Le FRAC- Corsica à Bastia / Femme Vie Liberté
Une centaine d'affiches de différents artistes. Des affiches signées et d'autres non, en raison de la surveillance des mollahs et de la répression qu'ils orchestrent sur l'Iran.
**Le FRAC-Corsica à Bastia**
**"Femme Vie Liberté"**
Une centaine d'affiches de différents artistes. Des affiches signées et d'autres non, en raison de la surveillance des mollahs et de la répression qu'ils orchestrent sur l'Iran. À l'étage du centre culturel bastiais, des œuvres de la collection du FRAC-Corsica. C'est Una Volta qui accueille ces affiches et les œuvres qui leur sont liées. Cette exposition est présentée à Bastia grâce à un partenariat entre les deux institutions.
**"Femme Vie Liberté", devise célèbre.** "Femme Vie Liberté" : une devise portée par des Iraniens – hommes et femmes – en lutte pour desserrer l'étau dans lequel le régime en place à Téhéran tente de les entraver, les ligoter, les asphyxier...
Septembre 2022, souvenons-nous : Mahsa Amini, jeune Kurde, arrêtée pour avoir laissé s’échapper de son tchador quelques mèches de cheveux. Mahsa torturée. Assassinée sous les coups de ses bourreaux. Une mort qui a enclenché un large mouvement de protestation dans tout l'Iran, réclamant une vraie liberté et le droit de respirer sans craindre les interventions musclées de la police religieuse.
La mort de Mahsa a débordé les frontières iraniennes, suscitant partout l’indignation. D’où ces défilés rassemblés sous la bannière **"Femme Vie Liberté"**, en solidarité avec toutes celles et tous ceux qui combattent en Iran pour la démocratie et l’espoir d’un avenir différent, loin de l'enfermement et des mains des tortionnaires. L'exposition d'affiches a été conçue pour la Journée internationale des femmes, le 8 mars 2023.
Au rez-de-chaussée du centre culturel, explosion de couleurs : rouge, jaune, vert. Pas de dolorisme, mais une envie de vivre. La plupart des affiches clament la vitalité, le refus de la mort, le refus de se laisser enterrer vivantes, et le refus d’avoir recours à des biais pour se soustraire à la censure.
Le rouge peut signifier la colère, peut-être. Le jaune, l’obstination à vaincre, peut-être. Le vert, la confiance retrouvée en demain, peut-être. Instruments et outils pour lutter contre l’oppression ? Les ciseaux. La cigarette. La colombe. Les fleurs entre carmin et vermillon. Parmi tous les ustensiles, les ciseaux ont une présence obsessionnelle. Parce qu’ils servent à couper des cheveux sur lesquels s’acharne la tradition. Parce que la chevelure à tailler représente le combat contre le mal. Parce que coupée, en l’occurrence, elle est délivrance. Et la colombe, alors, rameau d’apaisement au bec, vole pour chanter que le bien est possible. La cigarette ? Parce qu’elle contrevient à la loi et qu’elle est synonyme d’affranchissement... Et puis, au détour, un portrait de Mahsa Amini, si belle !
À l’étage, des œuvres du FRAC-Corsica. Des courtes vidéos de l’artiste iranienne, Niyaz Azadikhah. Elle peint. Elle brode. Elle agit derrière sa caméra. Concise. Poétique. Ainsi, dans sa vidéo "Refuge", où dans un paysage sobre, des arbres sont constitués de silhouettes de femmes arborant le hijab, tandis que d'autres marchent en quête d'abris pour contrer misère et adversité. D’une extrême simplicité, ces images sont un appel à la sororité.
Avec Grossen, artiste américano-suisse, on s’échappe dans une monstration qui allie matière et symbolisme intimiste. Sa sculpture, "Embryo", faite de corde et de matériaux d’emballages synthétiques, renvoie à l’Origine en usant d’une esthétique hybride qui chemine entre architecture et nature.
*Michèle Acquaviva-Pache*
**ENTRETIEN AVEC FABIEN DANESI, directeur du FRAC-Corsica**
**– Quand avez-vous eu l'idée de cette exposition ?**
Tardivement. La majorité des affiches exposées sont le résultat d'une résidence organisée par une fondation suisse pour l'art contemporain. En 2023, j'ai été sollicité par le Palais de Tokyo à Paris pour participer à une grande campagne de soutien à Mahsa Amini et au mouvement "Femme Vie Liberté", autour des affiches que l'on peut voir actuellement à Una Volta. J'ai alors contacté ce centre culturel, mais sa programmation était bouclée. Cette initiative a donc été reportée au début de 2025.
