« Le choix des armes », six documentaires
Les événements rappelés par « Le choix des armes » sont-t-ils liés à Mai 1968 ?
« Le choix des armes », six documentaires
De la Corse à l’Occitanie, de l’Alsace à Khaled Kelkal
La série proposée sous la direction d’Ariane Chemin du « Monde », produite par Gilles Perez de 13Prods, nous offre un regard inédit sur des mouvements qui ont eu recours aux armes sur le territoire français de 1975 à 1995. Des mouvements géographiquement divers et d’origines historiques plurielles. Avantage de cette série de six heures à voir ou revoir sur la plateforme France TV, après diffusion sur Via Stella, un rappel de faits souvent oubliés ou occultés pour ceux, qui assez vieux ont été contemporains de ces événements, ou pour des jeunes qui n’en ont pas eu connaissance.
« Le choix des armes » nous reporte à l’affaire, Bastelica-Fesch (FLNC), au nauséeux GAL opérant au Pays Basque nord, au désespoir des viticulteurs occitans, aux Loups Noirs d’Alsace, au terrorisme arménien en France, et au cas Khaled Kelkal, acteur du début du terrorisme islamiste dans l’hexagone. ? Pourquoi l’émergence de ces actions armées de 1975 à 1995 ? On le découvre au fil d’images d’archives et des propos des intervenants concernés par ces affaires. Réalisés par plusieurs cinéastes ces documentaires apportent des éléments d’informations et de réflexion bienvenus. Leur réalisation est sobre, claire et pertinente.
Bastelica-Fesch et les barbouzes
A l’évidence on connait mieux ici l’affaire Bastelica-Fesch qui éclate le 6 janvier 1980 sous l’impulsion de Marcel Lorenzoni dont on revoit à l’écran, avec émotion, les explications et les revendications. Des anciens de son groupe appartenant au FLNC d’alors éclairent également les circonstances et le déroulement de cette opération qui démarre à Bastelica et se poursuit à l’Hôtel Fesch d’Ajaccio où les journalistes extérieurs à la Corse ont l’habitude de descendre. L’intérêt du documentaire est de mettre en exergue le rôle des barbouzes de Francia aux ordres directs de Paris, qui ne veut entendre que la force et fait déployer sur place un dispositif policier invraisemblable. Conséquences : une énorme tension à Ajaccio et un peuple qui prend fait et cause pour les insurgés. Epilogue sanglant : 3 tués dont la jeune Michèle Leuck…Au final reddition de Marcel Lorenzoni et de son groupe par l’entremise du responsable du GIGN, Christian Prouteau, transfert à Paris des Corses avec comparution devant la Cour de Sureté de l’Etat, condamnation de M. Lorenzoni à 4 ans de prison, à 2 ans pour son frère, Christian. Quant au chef de Francia, Bertolini et son adjoint, Olliel : deux semaines de prison ! Or ces barbouzes ont commis au moins 47 attentats. Une façon pour le président Giscard de reconnaitre combien il leur est redevable.
Le GAL ou la barbouzerie « made in Spain »
Le GAL sévit sans relâche de 1983 à 1987. On lui impute au moins 27 assassinats de réfugiés basques du sud en Euskadi du nord, principalement dans le quartier de la Petite Bayonne où se retrouvaient ces partisans étaristes craignant pour leur vie en Espagne. Des juges français ont investigué et démontré que ces meurtres étaient dû au GAL formé de hauts fonctionnaires et militaires espagnols. Des procédures judiciaires sans aucun écho auprès des autorités françaises. Si après l’arrivée de Mitterrand au pouvoir les extraditions des militants basques du sud ont cessé, le gouvernement socialiste de Felipe Gonzalez à Madrid a fini par avoir l’aval du gouvernement français également socialiste pour fermer les yeux sur les exactions du GAL en France. Il a fallu toute la poigne du juge, Baltasar Gazón, pour reprendre côté espagnol les enquêtes inabouties côté français afin de démasquer le GAL, commandité et rémunéré sur les deniers de Madrid. Le magistrat réussit à remonter toute une filière de responsables, sans pouvoir toutefois impliquer Felipe Gonzalez alors qu’il tirait les ficelles du « Groupe Antiterroristes de Libération ».
Aujourd’hui en France le GAL est toujours secret d’Etat tandis que Madrid a assumé publiquement sa culpabilité et reconnu la qualité de victimes aux assassinés et à leurs familles. Outre Pyrénées le GAL est désormais considéré comme un scandale d’Etat.
