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Quand la gastronomie corse atteint l'excellence en bocal

Rencontre avec Christophe Gueguen Marcantoni

Quand la gastronomie corse atteint l’excellence en bocal
Rencontre avec Christophe Gueguen Marcantoni



Il est rare, dans le monde foisonnant de l’artisanat culinaire, de rencontrer une maison qui conjugue avec autant de justesse, rigueur technique, sincérité des produits, et créativité maîtrisée. En Corse, Christophe Gueguen Marcantoni a su bâtir, aux côtés de sa compagne Aurélie, une entreprise artisanale dont les créations, confitures, chutneys, sauces, préparations à base de fruits et légumes, se hissent aujourd’hui au rang d’expériences gastronomiques à part entière.

Christophe Gueguen Marcantoni incarne une nouvelle figure de la gastronomie insulaire, à la fois artisan enraciné et créateur cosmopolite, défenseur du terroir et inventeur de nouvelles alliances.
Formé dans les plus grandes maisons, nourri d’une culture culinaire exigeante, il a choisi de consacrer son talent à un domaine que l’on juge parfois secondaire : la mise en bocal.
Mais ici, loin des clichés de la confiture sucrée ou du condiment d’appoint, chaque préparation est pensée avec le soin et la précision que l’on retrouve dans les cuisines étoilées.

Un parcours forgé par l’excellence


La carrière de Christophe Gueguen Marcantoni témoigne d’un attachement profond à l’art culinaire dans toutes ses dimensions. Après des études complètes de cuisine, enrichies par des mentions complémentaires en pâtisserie et en boulangerie, il fait son « Tour de France », et intègre les maisons qui forment les plus exigeants, Roger Vergé d’abord, puis le service militaire au Palais de l’Élysée et au Ministère des Affaires étrangères. Là, il découvre la gastronomie française dans ce qu’elle a de plus noble, les dîners d’apparat, les vins rarissimes, les menus pensés comme un patrimoine. « Dans les caves, on retrouvait aussi bien des grands crus bordelais que des vins d’Antoine Arena », vigneron emblématique de Patrimoniu, dont les bouteilles voyageaient jusque dans les caves présidentielles… et même chez Bill Clinton.
Ces expériences l’initient à un univers où la gastronomie ne se limite pas à nourrir, mais où elle devient un langage diplomatique, un instrument de représentation et d’excellence nationale. Dans ces cuisines, la précision est absolue, l’approvisionnement scruté, et chaque détail compte. C’est ce socle qu’il emportera avec lui dans son aventure artisanale.
De retour en Corse, Christophe ouvre un restaurant. L’accueil est favorable. Ses clients, médecins, commerçants, fonctionnaires apprécient sa cuisine, mais demandent souvent de l’emporté. « Et si tu faisais des conserves ? », lui glisse Aurélie, sa compagne, alors étudiante en art contemporain. L’idée germe, avec la perspective d’un équilibre familial moins chronophage. Ensemble, ils fondent un projet original, à la croisée des arts et de la gastronomie. La société porte d’abord le nom de L’Aigle à deux têtes, clin d’œil à Cocteau, avant de devenir une maison spécialisée dans la conserverie moderne, sous le nom d’ANATRA, basée à Furiani. L’histoire commence humblement, un garage, un investissement pour créer le laboratoire, et une volonté farouche. Comme Steve Jobs dans son Apple originel, comme les Beatles dans leur studio de fortune, Christophe et Aurélie se lancent sans complexe. Très vite, des amis et artisans reconnus les encouragent. Le Meilleur Ouvrier de France Christophe Bacquié, séduit par l’idée de produire des confitures et condiments 100 % corses, les incite à foncer. L’aventure est lancée.

