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Noëlle Vincensini , une vie en résistance

De Ravensbrück à la défense des opprimés, ...
Noëlle Vincensini, une vie en résistance

De Ravensbrück à la défense des opprimés, Noëlle Vincensini, la dernière grande figure corse de la Résistance s’est éteinte à 98 ans, laissant derrière elle un héritage de courage, de fraternité et de lumière.

L'enfant du maquis et de la solidarité

Née en 1927 au Rinosu, en Haute-Corse, au sein d’une fratrie de neuf enfants, Noëlle Vincensini grandit dans un monde rude mais solidaire, entre un père paysan et une mère issue de la bourgeoisie. Très tôt, l’histoire frappe à la porte de cette enfant vive et révoltée. À 11 ans, bouleversée par les accords de Munich, elle ressent dans sa chair le poids de l’injustice et de l’inaction. Dans un geste saisissant de précocité, elle adresse une lettre au général Gamelin, l’assurant de sa « volonté d’agir ». La réponse, signée de la main d’un certain colonel de Gaulle, l’encourage à « bien travailler à l’école ». Cette missive, aujourd’hui disparue, marquera à jamais l’histoire familiale et révèle déjà la flamme d’une combattante.

Résistante à 14 ans : l’éveil d’une combattante

À 14 ans, Noëlle quitte la Corse pour Montpellier. Là, au lycée Georges-Clemenceau, elle entre en Résistance. Avec trois camarades, elle fonde une cellule clandestine rattachée au Front uni de la jeunesse patriotique et aux FTP. Leur mission : diffuser la presse résistante, transporter des armes, des documents, du matériel d’imprimerie. Après une rencontre en 1944, avec un agent du Bureau central de renseignement et d’action, Noëlle et ses amies devinrent « agents de liaison dans le réseau R3 action». À 17 ans, elle est arrêtée sur dénonciation par la Gestapo et la milice avec ses compagnes Jeanne, Josette et Paulette. Torturée, elle est déportée le 4 juillet 1944 au camp de concentration de Ravensbrück.

L’enfer de Ravensbrück et le miracle de la fraternité

Dans Le Morceau de sucre et autres récits, publié en 2018, Noëlle met des mots sur l’indicible : les wagons à bestiaux, la faim, le froid, les humiliations, les morts. Elle raconte la « marche de la mort » d’avril 1945, durant laquelle elle s’évade, soutenue par un simple morceau de sucre lancé par une main inconnue. Ce geste, dit-elle, incarne les miracles qui sauvent et dont elle fera sa devise: « fraternité, solidarité, amour, dignité invaincue ».

Une vie après la nuit

Revenue de l’enfer, Noëlle Vincensini reprend le militantisme. Sa « vie d’après » est celle d’un engagement permanent. Membre de l’Union des jeunesses républicaines, puis du Parti communiste français, elle côtoie Picasso, Eluard, Aragon, Léger. Elle épouse en 1947 l’écrivain Jean-Pierre Chabrol, ancien résistant. Ensemble, ils élèvent leurs quatre enfants et accueillent dans leur maison des figures emblématiques : Jacques Brel, Georges Brassens – ce dernier lui dédie même la chanson Pénélope.

Engagée pour la Corse et pour l’humanité

Dans les années 1970, après son divorce, elle entame des études d’ethnologie l’université de Nice inspirée par le travail de Germaine Tillon. Puis il revient en Corse, à la source. Après Aleria, elle rejoint le mouvement du Riacquistu, prônant la réappropriation culturelle corse. Elle réalise des documentaires, dont Da la piaghja à la muntagna, et participe à la création de Sinemassoci, une structure de soutien au cinéma insulaire. Elle est aussi une pionnière en matière de radio libre puisqu’elle créé Radio Balbuzard en 1978 qui ne pourra plus émettre après sa sixième émission et qui coûtera à Noëlle une amende de 5000 francs après un procès au cours duquel elle défend la liberté d’expression. ^

La voix des sans-voix

En 1985, elle fonde le collectif Avà Basta afin de lutter contre le racisme. Après l’assassinat de deux Tunisiens en 1985 par le FLNC, injustement accusés de trafic de drogue, elle démonte publiquement les accusations avec courage et inflexibilité. Lorsqu’en 2005, des attentats racistes visent des personnes d’origine marocaine, elle appelle à une manifestation à Ajaccio. Les élus de tous bords y participent. Elle, la déportée, l’ancienne résistante, demeure inébranlable, fidèle à son idéal de justice.

L’ultime flamme d’un siècle de luttes

En 2008, elle est faite chevalier de la Légion d’honneur. En 2013, elle témoigne dans un documentaire de Frédéric Vidal. En 2015, un documentaire de Jackie Poggioli, 70 ans après, résistantes corses déportées, retrace son combat. Noëlle Vincensini fut une vigie, une combattante de l’ombre et de la lumière, une femme debout dans un siècle qui a vu tant d’âmes se résoudre à la lâcheté. En Corse, en France, partout où la dignité est bafouée, son nom résonnera comme un appel : ne jamais céder, ne jamais se taire. Toujours aimer, toujours lutter. Ce fut un honneur pour la Corse d’avoir enfanté cette femme qui fut un immense personnage. Jamais elle ne trahit cette vérité qui lui avait été révélée alors qu’elle avait onze ans et que les démocraties pliaient devant la barbarie nazie. Que sa mémoire habite pour l’éternité son île et que ses enfants soient heureux d’avoir vécu avec cette grande dame.

GXC
Photo : D.R
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