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Jean-Marie Le Pen, si différent et si semblable à la Corse

L' homme du colonialisme

Jean-Marie Le Pen, si différent et si semblable à la Corse



Si Jean-Marie Le Pen n’a pas eu beaucoup de chances avec la Corse, il en est allé différemment avec ses idées. Mais ne nous trompons pas : le personnage vociférant, haineux, mais aussi courageux et nostalgique du « bon vieux temps des colonies » partageait sans aucun doute un sentiment profond beaucoup plus corse qu’on ne pourrait le croire.


L’homme du colonialisme


Les Corses ont été aux avant-postes du colonialisme français. Un général a même précisé que sans eux l’empire français n’aurait pu exister. La Corse a toujours été une terre conservatrice pour des raisons complexes et souvent paradoxales. Elle a été claniste tant que les clans représentaient un moyen d’obtenir des subsides. Elle a été majoritaire pétainiste, mais s’est refusée à l’Italie non par antifascisme, mais réaction historique. Elle a été viscéralement gaulliste car elle retrouvait en lui la figure tutélaire de celui qui survole la mêlée. Elle a hésité quand ce dernier a octroyé son indépendance à l’Algérie. Tant de Corses y avaient fait leur carrière et même leur existence. Le mouvement nationaliste a aussi été la réponse à l’affaissement de l’État français, à sa perte d’influence dans le monde, le dépérissement de sa culture au profit des pays de langue anglaise, au rejet d’une immigration jugée invasive. Ce sont exactement les mêmes raisons qui expliquent l’irrésistible ascension d’un groupuscule fascisant au rang de premier parti français. Et c’est aussi la raison du succès du vote FN puis RN en Corse. Jean-Marie Le Pen concurrençait d’une certaine façon le mouvement nationaliste sur le même pré carré, mais dans deux dimensions différentes.

Deux fois empêché de réunion


Jean-Marie Le Pen a été à deux reprises empêché de meeting en Corse. En février 1992 d’abord quand son avion ne peut atterrir à Bastia à cause de manifestations de la Cuncolta et accueilli de la même façon à Ajaccio. La même scène se reproduisait deux ans plus tard. Les raisons de la colère nationaliste sont à la fois simples et complexes. Simples car Jean-Marie Le Pen n’a jamais caché son attachement à l’empire français. Il était pour l’Indochine française, pour l’Algérie française et pour la Corse française. Mais elles sont aussi compliquées car en février 1992, la bataille pour les territoriales faisait rage au sein d’une triangulaire : les partis traditionnels, le bloc MPA/FLNC Canal habituel, et la coalition Corsica nazione qui englobait l’UPC, l’ANC, i Verdi et surtout le bloc Cuncolta/FLNC Canal historique. Le statut Joxe avait été voté, insatisfaisant pour tous. Il s’agissait donc de montrer sa plus grande radicalité. En 1994, la tension est palpable en Corse. Il y a eu le drame de Furiani, les assassinats de Sozzi et de Muzy revendiqués par le Canal historique. Il s’agit une fois encore de montrer ses muscles. Mais ces deux incidents ne sauraient effacer les autres venues de Jean-Marie Le Pen : le 9 août 1984 quand le président du FN est venu soutenir son ami Pascal Arrighi, un authentique résistant qui avait adhéré au FN cette même année, premier président de l’université de Corte rouverte en 1982, et candidat aux élections régionales. Deux jours auparavant, Le Pen avait fait huer l’autonomie, décrit la langue corse comme un dialecte et prophétisé : « Une Corse indépendante deviendrait un porte-avions soviétique ou une colonie arabe ». Il était revenu en juillet 1987 pour « une tournée des plages » sans grand relief. Il avait alors été reçu « chaleureusement » par José Rossi (UDF), alors président du conseil général de Corse-du-Sud, Jean-Paul de Rocca Serra, président de l’assemblée de Corse, député RPR, maire de Porto-Vecchio, et Charles Ornano, sénateur non-inscrit, maire bonapartiste d’Ajaccio.

Le premier parti de Corse ?


La liste Front national avait obtenu aux élections européennes du 17 juin 1984, le score énorme de 23 % ce qui avait fait dire à l’homme d’extrême droite « Il n’est pas exclu que nous soyons, au soir du 12 août, le premier parti de Corse ». Sa prédiction était fausse, mais il faut bien avouer que cet homme qui avait confisqué à la Résistance corse son titre de Front national, n’avait peut-être que trois décennies d’avance. Le FN puis le RN n’ont cessé depuis de progresser en Corse au point d’avoir offert à l’extrême droite son plus beau score « hexagonal ». Les nationalistes ont beau depuis une génération pointer du doigt « la colonisation de peuplement », les forces de l’ordre, les pieds-noirs la réalité est ainsi faite alors que le vieux chef a rendu son âme à un Dieu auquel il ne croyait qu’avec modération : la Corse est une terre hybride sur laquelle le RN prospère en même temps qu’un nationalisme indigène sur la base du ressentiment et, inconsciemment, dans la nostalgie de cette France qui possédait un empire au sein duquel les Corses tenaient une place sinon essentielle du moins inversement proportionnelle à leur faible nombre.

GXC
Photo : D.R
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