Le projet autonomiste (un peu plus) dans la tourmente
À l’approche du 81e congrès du Parti socialiste prévu en juin 2025 à Nancy, une contribution publiée le 7 avril sur le site officiel du PS,
Le projet autonomiste (un peu plus) dans la tourmente
À l’approche du 81e congrès du Parti socialiste prévu en juin 2025 à Nancy, une contribution publiée le 7 avril sur le site officiel du PS, cosignée par une quarantaine d’élus, relance le débat sur la future autonomie de la Corse. Intitulée Refusons une rupture d’égalité dans la Constitution, cette prise de position constitue une opposition ferme à toute perspective d’autonomie législative pour l’île. Elle repose sur un argumentaire central : l’autonomie constituerait une atteinte directe à l’unité de la République, une rupture d’égalité entre les citoyens, et une forme d’institutionnalisation du communautarisme. Gérald Darmanin l’avait évoqué lors de son dernier voyage dans notre île. Un comité interministériel s’est tenu à l’Élysée le mercredi 17 avril pour tenter de conclure le texte constitutionnel qui doit être d’abord soumis au Conseil d’Etat. Le président Macron qui reçoit Gilles Simeoni au moins une fois tous les quinze jours et le premier ministre Bayrou ont demandé à ce que tout soit prêt pour la fin de l’année malgré un calendrier parlementaire très fourni. C’est dans ce contexte que le texte socialiste est venu tendre un peu plus la situation.
Une position radicale : rejet global du projet natinalo-gouvernemental
Les signataires — parlementaires, maires, conseillers régionaux et fédéraux, pour certains insulaires — affirment sans ambages que l’octroi d’un statut d’autonomie de la Corse tel qu’il a été agencé par Gérald Darmanin et l’exécutif de la Corse serait un précédent dangereux, ouvrant « la boîte de Pandore » et menaçant les fondements de la République française. Selon eux, cette réforme constitutionnelle romprait l’égalité des citoyens et l’indivisibilité de la République, en instaurant des droits différenciés au bénéfice d’une « communauté territoriale spécifique ». Ils considèrent qu’une telle évolution reviendrait à céder à des logiques identitaires incompatibles avec les principes universalistes et laïques du modèle républicain français. On trouve parmi les signataires une cinquantaine de sénateurs socialistes soit 80 % du total. Des Corses ont également signé tel que Jean-Baptiste Luccioni qui en 2017 se proclamait fervent défenseur de l’autonomie ou encore des responsables du PS du sud de la Corse, aussi microscopique que son homologue nordiste lui partisan de l’autonomie et allié fidèle de la majorité nationaliste. Selon Jean-Baptiste Luccioni ce qui l’aurait décidé est l’absence de préoccupation sociale du projet nationaliste, sa ligne économique libérale, mais aussi le bilan calamiteux de la majorité actuelle qui en dix ans nage sur un océean d’échecs alors même qu’elle n’a jamais utilisé au maximum les possibilités des trois projets.
« Un communautarisme institutionnalisé »
Cette ligne dure s’appuie notamment sur des références à Robert Badinter et au Conseil constitutionnel, brandissant le spectre du « communautarisme institutionnalisé » et d’une France transformée en « copropriété à vendre à la découpe ». Le texte s’attaque aussi au processus même qui a conduit à l’ouverture du chantier institutionnel, en dénonçant une initiative gouvernementale motivée non par une volonté démocratique, mais par une réaction à la crise née après l’assassinat d’Yvan Colonna. Ce contexte serait, selon eux, indigne d’une réforme d’une telle ampleur.
Des arguments hostiles au socle même de l’autonomie
Le rejet de l’autonomie ne se limite pas à une contestation des circonstances ou de la méthode. Il repose sur un refus de principe. Les signataires estiment que la Corse ne saurait revendiquer un tel statut du fait de son histoire, considérée comme pleinement française, et non coloniale. Contrairement à certaines collectivités ultramarines, l’île ne remplirait « aucun critère historique » pouvant justifier un traitement différencié. Le texte récuse donc à la fois les fondements historiques, les justifications politiques et les visées pratiques du projet d’autonomie, considérant qu’il ne répond pas aux enjeux concrets de l’île. Les auteurs dénoncent également l’inefficacité des différents statuts particuliers concédés à la Corse depuis 1982, arguant qu’aucun n’a permis de résoudre les problèmes structurels : logement, santé, précarité, infrastructures. Ils appellent à se concentrer sur ces priorités, plutôt que de chercher une « paix civile achetée à coup de statuts ». La critique est frontale, non amendable, et ne laisse aucune place à un compromis : l’autonomie est vue comme une erreur politique et morale, contraire à l’intérêt général.
