S'abstenir ....ou ne pas s'abstenir
La lecture de la presse quotidienne régionale nous a appris que les députés corses s’étaient abstenus lors du vote de la loi instaurant ce qu’il faut bien appeler un permis de tuer
S’abstenir….ou ne pas s’abstenir ?
La lecture de la presse quotidienne régionale nous a appris que les députés corses s’étaient abstenus lors du vote de la loi instaurant ce qu’il faut bien appeler un permis de tuer. On se serait cru dans un mauvais James Bond, mais c’était, hélas, bien réel.
On ne s’en réjouit pas, et cela pour plusieurs raisons.
Le fait de s’abstenir tout d’abord.
Au premier mouvement, on ressent que cela signifie que celui qui s’abstient renonce à agir, ici à voter. Ceux qui se sont abstenus n’étaient ni pour ni contre, ce qui revient à favoriser ceux qui sont pour ou ceux qui sont contre, car la majorité éventuelle se départage entre ces deux positions.
En l’espèce, et d’un point de vue général, s’abstenir c’est ne pas avoir d’opinion sur ce qui est soumis à question.
On peut estimer qu’il pourrait être considéré comme grave que de ne pas avoir d’opinion sur un sujet aussi… grave. En s’abstenant on laisse les autres décider.Une telle attitude pourrait-elle caractériser une vacuité de la pensée ? On se refuse à le considérer, bien sûr.
D’aucuns, dont nous ne sommes pas, pourraient aussi qualifier cela de « politique de l’autruche », en référence à l’attitude que l’on prête à cet animal qui face au danger enfouit sa tête dans le sol en attendant que le danger s’éloigne. Sauf que, souvent, au lieu de l’éloigner le danger perdure.
Serait-ce très glorieux ?
On ne sait, mais chacun appréciera dans le tréfonds de sa conscience.Les arguments de justification d’une telle position consistent dans le fait d’indiquer qu’ils ne disposaient pas d’informations suffisantes, que le texte pouvait être amélioré, que l’opinion y semblait plutôt favorable etc.Sur ce dernier point, tous oublient que depuis la nuit des temps l’opinion se travaille dans le sens souhaité et que le sens de ladite opinion ne peut qu’être sujet à caution et ne peut remplacer une réflexion personnelle profonde.
La portée des enjeux ne semble pas avoir été parfaitement mesurée.
Pourtant la quasi-totalité des soignants, à savoir ceux confrontés au quotidien à la souffrance, la conférence des évêques de France, de nombreux religieux, des philosophes ont souligné et attiré l’attention sur les risques d’une telle loi.
On rappellera aussi que tout médecin prête serment d’apporter son concours pour sauver celui qui requiert son aide, ou à tout le moins pour éviter ses souffrances. Les cyniques diront qu’en supprimant le patient on abrège ses souffrances, mais en abrégeant ainsi la vie dudit patient…Ainsi ne pourrait-on considérer qu’en respectant la loi en gestation, le médecin trahit radicalement son serment ?
En outre, comment le patient qui remet sa vie dans les mains du médecin pourrait-il se sentir complètement en sécurité lorsqu’il le consulte ? Ne va-t-il pas l’envoyer promptement à la mort ?
Questions essentielles qu’on ne peut prendre à la légère.
Plus grave est la mise en place d’un délit d’entrave pour celui qui refuse de tuer, alors qu’il a pour mission première de soigner.
Étrange message que nous envoie notre société, alors même qu’elle ne cesse d’exalter les différences, les minorités, la nécessité de protection dont elles doivent faire l’objet, elle entend consentir ici sans barguigner à l’acte de tuer et punit ceux qui veulent, toujours, tenter de sauver la vie.
Bien sûr on sait que, dans certains cas extrêmes, et en application du texte équilibré et largement suffisant qui est en vigueur, on soulage la souffrance.Mais cela était jusqu’alors l’exception, et s’insérait dans un postulat d’une préférence pour la vie.
