs de mines) ; émission massive de poussière ; 30 000 tonnes par an de roche extraites mais non utilisable faisant de la carrière une déchetterie ; atteinte à la qualité de vie des Cap-corsins et des visiteurs. Les membres du collectif ont bien entendu saisi l’occasion de l’enquête publique (close le 7 mai dernier) pour exposer leur argumentation et, quelques jours après la clôture, certains d’entre eux ont rencontré le secrétaire général de la préfecture de la Haute-Corse afin de souligner de « multiples failles » que, selon eux, révélerait ou confirmerait l'enquête publique.

Brèches ouvertes par la MRAe et U Levante

A l’occasion de ses interventions auprès des habitants, des médias et de l’autorité préfectorale qui sera in fine appelée à décider du sort de la carrière, et lors de l’enquête publique, le collectif d’opposants a pu s’engouffrer dans une brèche ouverte par le rapport de la MRAe (Mission régionale d’autorité environnementale) qui avait été saisie pour avis concernant le projet du groupe Brandizi (dont l’étude d’impact). En effet, selon cet avis (qui n’est pas décisionnel, qui a vocation à être ni favorable, ni défavorable, qui a pour objet d’éclairer et d’inciter à améliorer) ayant été remis le 25 mai de l’an passé, le projet comporterait des imprécisions et des insuffisances. La MRAe estime que rien ne fonde l’affirmation que les rotations de camions (40 à 45/ jour, 5 jours par semaine, durant 10 mois) seront sans effets ou presque sur le trafic et l’état de la chaussée de la RD 80, et sur les riverains (atteinte à la qualité de l’air, augmentation des nuisances sonores).
La MRAe déplore qu’aucune mesure visant à prévenir l’envol de poussières n’est prévue concernant les voies de circulation situées dans le périmètres de la carrière. La MRAe constate l’absence de demande de dérogation relative à l’interdiction de destruction d’espèces protégées. La MRAe relève une insuffisante prise en compte de la protection de l’avifaune et de la flore présentes sur certaines zones de la carrière et des zones sensibles situées à proximité de celle-ci.
La MRAe signale des insuffisances concernant la gestion des eaux pluviales et usées. La MRAe recommande de compléter l’étude d’impact sur le volet paysager : en confirmant que les merlons qui font actuellement office d’écran paysager seront toujours conservés ; en affinant l’étude de stabilité d’une zone devant être non exploitée située dans le périmètre de la carrière ; en proposant un suivi concret des incidences paysagères des zones de stockage ; en modifiant le dimensionnement, la colorimétrie et l’insertion du hangar projeté ; en s’engageant à une remise en état paysagère et écologique des zones dégradées par l’exploitation, et ce, selon des phases quinquennales ; en étudiant la possibilité de remodelage des fronts de taille en fin de chaque phase, afin de prévenir les risques d’instabilité et de limiter les incidences sur le paysage.
La MRAe regrette l’absence de retour d’expérience sur l’envol de poussières concernant la précédente exploitation, qui aurait permis de fournir des indications utiles pour la future exploitation.
La MRAe signale une insuffisance du repérage de l’amiante. La MRAe recommande de compléter l’étude d’impact pour ce qui concerne les bruits, vibrations et poussières autres que ceux qui résulteront des rotations de camions. Enfin, la MARe préconise de mieux détailler les mesures de prévention et de lutte contre les incendies. A la brèche ouverte aux opposants par la MRAe, s’est ajoutée celle occasionnée par les observations formulées par de l’association U Levante lors de l’enquête publique (voir ci-après).


