• Le doyen de la presse Européenne

L' horreur des femmes tondues

Des règlements de compte atroces.....

L’horreur des femmes tondues


Dans l’ultime volume de la trilogie écrite par Jean-Marc Michelangeli et moi-même, intitulé Mazel Tov (éd. DCL) J — % nous avons évoqué les règlements de compte atroces qui ont sali la Libération et notamment la haine qui s’est déversée sur les femmes accusées de collaborationisme.



Poulargues se tenait sur une grande estrade dans la position du guerrier vainqueur, les jambes écartées, une paire de ciseaux à la main. Plusieurs de ses hommes, brassard FFI bien en évidence, surveillaient les lieux, mitraillette au creux du coude.
Derrière Poulargues et ses tortionnaires, des femmes en haillons qui avaient été visiblement martyrisées, attendaient la tête baissée. Quand elles osaient relever la tête, on pouvait distinguer sur leurs visages épouvantés des traces de coups ou, pire encore, des croix gammées tracées au couteau.
Noël s’avança sur la place, se frayant un chemin au milieu de la foule qui hurlait et levait des poings vindicatifs en direction des traîtresses.


Poulargues saisit la première d’entre elles et la projeta violemment sur une chaise. Il se mit alors à tailler dans sa chevelure, lançant les mèches de cheveux avec des gestes théâtraux. Puis, il attrapa sa victime et la renvoya dans les bras de ses assistants.

La suivante avait été en grande partie dénudée. Elle avança, poussée d’une bourrade vers Poulargues. Elle couvrait sa poitrine de ses mains. Son corps était constellé d’ecchymoses et de taches de sang brunâtres. Soudain, elle releva la tête et jeta sur la foule un regard de bête traquée. De longues blessures lui balafraient les joues qui avaient gonflé sous les coups, lui ôtant toute apparence humaine. Noël reconnut alors Carla.


Poulargues lui saisit les mains de façon à exposer sa nudité à l’assistance qui rugit de bonheur. Des insultes fusèrent : « Salope, pute à Boches ! » Noël resta un moment interdit par une telle haine. Il ne savait pas quoi faire. Quand soudain une force invisible sembla l’envahir. Il s’avança alors dans la foule, dégageant du milieu tous ceux qui lui faisaient obstacle. Sans la moindre excuse, sans aucune parole, il projetait son corps en avant pour fendre cette masse compacte et indistincte. Il affichait une telle détermination qu’on s’écartait sur son passage. Il parvint enfin jusqu’à l’estrade, monta sur les planches et se plaça devant Carla sous les huées du public. Défiant Poulargues du regard, il retira sa veste et la posa sur les épaules de la jeune femme. Celle-ci leva vers lui un regard épouvanté. Puis elle le reconnut. Alors ses larmes jaillirent et elle referma la veste afin de cacher son corps nu.


Hors de lui, Poulargues bondit et attrapa Noël par l’épaule :

— Qui tu es toi ? hurla-t-il d’une voix étrangement aiguë. Tu es avec les Boches ?

Noël le toisa avec un incommensurable mépris tandis que la foule reprenait en chœur : « Il est avec les Boches ! Il est avec les boches ! » Il se mit alors à hurler :

— Je te conseille de me lâcher ! Tu veux savoir qui je suis, moi ? Tù voli sapè quali sò, o bastardacciu ? Tu veux savoir qui je suis, espèce de bâtard ?

Soudain la foule se tut, impressionnée par le ton et l’attitude de Noël. Ce dernier se tourna alors vers eux :

— Je m’appelle Natali Luciani. Je suis le frère d’Orso Luciani. Nous appartenons au réseau Brutus, celui-là même des Guerini, de Defferre, de Venturi ! Est-ce que cela vous dit quelque chose ? Nous sommes de la Résistance, la vraie. Pas celle dont se réclame cette ordure. Voilà qui je suis ! Et cette jeune femme est l’une des nôtres !


Poulargues, ébranlé à la seule évocation des Guerini, tenta de contre-attaquer :

— C’est la femme d’un gestapiste. C’est…

Noël sentit qu’il avait gagné une partie de la foule. Il savait instinctivement qu’il devait profiter de sa petite avance. Il s’avança vers Poulargues, l’air déterminé :

— Poulargues ? C’est bien comme ça que tu t’appelles, non ? Ce nom me dit quelque chose. Nous avons repéré un certain nombre de types qui ont profité de la misère des Marseillais pour s’enrichir en temps de guerre. Poulargues, dis-nous un peu. Est-ce que Julie Lafargue ça te dit quelque chose ?

Poulargues recula d’un pas. Il ne parvenait pas à dire un seul mot. Noël enfonça alors le clou :

— Bien sûr que ça lui dit quelque chose ! Julie, c’est la maîtresse de ce monsieur. Mais aussi celle d’un gradé schleu. Et Poulargues en a profité pour faire son marché noir et vous revendre de la nourriture dix fois son prix ! Voilà qui est Poulargues. Et c’est cette jeune femme dont les parents sont épiciers qui avait découvert son manège. Poulargues est une ordure de collabo qui veut se faire passer pour un résistant. Ça c’est la vérité !

La foule commença à gronder. Puis un cri jaillit de ses entrailles :

— Poulargues, salaud on va te faire la peau !

Ce fut bientôt une tempête qui se leva tandis que Poulargues et ses associés pliaient bagage.

Noël tendit un index dans sa direction :

— Poulargues, tu auras des comptes à rendre à la Résistance, la vraie !

Il se pencha vers Carla :

— Je vais t’emmener loin de ces brutes.



J-M. M. et GXC
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