Aujourd’hui, on a inversé l’approche.Le droit de tuer peut être institutionnalisé, et cela d’une façon beaucoup plus large et ouverte, incluant même la souffrance psychologique.
Notre époque crépusculaire montre ses feux mortifères partout.
Ce basculement sociétal participe pleinement d’un mouvement de marchandisation généralisée.
Nos sociétés occidentales sont pénétrées du dogme consumériste, selon lequel tout s’achète, tout se vend, les corps, les choses, les âmes, la vie…
Lorsqu’on ravale tout à l’aune de la sphère marchande, il n’est pas étonnant que cela vienne polluer tous les domaines de la vie sociale.
Plus rien n’est sacré, car tout n’est que chose. La spiritualité se trouve mise dans le commerce, donc disparaît. Elle est soumise à la loi de l’offre et de la demande. Dès lors, comme une marchandise, un produit, une idée en valent bien un autre, la vie aussi est soumise à la même « loi », car tout dépend des goûts de chacun : c’est le relativisme partout qui exclut la pensée, le parti pris.
C’est l’abstention…
Cette position prise par nos parlementaires nous dit aussi, sans doute, que la Corse n’est plus une terre chrétienne.
On pensait pourtant que les manifestations d’une foi populaire intense qui avaient eu lieu lors de la venue, très récente, du Pape François caractérisaient une homogénéité du corps social, une unité de pensée qui allait se propager aussi à ses représentants.
Rien de cela manifestement.Il convient d’y réfléchir pour espérer un sursaut, un réveil des consciences, partout, même dans l’hémicycle.
On ne peut, dans ce cadre, que revenir à la « DÉCLARATION DIGNITAS INFINITA SUR LA DIGNITÉ HUMAINE » telle qu’elle émane du Vatican, par son Dicastère pour la Doctrine de la Foi, dont il a déjà été fait état dans ces colonnes.
Ce texte fondamental vient donner à lire la réflexion de l’Église qui nous rappelle, comme le fait le Pape François dans l’encyclique « Fratelli tutti », que la dignité humaine existe « en toutes circonstances ».Cette déclaration invite « chacun à la défendre dans chaque contexte culturel, à chaque moment de l’existence d’une personne, indépendamment de toute déficience physique, psychologique, sociale ou même morale ».
« En toutes circonstances », nous dit le Pape François, c’est-à-dire clairement même lorsque l’homme est diminué ou malade, et l’on ajoutera, surtout quand l’homme est diminué ou maladeDans ce texte, le Dicastère pour la Doctrine de la Foi donne des illustrations de ce que l’Église considère comme des violations graves de la dignité humaine, et parmi elles l’euthanasie et le suicide assisté.
Or, c’est bien de cela qu’il s’agit avec cette loi « sur l’aide à mourir ».
L’Église nous dit que ce « cas particulier » d’atteinte à la dignité humaine « a la particularité d’utiliser une conception erronée de la dignité humaine pour la retourner contre la vie elle-même ».
Et le texte de poursuivre, ce qui est parfaitement pertinent et adapté pour réfléchir à ce qui nous occupe : « il est certain que la dignité de la personne malade dans un état critique ou terminal exige de chacun les efforts appropriés et nécessaires pour soulager ses souffrances par des soins palliatifs appropriés en évitant tout acharnement thérapeutique ou toute intervention disproportionnée […]
Mais un tel effort est tout à fait différent, distinct, et même contraire à la décision d’éliminer sa propre vie ou la vie d’autrui sous le poids de la souffrance […]. En effet il n’y a pas de conditions sans lesquelles la vie humaine cesse d’être digne et peut donc être supprimée ».
Et comme le Pape François l’a rappelé fermement lors d’une audience générale du 9 février 2022 : « la vie est un droit, non la mort, celle-ci doit être accueillie, non administrée. Et ce principe éthique concerne tout le monde, pas seulement les chrétiens ou les croyants ».
Peut-on alors s’abstenir de proclamer et mettre en œuvre cela ?
Salluste