La volonté de garder le cap


Le groupe Brandizi affiche une grande confiance en la qualité de son projet dans tous les domaines. Il ne manque d’ailleurs pas d’arguments. Au niveau technique, il se prévaut de son expérience dans le BTP et la gestion d'une carrière à Lucciana. Au niveau financier, en tant que repreneur de la Société de Construction du Cap, il s’engage à régler la dette de celle-ci envers la commune de Brandu, à assurer à cette dernière une recette annuelle conséquente, à investir plusieurs millions d’euros dans la remise en état et en activité de la carrière. Au niveau social, il promet d’employer une vingtaine de salariés.
Au niveau économique, il affirme, tout comme d’ailleurs de nombreux professionnels du BTP, que la remise en activité de la carrière représentera un apport conséquent à l’économie de la Corse car cela permettra l’utilisation et la valorisation d’une ressource locale, une réduction de l’empreinte carbone et et du prix du transport sur le coût des chantiers BTP, une moindre dépendance aux importations. Enfin, au niveau environnemental, répondant ainsi à la MRAe, à U Levante et au opposants du collectif, il énonce : qu’extraire la pierre localement vaut mieux pour l’environnement que de la transporter sur des milliers de kilomètres pour l’importer ; que les niveaux de poussières et de bruit seront mesurés régulièrement ; que le constat de dépassement de plus de 5 décibels du bruit résiduel entraîne une mise en demeure ; que, pour 200 000 tonnes/an extraites, le tonnage en sortie de carrière et donc transporté ne représente que 150 000 tonnes/an ; que pour éviter la dispersion des poussières, les camions seront bâchés quand ils transporteront des granulats, qu’il sera procédé à des arrosages et qu’une grande partie des pistes sera enrobée ; que la consommation et le rejet d'eau seront encadrés ; que l’activité sera interrompue durant la haute saison touristique afin notamment de tenir compte de l’augmentation du trafic sur la RD 80 ; que les services de l’État sont de plus en plus vigilants concernant le respect des normes environnementales.
De son côté, le maire de Brandu entend garder le cap. En effet, il apparaît convaincu que la réouverture de la carrière sera un bien pour la commune : « Nous avons l’opportunité d’obtenir le règlement des loyers impayés. 400 000 € , ce n’est pas rien ! Le loyer que nous avons négocié, 60 000 € au lieu de 50 000, est plus avantageux que le précédent. plus avantageux. Avec ce que nous pourrons encaisser avec le pourcentage sur le chiffre d’affaires, une recette annuelle pouvant atteindre 100 000 € est envisageable. Avec cela, nous pourrons augmenter considérablement la capacité d’investissement de la commune ». Patrick Sanguinetti ajoute que la pierre de Brandu représente un élément de l’histoire et du rayonnement non seulement de Brandu mais aussi de la Corse. Concernant le dossier environnemental, Patrick Sanguinetti déplore les excès de langage de certains opposants mais refuse d’entrer dans une polémique. Au contraire, il se veut serein : « Je suis d’avis de passer par toutes étapes légales et que l’on se conforme au mieux aux avis, notamment ceux de la DREAL et de la MRAe. L’enquête publique a eu lieu, chacun a pu s’exprimer.
Aujourd’hui, décider de la réouverture ou non de la carrière, relève de l’État. De mon côté, si l’autorisation de réouverture est donnée, je mettrai en place un comité de suivi qui veillera au respect des contraintes environnementales. Il sera composée d'un représentant de la majorité municipale, d’un représentant de l’opposition, d’un représentant de la société civile. Je ne suis pas là pour interdire. Je suis là pour encadrer et contrôler. »
Ne reste donc plus qu’à attendre les conclusions du commissaire-enquêteur et la décision de l’autorité préfectorale pour savoir si, pour la pierre de Brandu, ce sera stop ou encore.



Jean-Pierre Bustori


La contribution de U Levante à l’enquête publique


La société Construction du Cap envisage la réexploitation de la carrière de Brandu. Le 23 juin 2022, la DDT (Direction départementale des territoires) a transmis au service risques naturels et technologiques de la DREAL (Direction Régionale de l'Environnement de l'Aménagement et du Logement), un avis défavorable au sujet de la loi sur l’eau, du défri-chement et des risques d’inondation et de mouvement de terrain.


