L'agonie de la Cinquième République : la monarchie républicaine défaite par l'histoire
La crise politique que vit la France est désormais une crise de régime
L’agonie de la Cinquième République : la monarchie républicaine défaite par l’histoire
La crise politique que vit la France est désormais une crise de régime et on s’achemine vraisemblablement vers une dissolution et peut-être vers la démission du Président de la République. La Cinquième République a été conçue comme une réponse à l’instabilité chronique de la Quatrième. Charles de Gaulle en a fait une « monarchie républicaine », selon l’expression du juriste Maurice Duverger, destinée à placer le chef de l’État au-dessus des partis. L’élection présidentielle au suffrage universel direct, introduite en 1962, donne à cette architecture un socle de légitimité populaire inédit. « Le président ne gouverne pas, il règne », écrit François Mitterrand en 1964 dans Le Coup d’État permanent, résumant cette verticalité. Cette construction repose sur deux piliers : la domination de l’exécutif sur un parlement affaibli et la croyance dans une prospérité économique continue qui permet d’arbitrer les conflits sociaux sans fracture majeure. Mais les équilibres se sont détricotés.
L’économie brisée : du choc pétrolier à la fin de la « prospérité heureuse »
L’effondrement de ce modèle est d’abord économique. Le choc pétrolier de 1973 a marqué la fin des « Trente Glorieuses », brisant l’illusion d’une prospérité illimitée. La désindustrialisation progressive a fait disparaître la classe ouvrière traditionnelle, socle électoral des partis de gauche. Le Parti communiste, jadis première force d’opposition, est entré dans un déclin irréversible, entraînant dans son sillage une social-démocratie en perte de repères. La gauche a pourtant conquis le pouvoir en 1981, à cause de l’austérité promise par Raymond Barre sous la présidence de Giscard. Mais la promesse d’un changement radical s’est heurtée à la réalité économique. En 1983, le gouvernement de Pierre Mauroy puis celui de Laurent Fabius ont imposé la « rigueur ». La gauche a gagné sur un discours anti-austéritaire, mais elle a appliqué l’austérité. Cet enchaînement nourrit le grand malentendu français : un peuple qui veut à la fois une protection sociale maximale et une compétitivité mondiale, une redistribution généreuse et une fiscalité contenue, une souveraineté politique et les bénéfices de l’intégration européenne.
L’usure des institutions : cohabitation, quinquennat, fragmentation
Parallèlement, la mécanique institutionnelle s’est grippée. La cohabitation de 1986 a démontré que le président pouvait être réduit à un rôle d’arbitre impuissant. La réforme du quinquennat en 2000, voulue pour renforcer l’autorité présidentielle, a eu l’effet inverse : elle a transformé le président en « super Premier ministre », dépendant d’une majorité parlementaire acquise dans la foulée de son élection, mais vite dévorée par l’usure. L’effondrement du bipartisme PS/RPR-UMP au début du XXIe siècle a achevé le modèle gaullien et favorisé l’ascension du RN, mais aussi de LFI. Sans partis de masse enracinés, la monarchie républicaine se retrouve nue : le président, seul face à l’opinion, devient la cible des frustrations. Emmanuel Macron en fait l’expérience avec les « gilets jaunes », symbole d’un pays où l’autorité verticale se heurte à une société horizontale, fragmentée, connectée, rétive aux hiérarchies.
La fin d’un cycle
La Cinquième République meurt de ses contradictions. Elle a été conçue pour dominer les partis, mais elle dépérit quand ils s’effacent. Elle a été pensée pour assurer des majorités stables, mais elle se retrouve confrontée à la fragmentation électorale. Elle a été bâtie sur la promesse d’une prospérité continue, mais c’est précisément la fin de cette prospérité qui l’a minée. Toutes les Républiques françaises ont connu le même destin : commencées dans le sang, elles se sont achevées par un régime fort, voire dictatorial. La Première est née avec la Terreur et s’est terminée par le Premier Empire ; la Deuxième s’est ouverte sur les massacres de juin 1848 par le général Cavaignac et a débouché sur le Second Empire ; la Troisième a débuté par les massacres des communards et s’est achevée avec Pétain ; la Quatrième a sombré avec la guerre d’Algérie et a accouché du coup d’État du 13 mai 1958. La Cinquième suit la même pente et se cherche un homme providentiel, un roi républicain. Le chef de l’État, jadis incarnation d’une unité, n’est plus qu’un gestionnaire exposé. Tocqueville, dans L’Ancien Régime et la Révolution, avertissait déjà : « Ce qui est faible périt toujours. » La Cinquième République n’est pas encore abolie, mais elle agonise : monarchie sans transcendance, république sans partis, État sans prospérité partagée. Elle n’est plus un régime, mais un théâtre d’ombres, où se rejoue inlassablement le paradoxe français : vouloir tout et son contraire.
GXC
illustration :D.R