Les chroniques d'Octave , natif de l 'île aux oiseaux
Octave s'était levé d'un bon pied en ce matin de printemps.
Les chroniques d’Octave, natif de l’Île aux Oiseaux
Octave s’était levé d’un bon pied en ce matin de printemps. Il vivait dans son Île natale, l’Île aux Oiseaux et s’y trouvait bien ancré, dans une terre préservée – globalement.
Il avait décidé de bouger un peu et de se rendre dans la capitale du pays, Durabilia, nom que lui avaient donné ses nouveaux édiles pour graver dans un marbre, très poreux, une forme d’acquiescement virulent à l’air du temps. Un temps dans lequel tout est décrété durable en effet, sur l’Île aux Oiseaux aussi, comme dans le reste d’un Occident décadent.
Ainsi les mots doivent participer de ce vaste mouvement de progrès dans lequel tout doit être à l’unisson pour que les esprits soient totalement – c’est la même racine que totalitarisme – imprégnés de cet ordre nouveau que l’on veut instaurer, fut-ce à marche forcée.
Il choisit donc de se rendre pour cela dans un des aéroports situé dans la partie sud de l’Île aux Oiseaux. A son arrivé un peu tôt le matin pour pouvoir emprunter un vol lui permettant de passer une pleine journée à Durabilia, il subit une sorte de choc.
Les indigènes, autochtones ou autres natifs se comptaient pour aussi dire sur les doigts d’une main.
Ce n’était que flots de ceux qui constituaient une foule bigarrée à l’accent que certains qualifiaient de « pointu » car les paroles prononcées ainsi provoquaient une sorte de piqûre aux oreilles des natifs, comme celle que l’on ressent quand on vous enfonce une aiguille. Ces piqûres et autres picotements, par leur multiplicité, l’assourdissaient.
Il se demandait s’il ne s’était pas trompé de lieu et si, par une sorte de distorsion de l’espace-temps, il n’avait pas été projeté dans un autre monde, loin de chez lui.
Pourtant, se disait-il, ceux qui ont une certaine influence sur l’Île aux Oiseaux n’ont-ils pas tous les jours, toutes les nuits, qu’un seul objectif proclamé, celui de préserver l’identité, de défendre une sorte d’intégrité autochtone ou locale ?
Que font-ils, se demandait-il, qu’ont-ils fait ?
Il était comme étourdi, pensant même qu’il faisait un cauchemar éveillé et qu’il allait se réveiller, sortir de cette torpeur mortifère. Mais il lui fallut se rendre à l’évidence : ce n’était pas un cauchemar, mais la triste réalité.
Âme simple, Octave était très perturbé.
Dans sa jeunesse il s’était enflammé pour défendre ce qu’on lui présentait comme une cause patriotique.Il avait même revêtu, non pas des habits de lumière, mais plutôt ceux propres à la discrétion de la nuit protectrice.Il avait fait le coup de feu et quelques autres coups plus bruyants.
Et tout ça pour ça !
Se retrouver comme un étranger sur sa propre terre. Ne plus la reconnaître.
C’était ce sentiment qui l’étreignait et qui le remplissait – un peu – d’une certaine horreur. Ne plus se sentir chez soi alors que l’on est chez soi. C’était bien cela. Quelle étrangeté !
Comment en est-on arrivé là, se demandait-il ?
Il y avait plusieurs explications qui lui venaient à l’esprit.
La première qu’il identifiait consistait dans le fait de considérer que, sans doute, pendant trop longtemps, et sans doute aussi malgré des discours en sens contraire, on n’avait pas suffisamment défendu l’identité de l’Île aux Oiseaux.On s’était laissé bercer par des grandes proclamations, par des propos enflammés, par des chants exaltant la différence.Mais les paroles ne font pas la loi, hélas. Car c’est dans l’ordre du politique qu’il fallait – aussi — agir.L’a-t-on fait ?
L’a-t-on suffisamment fait ?
Manifestement non ! Car les faits sont têtus ! Hélas !
La deuxième est, reliée à la première, qu’on n’a pas fait de politique, au sens premier du terme, à savoir gérer les affaires de la cité, c’est-à-dire se préoccuper de ce qui peut avoir un effet réel sur le sort commun.
Octave n’entendait pas pour autant signifier que « le culturel » n’était rien ou n’était pas important, bien au contraire, mais il avait le sentiment que l’action aurait dû ou devrait – s’il était encore temps – être multifactorielle (pour employer le mot de son ami Olibrius qui brassait beaucoup du vent qu’il avait appris – disait-il – à domestiquer dans son école de « management »).Tout était manifestement un échec en ce domaine, en raison de ce sentiment de dépossession qui étreignait Octave. Oui, il en était convaincu, c’était bien de dépossession dont il était question.Et il en avait confirmation tous les jours, dans les actes et la vie du quotidien.
Un de ces jours derniers, Octave s’était rendu dans un commerce pour passer commande d’un produit qui n’était pas présent sur les étals.Qu’elle ne fut pas sa surprise quand la vendeuse lui demanda d’épeler son nom, lequel était typique de ceux de l’Île aux Oiseaux, mais sans néanmoins être d’une singularité extrême.
Octave se dit que c’était peut-être à cela que l’on identifiait un basculement car, dans sa jeunesse, jamais cela ne lui était arrivé.
Il se dit que ceux qui viennent sur un territoire, quel qu’il soit, devraient impérativement se plier aux us et coutumes locaux, ce qui inclut les particularismes des prononciations.
C’est à ces détails, se disait-il, qu’on voit la dépossession, parce que tout cela traduit une sorte de dilution des natifs dans le magma de la neutralité, de l’indistinction, de l’indifférenciation.
C’est l’égalité à tous crins ou plutôt l’égalitarisme, issu, il en était de plus en plus convaincu, de moments de l’histoire qu’on lui avait présentés comme constitutifs d’une sorte de révolution copernicienne.
Octave se rendait compte, à la réflexion, que de cette période datait le début de la fin pour de grandes nations qui reniaient peu à peu ce qu’elles étaient.
À suivre…
Salluste