Il a été ajouté, le 6 avril 2023, un avis défavorable au regard d’incohérences du dossier de géotechnique. Le service Biodiversité, eau et paysage de la DREAL a communiqué, au service Risques naturels et technologiques, plusieurs avis (16 mai 2022, 24 avril 2023, 11 septembre 2023) au sujet de la biodiversité terrestre et de l’intégration paysagère. Construction du Cap doit déposer une demande de dérogation au titre des espèces protégées. Dans ce cadre, le CSRPN (Conseil Scientifique Régional du Patrimoine Naturel) donne un avis favorable sous conditions le 30 novembre 2023. A la suite de cette « phase de consultation » des services de l’État et du public en cours, il y aura une « phase décisionnelle » dans laquelle interviendra l’avis de l’inspection (DREAL). 1. Concernant la piste / Construction du Cap envisage de réexploiter la carrière de Brandu située sur le flanc oriental de la Cima di Guaita. Cela concerne deux secteurs hérités de l’exploitation antérieure stoppée en 2018 : le secteur nord et le secteur est. De l’entrée située sur la route D80 (seule route littorale du Cap Corse) aux fronts de taille, la piste se déroule sur 7 km (outil mesure de Google Earth). Un revêtement de cette piste est indispensable.La MRAe a demandé des précisions au sujet de cette piste. Construction du Cap répondu évasivement : « Dans le cadre du projet, la société Construction du Cap envisage effectivement de réaliser un revêtement (enrobé ou béton) de la piste d’accès, de sorte à améliorer les conditions de circulation et limiter les émissions de poussières ». (Cf photo 1)

2. Concernant la maîtrise foncière /Construction du Cap écrit qu’elle a la maîtrise foncière de l’ensemble des terrains. Au niveau des zones d’extraction, cinq parcelles ont fait l’objet d’un contrat de fortage avec la mairie de Brandu (A1498, 7, 58, 45 et 44). L’entrée est située sur la commune de Siscu qui a conclu avec la société un bail emphytéotique concernant trois parcelles (D425, 1493 et 1583) et une servitude. Le reste de la piste a été construit sur différentes parcelles (A0016, 41, 40, 39, 36, 182, 1563, 1598 et 1991) pour lesquelles il n’est pas produit de justificatifs de maîtrise foncière, sauf erreur de notre part. (Cf photo 2)

3. Concernant le passage de nombreux et très lourds camions sur la RD 80 / Selon la société Construction du Cap, la circulation sur la RD 80 dite route du Cap ne serait pas modifiée. Or il est prévu 31 rotations par jour soit 4 camions par sens et par heure. La circulation, déjà souvent compliquée sur cette route du Cap, le sera forcément davantage. L’entreprise annonce aucune activité en juillet et août et conclut : « Pas de cohabitation sur les routes avec les touristes lors de la période la plus chargée ». Prendre en compte l’impact sur les touristes est peut-être louable, mais c’est oublier les résidents à l’année, principaux concernés nous semble-t-il. Cette route peut être comparée à la RD 20 qui va de Pisciatello à Marato (Corse-du-Sud), route défoncée et rendue très dangereuse par la noria de camions chargés de pierres issues de la carrière de Beddi-Vadde (commune d’Albitreccia). Cette RD 20 est actuellement en cours de réfection aux frais des contribuables : elle était devenue très dangereuse (bas-côtés défoncés, trous géants, etc.) La RD 80 beaucoup plus fréquentée, est la seule voie d’accès au Cap !

4. Concernant l’eau / De nombreuses communes du Cap, dont la commune de Brando, ne disposent pas d’assez d’eau pour leurs besoins actuels. La démonstration d’une quantité suffisante d’eau nécessaire aux travaux n’est pas donnée.

5. Concernant l’amiante / La piste recoupe au niveau du cercle figurant sur la carte un affleurement de serpentinite potentiellement amiantifère. (Cf photo 3)

Conclusion

U Levante s’étonne que soit présenté en enquête publique un projet important dont le dossier comporte un avis défavorable de la DDT, des réserves de la DDT, des réserves de la DREAL et de la MRAe ; est manifestement incomplet et manque de précisions en plusieurs domaines cruciaux : environnement, santé, mobilité, nature de l’exploitation. Le projet comportant trop d’incertitudes quant aux effets négatifs qu’il peut engendrer .


U Levante
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