**– Qui a réuni ces affiches ?**
La curatrice du Palais de Tokyo et la conservatrice du musée d'art moderne de Paris, toujours dans l'intention de soutenir "Femme Vie Liberté". À l'origine, ces affiches ont été réalisées pour la Journée internationale du 8 mars 2023, dédiée aux femmes. Les créateurs des affiches viennent surtout du graphisme et de l'illustration. Ils sont Iraniens, du Moyen-Orient et de nombreux autres pays. Les affiches rappellent beaucoup celles de mai 1968. Certaines sont signées, d'autres non, par crainte de la répression pour ceux qui sont restés en Iran. Je pense qu'Una Volta est un écrin qui convient bien à ce travail artistique.
**– Une exposition du FRAC-Corsica à Una Volta est-ce une manière de "décentraliser" l'institution que vous dirigez ?**
Bien sûr. On le fait le plus souvent possible. Ainsi en a-t-il été de l'exposition de Raymond Depardon. On investit des espaces pluriels dans l'objectif de mieux faire connaître la collection du FRAC-Corsica : exemple à Bastia, Ajaccio, Porto-Vecchio, Bonifacio pendant la Biennale, à Marignana dans le cadre de Scopre, à Venaco. Se déployer sur l'île est une nécessité. Il ne faut pas nous cantonner aux salles de Corte, car se déplacer dans cette ville implique pour beaucoup de recourir à la voiture, ce qui n'est pas évident si l'on veut aller à la rencontre de publics différents.
**– Pourquoi le choix de Niyaz Azadikhah, exposée au premier étage ?**
Parce qu'elle est née à Téhéran en 1984, qu'elle est autodidacte, et qu'elle vit et travaille à Paris. On montre d'elle trois courtes vidéos qui traitent du statut de la femme en Iran, des vidéos très personnelles.
**– Pourquoi avoir sélectionné Françoise Grossen, à voir également à l'étage ?**
Parce que son œuvre exposée incite à une réflexion sur la corde et le tressage, qui fait écho aux autres créations de l'exposition. Sur les affiches, de nombreuses Iraniennes se coupent les cheveux en protestation contre le régime des ayatollahs. Les cheveux ont en l'occurrence une résonance avec les cordages de Grossen. Sa sculpture, "Embryo", ne fait aucunement contresens au mouvement "Femme Vie Liberté" ; elle est en concordance avec le combat des femmes, un combat qui dépasse les pays islamiques.
**– Les projets du FRAC-Corsica pour 2025 ?**
Sur Corte cet été, nous prévoyons une exposition consacrée à la musique avec Cyrus Goderville, responsable du Palais de la Bourse à Paris. Il organise en ce lieu des concerts. Comme j'ai remarqué une effervescence sur la scène photographique insulaire, je pense à des événements avec cette nouvelle génération de photographes. Nous avons aussi plusieurs perspectives dans différentes villes de Corse, grâce à un partenariat avec une résidence d'artistes dans les Pouilles et une autre avec les Grecs.
**– Le public insulaire semble avoir encore du mal à visiter vos expositions à Corte. Comment le motiver ?**
Je note que nos visiteurs viennent de plus en plus dans nos salles de Corte, puisqu'en 2021 ils étaient 8 000 et qu'en 2024 ils sont 24 000, soit trois fois plus. À titre de comparaison, le FRAC de Bretagne, qui couvre un grand territoire, n'a reçu l'an dernier que 35 000 visiteurs. Je milite pour que le FRAC-Corsica devienne un espace dont s'emparent les Corses, pas seulement les touristes. Je veux multiplier les occasions de rencontres afin que les Corses soient de plus en plus sensibles à l'art contemporain et qu'ils s'habituent à son vocabulaire, qui peut dérouter au début.
**– Les plasticiens iraniens sont-ils soumis à une répression particulièrement dure ?**
Le contrôle est sévère, mais il y a encore des artistes sur place. Jusqu'en 2019, Téhéran possédait une scène artistique dynamique. Maintenant, c'est très difficile et très fragile. Mais la répression ne peut complètement annihiler la création, car l'art est une nécessité pour l'humain.
*Michèle Acquaviva-Pache*
Les photos sont d'Una Volta et du FRAC-Corsica.
Le portrait de Fabien Danesi est signé Sébastien Arrighi.