Financer la culture en temps de crise ?.... et après ?
« Festival Lektos » 2025
« Festival Lektos » 2025
Financer la culture en temps de crise ? … et après ?
Charmante la place Vattelaspesca en centre-ville, entre le Vieux Port et les rues Carbuccia et Letteron. A 10 h du matin la canicule déploie déjà un cagnard qui cogne impitoyable. Organisée par le « Festival Lektos » une table-ronde est attendue. Thème « Comment financer la culture en temps de crise ? ». Mais pourquoi ne pas ajouter, « Et après », au regard de la situation politique actuelle. Modératrice des débats, Vannina Bernard-Leoni. Les acteurs culturels, qui ont bravé la fournaise, quettent l’arrivée de la conseillère exécutive à la culture de la Collectivité de Corse… qui ne viendra pas ! Retenue par un réunion concernant le Conservatoire… Dommage !
Assister à des échanges en direct, en « live » entre comédiens, musiciens, metteurs en scène, plasticiens, réalisateurs et l’élue, Anne-Laure Santucci, aurait pu être plus fructueux qu’une simple interview. La confrontation entre les attentes des uns et les réponses de l’autre n’aurait-t-elle pas été riche d’enseignements ? Mesurer les rêves des uns face aux réalités économiques présentes n’aurait-elle pas autorisé l’écriture d’un bon scénario ?
Deux grands témoins de Bretagne
Nonobstant ce qu’on nomme impondérables – même les élus n’y échappent pas ! – des débats ont surgi grâce à l’inventeur de la manifestation, Jacky Le Menn, qui avait eu la présence d’esprit d’inviter deux grands témoins bretons : Jean Michel Le Boulanger, ancien vice-président de la Région Bretagne, qui préside le festival, « Etonnants Voyageurs » de Saint Malo et Frédéric Praud, directeur de production, œuvrant pour le spectacle vivant, en particulier auprès des enfants. Particularité de ce dernier il travaille en Loire-Atlantique situé en Région Pays de Loire, qui s’illustre, sous la présidence de Christelle Morançais, par des coupes drastiques de subventions ciblant théâtre, cinéma, musique, etc… etc… Madame Morançais, proche du ministre, Retailleau, lui-même proche du RN, etc…etc…
Un moment la présence des témoins bretons fut compromise par la grève des contrôleurs aériens, mais ils échappèrent à la fatalité du social et ce fut leur départ qui devint problématique, toujours à cause de la grève. C’est là, les aléas d ’une conjonction d’un mécontentement syndical et du fait d’être sur une île !
Qu’on soit rassuré cependant, leur séjour sur cette terre inconnue qu’est la Corse, se issa au plan des réussites puisqu’ils purent regagner leurs pénates en ayant savouré « Lektos », festival de rue gratuit, qui s’installe sur les poétiques escaliers de Saint Charles, ex-église des Jésuites, lieu propre à la découverte, à l’étonnement et aux surprises. Thème 2025 : l’animalité déclinée sur des textes de Giono, Del Amo, H.G. Wells, Steinbeck, Hermann Hess, Laura Vazquez, accompagnés, entre autres, par Sandrine Luigi, Olivier Bertholet, ITI. Programme comprenant la tonique prestation des élèves de CE2 de Lupino avec leur spectacle, Zanimos.
Avant de suggérer des propositions en matière de financement de la culture dans la période critique qu’on connait, Jean Michel Le Boulanger a fait part de son expérience de responsable à la Région de Bretagne et de ses réflexions transcrites dans son livre, « Eloge de la culture en temps de crise ». Une expérience double : positive à la Région où la culture ne subit pas d’économies ; négative quant à son constat sur certains lieux. Là, n’a-t-il pas vu des œuvres d’art contemporaines mises au rebut au prétexte qu’elles déplaisaient et ce sans que personnes ne s’en offusquent. Lors du COVID les librairies n’ont-elles pas été fermées tandis que les magasins de bricolage restaient accessibles ! Dans ces affaires n’est-on pas, en effet, face à une banalisation dédaigneuse des attaques contre la culture, a remarqué Jean Michel Le Boulanger.
Où sont l’utopie et le bonheur ?
Il a en outre déploré que les mots « utopie » et « bonheur », autrefois intégrés au langage politique, en soient, désormais, exclus. Remplacés maintenant par deux termes phare : économie et gestion.
S’exprimant, lui, sur ce qui se passe dans son département de Loire-Atlantique dépendant de la Région Pays de Loire, Frédéric Praud rapporte que les acteurs culturels sont traités de tous les noms et taxés d’être responsables du déficit régional par la dame Morançais et les siens. Au début, sidération de tous et tous sans voix par l’application d’une politique qui aboutit drastiquement à supprimer 75 % des subventions culturelles.