Si cette position devenait la ligne officielle du PS, le processus d’autonomie serait condamné
Bien que cette contribution soit, pour l’heure, une initiative individuelle de ses signataires, ses effets politiques potentiels sont lourds de conséquences. Car si elle venait à être entérinée par le Parti socialiste dans le cadre du congrès de Nancy, elle enverrait un signal politique clair, et probablement irréversible : le principal parti de gauche républicaine, traditionnellement moteur dans les grandes réformes de décentralisation, ferait volte-face sur la Corse. Il renoncerait à soutenir une évolution institutionnelle pourtant enclenchée, et soutenue par une majorité d’élus corses. Cette prise de position couperait net la dynamique engagée, en la privant d’un appui politique national décisif. Cela serait d’autant plus symbolique que le Parti socialiste a été historiquement l’artisan des lois de décentralisation de 1982, et qu’il a contribué à la reconnaissance progressive de la spécificité corse dans les lois de 1991, 2002 et 2015. Abandonner aujourd’hui l’idée même d’un statut spécifique reviendrait à rompre avec cette tradition politique, et à désavouer toute logique de différenciation institutionnelle. Cela figerait l’avenir de l’île dans le cadre strict de la centralisation républicaine, fermant la porte à toute avancée constitutionnelle future.
Un rejet minoritaire, mais structuré, en quête de légitimité nationale
Certes, plusieurs figures du PS, en Corse comme ailleurs, ont rapidement pris leurs distances avec le texte. Iñaki Echaniz, député PS, rappelle qu’il ne reflète ni la majorité des militants, ni celle des parlementaires du parti. Emmanuelle de Gentili, première secrétaire du PS de Haute-Corse, dénonce une position minoritaire, qui ne saurait engager l’ensemble du parti. Elle annonce d’ailleurs vouloir répondre à cette contribution, qu’elle juge erronée et dangereuse. Cette ligne est donc loin de faire consensus, même au sein de la fédération corse du PS. Mais cette prise de parole s’inscrit dans une stratégie claire : influencer le congrès de Nancy, faire pencher la ligne du parti vers une lecture plus rigide de la République, prendre le contre-pied de LFI, elle partisane de l’autonomie pour la Corse et empêcher toute réforme constitutionnelle. En imposant leur texte dans l’agenda du congrès, ses auteurs cherchent à faire de leur vision une doctrine officielle, au moment même où l’avenir institutionnel de la Corse entre dans sa phase décisive.
Un climat de méfiance, de fracture et d’incompréhension
Les réactions ne se sont pas fait attendre. Le PS de Haute-Corse a promis de répondre à cette contribution. Le parti Régions et Peuples Solidaires, proche des autonomistes, a vivement dénoncé une régression idéologique. Il accuse les signataires de recycler « le pire vocabulaire jacobin » et de nier les réalités culturelles et politiques des territoires. Les parlementaires basques ont également exprimé leur profond désaccord, signalant une fracture croissante entre les territoires qui défendent la différenciation, et les tenants d’une République uniforme.
Cette opposition frontale marque un tournant dans le débat. Elle réintroduit une logique de confrontation idéologique, que le processus de Beauvau avait précisément tenté de dépasser. Elle ressuscite un clivage centralisateur contre régionaliste, dans un moment où la Corse espérait enfin parvenir à un consensus national sur une réforme d’avenir.
Un tournant politique et institutionnel décisif
La contribution des quarante élus socialistes contre l’autonomie corse constitue, en dépit de son statut officieux, une alerte majeure. Elle remet en cause les fondements du dialogue engagé entre l’État et les élus corses, et ravive des lignes de fracture internes au PS, mais aussi à gauche dans son ensemble. Si cette ligne devait devenir la position officielle du Parti socialiste à l’issue de son congrès, elle porterait un coup fatal au processus d’autonomie engagé depuis 2022. Elle figerait la Corse dans un cadre institutionnel refusé par une large majorité de ses représentants, et refermerait durablement la possibilité d’un accord constitutionnel. Autrement dit, si cette ligne était adoptée par le PS, elle signerait la fin définitive du projet d’autonomie et empêcherait de facto au projet d’aller jusqu’au Congrès. Le débat de Nancy n’est donc pas qu’un débat interne : il est une bascule historique pour l’avenir institutionnel de la Corse.
En attendant…
En attendant la fin de ce processus qui n’en finit pas, la révision du PADDUC qui aurait du intervenir il y a déjà deux ans a été repoussée à 2028. En d’autres termes, aucun texte relatif à l’administration du territoire à quelque échelle qu’elle soit (commune, communauté de communes, région) ne pourra être établi d’ici là. Le sentiment commun qui règne dans la population, pour autant qu’on puisse le connaître, est un immense désintérêt pour la question de l’autonomie et une grande inquiétude quant aux questions de la vie quotidienne. Et l’augmentation des tarifs de transport ne fait que donner de plus en plus l’impression que la Corse s’insularise de plus en plus et qu’à la pagaille française vient s’ajouter la nôtre si typique, animée par le terrible lascia corre. Il n’est de pire malheur pour un peuple qu’un prince procrastinateur.
GXC
Photo : D.R