• Le doyen de la presse Européenne

La violence en Corse : des paroles et des réunions et beaucoup de compromissions

Incendies par ci, assassinats par là : la Corse semble n'avoir jamais cessé cette valse maudite mise en exergue par la presse.

La violence en Corse : des paroles et des réunions et beaucoup de compromissions

Incendies par ci, assassinats par là : la Corse semble n'avoir jamais cessé cette valse maudite mise en exergue par la presse. Cela va maintenant faire un demi-siècle que j’écris sur la Corse et j’ai le terrible sentiment de radoter ou plutôt de commenter le radotage des politiques qui nous dirigent depuis des siècles.

Les violences faites en Corse


Les deux collectifs antimafia et plus encore une poignée de journalistes continentaux donnent le sentiment que la Corse traverserait une période particulièrement meurtrière et que leurs paroles et écrits auraient réussi à dessiller les bons citoyens. Allons donc ! En ce domaine, le même lamentu dure depuis des siècles. Ont été tour à tour et à juste titre mis en cause, les mœurs à savoir la vendetta, les armes de tous ordres et même un gène particulier, imbécillité grandeur nature énoncée par un magistrat en déshérence. Il n’empêche que la violence criminelle en Corse a toujours étonné voir horrifié les pouvoirs en place. Sur le site Crimino Corpus, l’historienne Vannina Marchi van Cauwelaert donne pour titre à un article qui a pour sujet « Gênes face à la violence aristocratique corse à la fin du Moyen Âge » una insula habitata de homini carnifici e plene de rixe, une île habitée par des hommes sanguinaires et prompts aux conflits. Ces deux autres historiens Antoine Marie Graziani et Antoine Laurent Serpentini ont analysé chacun de son côté les outrances génoises (900 assassinats par an durant une génération en Corse de 1680 à 1710) qui, même ramenées à plus de vérité, restent impressionnantes : entre 1690 et 1720, les archives criminelles génoises donnent le chiffre de 946 assassinats soit une moyenne de 32 morts par an pour une île qui compte une centaine de milliers d’habitants. C’est beaucoup. Mais les assassinats, après une période d’accalmie sous l’Empire, reprennent de plus belle à la Restauration. Le rapport du procureur Mottet (1836) constate le même malheur. Et si la délinquance meurtrière semble fléchir durant le Second Empire c’est que les autorités ont augmenté leur potentiel répressif et que Napoléon III a ouvert grandes les portes de l’administration aux chefs de clan qui ont entraîné avec eux les meilleurs de leurs jeunes, ceux-là mêmes que souvent on retrouvait au sein des violences intra familiales.

Une violence souvent élitiste


Le chroniqueur Filippini au XVIe siècle, énonçant E cinque piaghe della Corsica, Les Cinq plaies de la Corse — La guerre, le péril barbaresque, la peste, la famine et les armes à feu — écrit :

« Je veux parler de ces maudits engins, des arquebuses à rouet déjà si nombreuses dans l’île et qui arrivent tous les jours en si grande quantité… Dans les montagnes en particulier, on voit continuellement des hommes armés d’arquebuses, réunis par bandes de vingt, trente et même davantage ; ces patentes coûtent chaque année sept mille livres à la pauvre et misérable Corse… Mais l’achat même des arquebuses est autrement coûteux… sans compter les dépenses nécessaires pour s’approvisionner de munitions. Celui qui n’en a pas, vend sa vigne, ses châtaigniers ou ses autres propriétés, comme s’il ne pouvait pas vivre sans arquebuse. »

Ce qui frappe dans l’étude de la violence corse est qu’elle est le plus souvent élitiste. Les plus misérables n’ont pas d’armes. Ce sont des petits notables qui s’étripent dans la Rocca, dans le Taravo, en Casinca, dans le Cortenais. Ce sont aussi des enfants de familles honorables qui ont formé la Brise de Mer, le Petit Bar et tant d’autres bandes. Jean Jé Colonna appartenait à une famille cultivée. C’est dire si la violence corse remonte à la nuit des temps et n’est pas apparue ex nihilo, découverte par des journalistes explorateurs et quelques apôtres isolés.

Ceux qui ne peuvent se rappeler le passé sont condamnés à le répéter


Cette phrase est de l’écrivain philosophe George Santayana et tiré de son livre majeur La vie de la raison. Nous ferions bien en Corse de méditer cette réalité plutôt que de vivre de temps en temps des éclairs d’une révélation vite éclipsée et étouffée par les grandes déclarations larmoyantes et les commissions à répétition qui accouchent du néant. Si déjà grâce au travail des historiens, de sociologues, de policiers et de gendarmes, de personnels de terrain (surtout pas de politiques) il était possible d’étudier la phénoménologie de la violence insulaire, nous aurions déjà fait un grand pas en avant.



