Des chiffres , des raissonements foutraques et une justice qui passe
Ainsi , c'est fait
Des chiffres, des raisonnements foutraques et une justice qui passe
Ainsi, c’est fait : les responsables des deux principales bandes qui sévissaient sur Ajaccio ont subi les foudres de la justice, avec une équité remarquable. Treize ans pour les chefs, et une myriade de peines pour les petites mains. En attendant, on mélange tout : petite délinquance et criminalité organisée. Et voilà qu'une association, agrémentée du sceau "anticorruption", rajoute une couche de sensationnalisme qui pue l’amalgame et affaiblit la cause véritable : la lutte contre la grande criminalité.
Anticor ou l’art du sensationnalisme
Dans son dernier communiqué, l’association Anticor écrit : « Dérives mafieuses : la Corse sur le podium des régions françaises les plus corrompues. » À la lecture d’une telle sentence, on reste médusé, accablé. Ce serait donc vrai ? Nous serions les plus pourris parmi les plus pourris ? Déjà que la France se situe dans le haut du panier européen, nous, les Corses, serions le pompon de ce chapeau de l’infamie. Comme je suis un fouille-merde, je suis allé voir directement la source : le rapport de l’Agence française anticorruption (AFA), sur lequel Anticor prétend s’appuyer. Ce rapport recense, pour toute la France (Outre-mer inclus), 934 infractions ou atteintes à la probité pour l’année 2024. Définition de l’atteinte à la probité (selon l’AFA) : une facilité de langage pour désigner six infractions pénales principales : corruption, trafic d’influence, prise illégale d’intérêts, détournement de fonds publics, favoritisme et concussion.
Un classement sans grande signification
En matière de « dérives mafieuses » – ce concept désormais agité au moindre vol de poulet (le volatile) – le classement d’Anticor ne vaut pas grand-chose : sont comptabilisés tous les délits commis individuellement, sans distinction. Qu’on me pardonne, mais 934 atteintes à la probité dans un pays de 68 millions d’habitants, c’est plutôt misérable. En 2023, ce nombre était de 863. Le vice devient presque de la vertu… Mais puisqu’on parle de la Corse, qui caracole en tête de ce palmarès, le ridicule n’est plus très loin : « Plus de 6,3 infractions pour 100 000 habitants chaque année entre 2016 et 2024, soit près de six fois la moyenne nationale », cocoricote Anticor. Autrement dit, chaque année, la Corse enregistre une vingtaine d’infractions à la probité. Et c’est sur cette base qu’Anticor prétend démontrer l’ancrage mafieux de l’île depuis des décennies. Mieux : « On voit tous les jours en Corse des atteintes à la probité. » Or, chez moi, il y a 365 jours dans une année. On est donc loin du délit quotidien. D’autant que ces atteintes vont du détournement commis par un comptable privé à un faux administratif. Il me semble que la dérive mafieuse est un sujet un peu plus sérieux que ça. Anticor, en l'occurrence, ne l'est pas. Elle ferait mieux de chercher les véritables crimes délictueux plutôt que de se délecter des fantasmes dès que des conneries sont écrites sur la Corse. Ce qui est vrai, en revanche, c’est que cette ambiance délétère, ce soupçon permanent aidé par une campagne de presse, pèse sur les entreprises, que les banques rechignent à financer. Pensez donc : de dangereux mafieux, ces Corses...
D’excellents résultats des sections de recherches et des magistrats
Pendant ce temps, enquêteurs et magistrats travaillent sur du sérieux. Les jugements déjà prononcés, et ceux à venir, ont à peu près pacifié la région allant de Cargèse à Sartène sans pourtant aller jusqu’au fond de la mouvance criminelle. Cette répression systématique est le fruit d’une stratégie payante : éliminer les bandes une par une, et les attaquer par leur point faible : les délits correctionnalisables. Concernant les affaires relevant des assises, les résultats sont plus aléatoires. Certains procès sont délocalisés pour éviter toute pression sur les jurés ou les magistrats. Il reste désormais à s’attaquer : aux grosses bandes du centre de la Corse (trois sont identifiées), puis à l’effroyable désordre de la plaine orientale, où se mélangent les ruines d’une clandestinité finissante et des bandes opportunistes, éphémères.
Mais l’idée d’un pôle antimafia qui semble s’éloigner
Le paradoxe corse, c’est que le nombre de malfaisants est faible. Mais pour les faire tomber, il faut accumuler les preuves, convaincre les témoins de parler, et surtout obtenir l’aval politique du ministère de l’Intérieur dès qu’on touche à la zone sensible des relations entre criminalité et élus. La véritable dérive mafieuse, s’il faut la chercher, se situe dans les marchés passés entre collectivités, État et entreprises. C’est dans la proximité trouble entre institutionnels et criminels que gît le danger. Pour l’heure, ce travail est timide, voire inexistant dans ses résultats. C’est pourtant le plus important. Et cela implique que les enquêteurs et les magistrats travaillent en dehors des contingences politiques et notamment du processus en discussion avec l’Élysée. Et le fameux pôle antimafia promis par Darmanin semble s’éloigner au vu des obstacles qui se dresse devant lui. À suivre donc.
GXC
Illustrations GXC