Un rapide coup d’œil à la presse de la région montre que lieux, événements, organisations culturelles font l’objet du couperet de madame Morançais. Dans son collimateur : des manifestations de grande audience comme « La folle Journée » de Nantes (musique classique), « Le Festival des trois Continents » (cinéma), « Le Festival Premier Plan d’Angers » (cinéma encore), et « L’Orchestre régional des Pays de Loire ». Sur le plan social même régime pour le planning familial, le CIDFF, une mission locale. Arrêtons le massacre et le placement en bière d’activités culturelles et sociales revigorantes, bénéfiques à la santé mentale !
Frédéric Praud poursuit cependant ses actions en s’appuyant sur nombres de réseaux sociaux et sur le « Collectif bar-bars », qui fédère de petits lieux de diffusion offrant dans des cadres conviviaux des concerts, des spectacles en contribuant à la diversité culturelle et à la démocratisation de la culture. Sortir des lieux consacrés est également une option de Jean Michel Le Boulanger, à condition que soit préservée la création. En tant que président du « Festival Etonnants Voyageurs » et devant des baisses d’aides publiques possibles il a réduit la voilure en diminuant le nombre de tables-rondes à l’évidence trop nombreuses. Il coopère avec d’autres festivals afin de mutualiser les frais de voyages d’invités prestigieux venant de l’étranger.
Attention ! Danger de précarité
Jean Michel Le Boulanger soulève aussi une préoccupation qui agite l’assistance en raison de budgets amoindris et de journées de manifestations réduites, bref, avec moins d’argent il y a risques de conséquences malheureuses sur les intermittents et de les précariser ainsi que les techniciens employés pour les spectacles ou le cinéma. Il déplore encore que le Ministère de la Culture ait une acception de celle-ci axée sur les arts classiques en mésestimant la culture populaire et en méprisant des pratiques amateurs qui peuvent se mêler à celles de grands artistes. Symbiose à ne pas négliger.
Qu’en est-il du côté de « Lektos » ? Pour l’heure Jacky Le Menn souhaite ne pas se concentrer sur juillet. Il veut amplifier ses propositions sur l’année et sur toute la Corse en offrant dans les villages des lectures musicales.
Une inquiétude, qui peut paraitre mineure, travaille pareillement les acteurs culturels présents. Elle concerne les appels à projets réclamés par les institutions pour avaliser les dossiers de candidatures des demandeurs. Répondre à ces appels à projets quoi de plus normal ! Mais il y a des hics lorsque plusieurs interlocuteurs ont des exigences qui diffèrent et c’est là qu’il y a gaspillage de temps qui se traduit par une chronophagie usesante pour les petites structures qui n’ont pas de personnel dédié. On pourrait peut-être unifier ces formulations… sans trop se malaxer les méninges !
Selon un réalisateur de documentaires bien connu, devant les conditions actuelles dévolues à la culture, on « entre dans le dur ». D’autant que les hommes politiques qui gouvernent l’hexagone, ignorent trop ce qui a fait la culture depuis le CNR (Conseil National de la Résistance), les Jean Vilar (TNP, Festival d’Avignon), les Malraux et leurs héritiers directs.
Se souvenir de…
L’observation de la réalité implique l’invention d’une politique culturelle nouvelle. Laquelle ? Celle qui n’ostracisera pas les acteurs de la culture au profit des technocrates. Celle qui cessera de dénier, par un biais ou un autre, la place de la création sans laquelle il n’y a pas de vraies libertés.
A ce stade : une interrogation ? Comment la Corse pourra-t-elle échapper au désastre d’une culture vivante si les Retailleau, Le Pen (Marine + Marion), Bardella, Zemmour prennent le pouvoir ?... En décidant par elle-même, pour elle-même, avec celles et ceux qui la composent. Et vite… tant que la culture est une prérogative de la Collectivité de Corse. Sans réactivité prompte en ce domaine et dans d’autres, il nous restera les yeux pour pleurer. En dépit des conseils de bonnes âmes qui accolerons le qualificatif « patrimonial » à la langue corse puisque l’ultra-ultra droite adore le patrimoine ! Mais alors quid de la création in lingua nustrale, création que les thuriféraires style RN et aéropages abhorrent ici et ailleurs, en corse et en français parce que la création ça dérange…
Ne pas avoir la mémoire courte.
Se souvenir de Pascal Arrighi et de sa chasse aux sorcières, il y a une quarantaine d’années !
Michèle Acquaviva-Pache
Pendant toute l’année scolaire les écoliers de CE2 de l’école Amadeï, ont préparé leur spectacle, « Zanimos », avec leur maître, Philippe Frasseto, avec Jacky Le Menn et Charlotte Arrighi de Casanova. Les Photos sont de Castalibre.
Photo de la tribune de la table-ronde : MAP