Fium' Orbu : Le camouflet de trop pour Gilles Simeoni ?
L'altercation violente survenue dans le Fium'Orbu entre le président de l'Exécutif corse et Gilles Siméoni et des agriculteurs en colère marsque peut-être un tournant politique
Fium’Orbu : Le camouflet de trop pour Gilles Simeoni ?
L’altercation violente survenue dans le Fium’Orbu entre le président de l’Exécutif corse Gilles Simeoni et des agriculteurs en colère marque peut-être un tournant politique. Un demi-siècle après la révolte d’Aléria, dans cette même Plaine orientale où tout avait commencé, un autre choc se produit. À la violence des armes de 1975 succède aujourd’hui celle des mots, des silences, et du feu. Le sentiment d’un cycle qui s’achève s’installe dans les esprits. Et pour l’heure, la relève reste encore dans l’ombre.
Une humiliation publique à forte charge symbolique
La scène, brutale, a été largement relayée : des agriculteurs excédés par l’inaction des pouvoirs publics interpellent directement le président de l’Exécutif sur leurs conditions de travail, les aides qui n’arrivent pas, la bureaucratie étouffante, et l’absence d’une politique agricole claire. Gilles Simeoni, visage fermé, semble désemparé, voire paralysé. Aucun mot fort, aucune décision, aucun geste d’autorité pour calmer les esprits. La scène frappe les esprits comme une démonstration d’impuissance politique. Pour certains, c’est même le début d’un désaveu populaire durable quand bien même l’imprécateur a agi de son propre chef. La comparaison avec Aléria n’est pas anodine. En 1975, c’est en Plaine orientale que les revendications identitaires corses s’étaient affirmées avec fracas. En 2025, c’est encore là que le pouvoir est directement contesté. Mais cette fois, il n’est plus question de conquérir un espace politique, mais de constater les limites de l’exercice du pouvoir insulaire dans le cadre actuel.
Le feu comme langage politique
Dans la nuit suivant l’altercation, un incendie détruit le hangar de l’un des agriculteurs les plus critiques envers l’Exécutif. L’origine criminelle ne fait guère de doute. Ce sinistre vient ajouter une dimension inquiétante à un climat déjà explosif. À défaut de décisions politiques fortes, c’est le feu qui parle, et en Corse, chacun comprend ce langage. Il cristallise la peur, la colère et l’impossibilité d’un dialogue sain. Cet épisode aggrave la fracture entre les élites politiques et une population qui ne croit plus en leur capacité d’action. À tort ou à raison, le sentiment grandit que Femu a Corsica, après avoir incarné l’espoir d’un renouveau démocratique, n’est plus qu’un pouvoir paralysé, gestionnaire sans vision, incapable d’imposer une direction claire.
Une majorité affaiblie, un avenir incertain
Depuis plusieurs mois, les critiques pleuvent : lenteur administrative, inefficacité face aux enjeux fonciers, désintérêt pour les territoires ruraux. L’image d’un gouvernement territorial technocratique, éloigné du terrain, se renforce. L’autonomie, longtemps brandie comme horizon de justice et d’émancipation, devient un mot vidé de sa substance. Alors que la crise économique mondiale grandit, les restrictions budgétaires locales entre en collision avec l’amenuisement de l’espérance répandue largement cette dernière décennie. Gilles Simeoni, longtemps protégé par une image d’intégrité charmante et de sérieux, semble désormais pris au piège d’une majorité fatiguée, traversée de tensions internes et d’usures de pouvoir. Le cap politique paraît flou. L’enlisement du dialogue avec Paris sur l’autonomie renforce cette impression d’immobilisme.
Une relève encore dans l’ombre, mais des signaux clairs
Pourtant, un autre paysage politique commence à émerger. Dans le sud de l’île, à Porto-Vecchio, 300 professionnels — commerçants, artisans, chefs d’entreprise — se sont mobilisés pour dénoncer l’absence de réponse des institutions. Ce type de mobilisation, massive, transversale, organisée sans mot d’ordre partisan, est peut-être le signe d’une évolution profonde. On n’attend plus les institutions : on les contourne. Cette dynamique peut dessiner, à moyen terme, une forme d’autonomie non plus de droit mais de fait. Une autonomie vécue dans les gestes économiques, dans les choix de terrain, dans la désobéissance silencieuse à des règles venues d’en haut. Un pragmatisme corse, lucide et localisé, loin des grands discours, mais porteur d’efficacité. Dans ce contexte, un bloc modéré semble se structurer peu à peu. Il regroupe des élus locaux, des syndicalistes agricoles, des personnalités issues du monde associatif ou entrepreneurial. Sans remettre en cause le principe d’une autonomie, ce bloc remet en cause la manière dont elle est portée, et l’absence de résultats concrets. Il pourrait bien représenter une alternative crédible si les négociations avec l’État s’enlisent encore.
Un pouvoir insulaire en quête d’autorité
Ce qui se joue actuellement en Corse dépasse largement une simple querelle entre une profession en crise et un pouvoir régional. C’est l’ensemble du modèle politique construit depuis 2015 qui vacille. Un modèle fondé sur le dialogue, la transparence, la légitimité électorale et l’espoir d’un compromis historique avec Paris. Mais un modèle désormais mis à l’épreuve de la réalité : celle des territoires oubliés, des attentes insatisfaites, des colères enfouies. Le camouflet du Fium’Orbu n’est pas un simple incident. Il est peut-être le révélateur d’une rupture profonde entre une classe politique et ceux qu’elle prétend représenter. Et si le pouvoir ne parvient pas à se réinventer, d’autres prendront la relève. Pour l’heure, cette relève reste en gestation. Mais l’histoire corse l’a montré : elle surgit parfois là où on l’attend le moins — et souvent en plaine.
GXC
Photo D.R