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Le quotidien en Corse au temps de Paoli : entre frugalité , savoir- faire et enracinement

En 1768, la Corse vit ses dernières heures d'indépendance avant son rattachement à la France.

Le quotidien en Corse au temps de Paoli : entre frugalité, savoir-faire et enracinement


En 1768, la Corse vit ses dernières heures d’indépendance avant son rattachement à la France. Le régime alimentaire des insulaires, loin des fastes de la table continentale, est alors le reflet d’une économie autarcique, de la rudesse du climat montagnard, mais aussi d’un profond savoir-faire paysan transmis de génération en génération.


Châtaigne, porc et lait


La base de l’alimentation corse repose sur trois piliers : la farine de châtaigne, le lait (surtout de brebis et de chèvre), et le porc. La châtaigne, surnommée l’alivu di i povari (l’olivier des pauvres), est omniprésente dans les villages de l’intérieur. Séchée, moulue, conservée précieusement, elle permet de confectionner pulenda, necci, fritelle ou encore des bouillies nutritives. La farine de blé reste rare et précieuse, réservée aux fêtes ou aux grandes occasions. Le porc est élevé en semi-liberté dans les chênaies et les châtaigneraies. On le consomme salé, séché, parfois fumé : prisuttu, lonzu, coppa ou figatellu font déjà partie de la tradition culinaire. Chaque famille abat un ou plusieurs cochons par an, en hiver, selon un rituel codifié où se mêlent efficacité et partage. Le lait est transformé en fromages, notamment brocciu(qui commence déjà à être consommé en version fraîche ou cuite), et en tommes rustiques, souvent affinées dans les caves familiales. Ce sont là les protéines quotidiennes, avec quelques œufs et volailles, et plus rarement du gibier.

Les légumes, le pain et les pommes de terre


Les légumes cultivés sont ceux adaptés au sol sec : pois chiches, fèves, courges, oignons, parfois des salades sauvages. Le maquis offre aussi ses trésors : myrte, arbouses, fenouil sauvage, thym, romarin, utilisés pour parfumer les plats simples.

À cette époque, un nouveau venu commence à faire timidement son apparition : la pomme de terre. Introduite en Corse sous le gouvernement de Pasquale Paoli, dans un esprit d’ouverture et de modernisation, ce tubercule encore peu connu est perçu avec méfiance par certains paysans. Mais Paoli, influencé par les idées des Lumières et les expériences agricoles du continent, en encourage la culture pour prévenir les famines et diversifier les ressources. Peu à peu, dans certaines régions de montagne, la patata trouve sa place dans les potagers et les marmites.

Le pain, fait de farine de seigle, de châtaigne ou de blé selon les régions, est cuit dans les fours communautaires. La vigne est déjà bien implantée, et l’on produit un vin rustique, souvent âpre, mais apprécié pour les repas festifs. L’huile d’olive est utilisée avec parcimonie dans les régions littorales, tandis que le lard ou le beurre de chèvre sert de matière grasse ailleurs.

La table est frugale, le repas souvent unique dans la journée, surtout en temps de guerre ou de disette. Mais l'hospitalité demeure sacrée, et l’on partage volontiers ce que l’on a : une tranche de pulenda, un fromage, un verre de vin, et la chaleur du feu.

Des habits simples


L’austérité du quotidien se reflète aussi dans l’habillement. En 1768, les Corses portent encore largement les vêtements traditionnels, faits à la main, à partir de fibres locales : la laine, le lin, parfois le chanvre. Les hommes sont vêtus de braies larges, de gilets à boutons de corne ou de métal, et de la fameuse cape en poil de chèvre, u pilone, qui protège du vent et de la pluie. Ils portent souvent un chapeau de feutre ou un bonnet tricoté, a baretta misgia, et une ceinture où l'on glisse le couteau ou le pistolet. Les femmes arborent des jupes longues, des corsages lacés, et des fichus couvrant les cheveux. Les couleurs sont sobres : brun, ocre, gris, selon les teintures disponibles. Les habits du dimanche ou de fête sont conservés précieusement, parfois transmis sur plusieurs générations. L’uniforme des milices paolistes, quant à lui, introduit une silhouette plus rigoureuse, presque révolutionnaire.

L’importance des armes


Enfin, les armes occupent une place centrale dans la société corse de l’époque. Chaque homme adulte porte une ou plusieurs armes, aussi bien pour se défendre que par tradition. Le couteau est toujours à la ceinture. Mais la généralisation de la poudre a fait entrer dans les maisons le fusil à pierre : souvent artisanal, long et orné, il est utilisé pour la chasse comme pour la guerre. L’homme libre est armé. Dans le contexte des révoltes contre Gênes puis de la résistance face à l’armée française, être armé est un devoir patriotique, autant qu’un droit coutumier. Sous Paoli, des fabriques locales de poudre et d’armes sont même mises en place pour assurer l’autonomie du peuple corse en lutte.

Ainsi se nourrit, se vêt et se défend le Corse de 1768 : d’austérité, de mémoire, et de dignité. Une vie enracinée dans la terre, dans les coutumes, et dans la liberté, qui accompagne le peuple corse dans ses luttes comme dans ses joies — et commence déjà, grâce à Paoli, à s’ouvrir aux promesses du monde moderne.

GXC

Photo : D.R
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