Les Loups Noirs nostalgiques du nazisme
Qui de nos jours se souvient des Loups Noirs hormis en Alsace ? Le documentaire qui leur est consacré, sous-titré « L’Histoire falsifiée », compense cette lacune. Ces Loups Noirs qui sont-ils ? Quelles sont leurs motivations ? Apparemment ils se disent autonomistes. Sauf que leurs opérations déconcertent, en particulier l’incendie de l’ancien camp de concentration qu’est le lieu de mémoire du Struthof, les dynamitages de la statue de Turenne, réputé avoir soumis l’Alsace pour Louis XIV, et celui de la Croix de Lorraine édifiée par des résistants. Peu à peu l’écheveau se débrouille. Le chef des Loups Noirs, Pierre Rieffel, a beau déclarer vouloir venger son père qui aurait été maltraité après 1945, les investigations d’un jeune historien démentent son propos. Rieffel père, était un ancien de l’armée allemande et ne s’est pas « bien conduit » en Alsace durant la guerre. Il se trouve aussi que le père et le fils Rieffel nient les crimes nazis et que sous couvert de préserver la langue alsacienne ils veulent rétablir les liens avec l’Allemagne… pas celle de l’après-guerre … mais celle d’Hitler !
Des vignerons occitans voient rouge
Le 4 mars 1976, exaspérés par la concurrence des vins étrangers et par le poids de leur endettement des viticulteurs occitans prennent les armes à Montredon des Corbières. Ils font face à un déploiement policier sans commune mesure avec la situation. L’affrontement se solde par deux morts : un vigneron et un policier.
Depuis le commencement des années 60 la tension entre agriculteurs et Etat ne cessait de s’accroitre. A croire que Giscard, refusant toute négociation, était prêt au pire. Encore une fois il s’appuie sur des membres, qui naviguent hors de l’Etat de droit, il s’agit de gens du SAC (Service d’Action Civique) créé par des gaullistes. Giscard veut en finir avec cette guerre du vin qui l’indispose alors qu’il prend partie pour les gros négociants sourds aux plaintes des viticulteurs. Après les échauffourées du 4 mars ce sera le déclin de la viticulture occitane, puis les vignerons changeront de cap en misant sur la qualité.
Khaled Kelkal, début du terrorisme islamiste
Est-ce faute d’analyses rigoureuses et minutieuses que le pouvoir s’est contenté de qualifier Khaled Kelkal, auteur du terrible attentat à la bombe à la station Saint-Michel de Paris, le 27 juillet 1995, de « loup solitaire » ? La bombe fait 8 morts et 117 blessés. Traqué par les forces de l’ordre, Kelkal est touché par une balle dans un bois. Il est froidement achevé par un gendarme. Qui lui a ordonné un tel geste ?
Khaled Kelkal est élevé à Vaulx-en-Velin, cité proche de Lyon. Bon élève il est admis dans le meilleur lycée technique lyonnais, La Martinière. Là, s’arrête son parcours de réussite : il ne s’adapte pas dans ce milieu où il est le seul arabe ! Progressivement il va dérailler. En prison il découvre l’islam et l’arabe dispensés par des maîtres sans qualification. Il va s’affiler au GIA (Groupe islamique armé) algérien et emprunte la voie du terrorisme. Le documentaire relatant l’itinéraire de Kelkal est très judicieusement intitulé « La fabrique d’un monstre ».
Les Arméniens pour la reconnaissance du génocide
Le terrorisme pratiqué en France par des Arméniens semble relever d’une spécificité sans égale. Il est le fait de la génération des petits enfants des rescapés des années 1915. Un million et demi de tués par les Turcs. Un premier procès en 1982 contre un buraliste arménien de Marseille, un second en 1984 sous l’impulsion de la défense des Maîtres Leclerc et Devedjian aboutissent pour le premier à une libération et pour le second à des condamnations plutôt modérées. Avec habileté les défenseurs ont plaidé des procès de rupture qui renversent les arguments de l’accusation pour braquer tout l’éclairage sur le génocide et faire un réquisitoire politique contre l’Etat français qui refuse de reconnaître officiellement ce génocide. Ces deux procès auront le mérite de faire avancer la cause arménienne. Fort de la vague de soutien international recueilli lors des jugements la diaspora arménienne de France va désormais rejeter tout recours à la violence armée.
Michèle Acquaviva-Pache.
ENTRETIEN AVEC GILLES PEREZ DE 13PRODS
Les événements rappelés par « Le choix des armes » sont-t-ils liés à Mai 1968 ?
Il faut plutôt les relier au mouvement de décolonisation datant du début des années 60.
La politique de Giscard alors président a-t-elle provoqué ce choix des armes ?
C’est très clair. En refusant tout dialogue avec les révoltés et en franchissant la ligne jaune outrepassant l’Etat de droit par le recours à des barbouzes le pouvoir giscardien a eu d’énormes responsabilités.
Quels sont les points communs de ces mouvements ayant opté pour les armes ?
Le point commun c’est le regard méprisant de Paris et son extrême jacobinisme, ainsi que sa méconnaissance des territoires hors des limites de la capitale.
M.A-P
Photo: --- Les réalisateurs du « Choix des armes » : Marion Galland, Raphaël Ruffier- Fossoul, Sylvie Garat, Gilles Rof, Sandrine Mercier et Juan Gordillo Hidalgo, JP. Stucki.