La Corse comme matrice


Tout, dans le travail de Christophe Gueguen Marcantoni, ramène à la Corse. Non pas une Corse figée dans le folklore, mais celle de l’innovation, de l’authenticité, de la qualité, généreuse, infiniment diverse dans ses productions agricoles.
« Je mets au défi quiconque de trouver en Europe une région offrant une telle diversité. Nous avons les fruits d’été et d’hiver, les agrumes, les légumes, le safran, le miel, le vin, les piments, les plantes… Nous pouvons travailler 365 jours par an. »
La Corse concentre une richesse agricole unique, et Christophe transforme cette profusion en créations où chaque produit garde sa dignité et son identité. Ses confitures ne ressemblent à aucune autre. Elles affichent des taux de fruits exceptionnels (jusqu’à 65 %), une réduction maîtrisée du sucre pour laisser parler le goût originel, et des associations audacieuses : figue-miel-pistache, poire confite au millimètre près, citron travaillé pendant une semaine pour en équilibrer l’amertume et le zeste. Certaines préparations exigent un temps quasi monastique : trois jours pour une fraise, plusieurs jours pour une clémentine, avec un confisage progressif, des sirops réinjectés, une recherche de concentration aromatique. L’artisan devient horloger du goût.

L’audace des fermentations


Mais Christophe ne s’arrête pas à la tradition confiturière. Curieux de tout, il explore les voies de la fermentation, de l’acidité, du piquant. Une idée surgie d’une conversation avec un vigneron ami : pourquoi ne pas marier le feu du piment et la jeunesse du vin en fermentation ? Ainsi est née la fameuse sauce All together now. Le résultat est explosif, rock’n’roll, unique.
Ce goût de l’expérimentation n’exclut jamais la rigueur. Chaque recette est validée en duo, Christophe imagine, Aurélie goûte et tranche. Le sucre, souvent, est l’objet de leurs débats : toujours moins, toujours au service du fruit, mais jamais au détriment de la stabilité du produit. Car derrière la poésie se cache une science exacte, celle de la conservation, des températures, des risques de fermentation.

Une éthique intransigeante


Au cœur de son travail, une idée simple : respecter les producteurs. Christophe refuse de négocier les prix à la baisse. « Si un agriculteur me dit : voilà, mes tomates coûtent tant, je paie. Point. L’équilibre économique se fera ensuite avec le comptable, mais jamais sur le dos de celui qui cultive. Nous ne cherchons pas le moins cher, mais le plus juste », dit-il. Cette logique se retrouve dans le goût final : sincère, franc, sans compromis. Cette attitude, encore trop rare, forge des relations de confiance et garantit une matière première d’exception. Cette exigence se traduit jusque dans les détails : la découpe des poires au millimètre près, l’ajustement du temps de cuisson selon la texture du fruit, l’utilisation d’ingrédients d’exception venus de loin quand la Corse ne peut les offrir (pistaches d’Iran, vanille rare). Tout est pensé pour un résultat parfait.

De la Corse au monde


Le succès ne s’est pas fait attendre. Dès les premières années, des clients prestigieux se sont intéressés à ces bocaux pas comme les autres : restaurants gastronomiques, épiceries fines parisiennes, Galeries Lafayette, « Je suis fier de dire que c’est LVMH qui achète nos produits, et pas l’inverse », aime-t-il rappeler.
Ses créations voyagent désormais jusqu’au Japon, où elles séduisent un public amateur de raffinement et de traditions artisanales. Chaque pot devient ambassadeur d’une Corse moderne, créative, capable de rivaliser avec les grandes régions gastronomiques mondiales.
Ce qui frappe, au-delà des produits, c’est la passion avec laquelle Christophe parle de son métier. Il cite volontiers un ouvrage de 1765, Le Confiturier royal, qu’il lit en vieux français pour s’inspirer des techniques d’autrefois. Il raconte les anecdotes de sa vie de cuisinier avec une verve intarissable. Il parle de la terre, de ses mutations au fil des décennies, des pratiques agricoles d’avant et d’après-guerre, de la nécessité de trouver un équilibre entre tradition et modernité. Son discours est celui d’un passeur de culture.

Le couple comme laboratoire


Travailler en couple n’est pas toujours facile, reconnaît-il, mais c’est une force. Aurélie apporte son regard d’artiste, sa rigueur critique, sa sensibilité à l’esthétique et au sens. Christophe, lui, apporte sa technique, son intuition culinaire, sa science du produit. Ensemble, ils construisent un équilibre.
« La simplicité est une complexité résolue ». Cette maxime résume parfaitement leur démarche : faire simple, mais atteindre la perfection dans cette simplicité.

Alexandre Santerian
crédits photos : Alexandre Santerian
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