La violence répressive entre impuissance, manipulation, déni et désespoir



Il est un ouvrage qui est une mine pour saisir la réalité de la magistrature en Corse. C’est un mélange de courage personnel mais jamais collectif, parfois de servilité face au pouvoir politique et d’incapacité d’exprimer dans l’instant une juste indignation à l’encontre d’un pouvoir politique dont on peut parfois se demander si ça n’est pas lui la matrice mafieuse.


Juges en Corse


On ne peut que recommander la lecture du livre Juges en Corse qui, sous la direction du journaliste Jean-Michel Verne, donne la parole à une dizaine de magistrats qui ont officié en Corse. Le constat est accablant même si on peut regretter que le journaliste ne se soit pas montré plus curieux. Première évidence : tous ces magistrats connaissaient ou ont accepté les compromissions de l’État avec la Brise de mer et avec les différents FLNC. À aucun moment ils n’ont eu le réflexe professionnel ou tout simplement citoyen de les dénoncer. Voici un petit florilège non exhaustif de leurs déclarations qui ont ensuite été relevées dans l’excellent opuscule écrit par Sampiero Sanguinetti intitulé Corse : de quoi la mafia est-elle le nom ?

Roland Mahy est procureur à Bastia de 1991 à 1998. Il est confronté à la séquestration d’un citoyen belge par Maurice Costa, « un membre du noyau dur de la Brise de mer.et son frère Dominique. Le GIGN intervient et libère le prisonnier. .. « Allez savoir pourquoi, malgré la matérialité des faits, ces deux suspects seront relaxés par le tribunal de Bastia ! C’est extravagant » déclare le procureur vingt ans après les faits. « Pour être honnête, je me pose parfois des questions quand ma hiérarchie oppose son veto pour certains coups de filet que je juge opportuns dans la conduite des affaires en cours ». Que n’a-t-il exprimé ses doutes à l’époque ?

En janvier 1996 se tient la conférence de presse Tralonca organisée conjointement par le ministère de l’Intérieur et le FLNC Canal historique. « Quelle n’est pas ma surprise d’apprendre que la 14e section antiterroriste, à Paris, refuse de se saisir de l’affaire ? s’indigne le procureur Mahy. Plus étonnant encore : des gendarmes m’indiquent avoir relevé méticuleu­sement les numéros des plaques des véhicules transportant les fameux « militants ». Gênés, les pandores me lâchent : « Monsieur le procureur, nous avions ordre de ne pas intervenir ». » Désabusé, Roland Mahy en conclut que « cette île est profondément ingérable ». Surtout quand la magistrature ne fait pas son travail. Le procureur Bernard Legras, auteur d’un rapport adressé à la Garde Sceaux socialiste Élizabeth Guigou veut enquêter sur « la mythique Brise de mer ». « Je me suis adressé à la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) pour obtenir copie de certains documents, dont l’existence m’avait été révélée par ailleurs. Il s’agit essentiellement de synthèses sur l’histoire et l’évolution du banditisme local, sans grande sensibilité et sans lien direct avec des procédures en cours. Le secret de l’enquête m’est opposé, pour des raisons que j’ai encore du mal à analyser aujourd’hui ».

Philippe Toccanier est nommé à Ajaccio en 1999 substitut du procureur. Après la débâcle du préfet Bonnet, les services de police judiciaire perquisitionnent le bureau du colonel Mazères : « Nous retrouvons dans les documents saisis une note confidentielle sidérante, relative à des instructions à tenir en cas d’interpellation de nationalistes pour port d’armes. Le texte explique, sans gêne aucune, que le traitement des interpellations devra être « adapté » ! En conséquence, les membres du MPA devront être systématiquement placés en garde à vue et déférés devant la justice. Inversement, ceux de la Cuncolta — les militants du FLNC dit canal historique — seront immédiatement remis en liberté… Il existerait donc en haut lieu une stratégie destinée à favoriser un mouvement au détriment d’un autre ! » Est-il besoin d’en rajouter sur les velléités répressives de l’État en Corse ?

Tous coupables


Car s’il serait erroné que nous autres Corses nous nous absolvions de nos fautes, plus grandes encore ont été celles du pouvoir régalien, détenteur de la seule violence légale. On peut toujours comme le font les pourfendeurs d’une mafia dont il reste à définir les contours appeler l’État à plus de fermeté. Mais comment ne pas comprendre que les racines du problème sont à l’évidence chez nous mais aussi au sein de l’État qui pour des raisons politiciennes remue du vent et fait mine de gronder très fort tout en caressant les criminelles de la main gauche. S’il est important que nous autres Corses soyons clairs dans le refus sans concession d’une grande délinquance qui désormais prend de plus en plus souvent la forme d’un pseudo-nationalisme ou est attirée par la criminalité franco maghrébine, encore faudrait-il que les policiers, gendarmes et magistrats donnent l’exemple en y ajoutant celui du courage qui consiste à dénoncer les dérives de sa hiérarchie s’il y a nécessité.

GXC
Photos : DR
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